The Odd Couple au MAH

Mariage au musée

The Odd Couple de Jonathan Monk est une œuvre à découvrir jusqu’au 30 octobre au MAH, dans l’exposition 10 milliards d’années.

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10’000’000’000

Dix milliards d’années, c’est la durée de vie estimée du Soleil.
Nous sommes à mi-course.
Les esprits rigoureux peuvent suivre le décompte en temps réel par le biais des diodes rouges surplombant l’entrée du MAH: l’œuvre, signée Gianni Motti (1958), circonscrit le débat (fig.2).

The Odd Couple – version de Genève, une installation signée Jonathan Monk

Fig.1 The Odd Couple – version de Genève, une installation signée Jonathan Monk avec la participation de deux pendules de parquet des collections du MAH, choisies par l’artiste.

Gianni Motti (1958, Italie), Big Crunch Clock, 1999

Fig.2 Gianni Motti (1958, Italie), Big Crunch Clock, 1999

Dix milliards d’années, c’est également le titre de l’exposition présentée au Musée d’art et d’histoire jusqu’au 30 octobre.
Tant la sélection d’œuvres que son déploiement dans les larges volumes des salles palatines donnent corps à l’impalpable course du temps. L’approche est sous-tendue par deux focales que tout oppose et qui finissent par se réunir: le temps mesuré par l’horloger et le temps exprimé par l’artiste. En traversant les salles, vous percevrez les dialogues (muets pour la plupart) qui s’établissent entre pièces anciennes et contemporaines, scientifiques ou aléatoires: autant de résonances qui traduisent, ici, le millième de seconde, là, l’éternité, explorant l’absurdité du quantifiable et la beauté de l’abstraction autant que leur contraire.

Un couple étrange

Jonathan Monk (Grande-Bretagne, 1969) The Odd Couple, version de Genève, 2022 Musée d’art et d’histoire

Fig.3 (image de gauche): Jonathan Monk (Grande-Bretagne, 1969) The Odd Couple, version de Genève, 2022 Musée d’art et d’histoire Grandfather clock facing grandmother clock. Fig.4 (image de droite): Jonathan Monk (Grande-Bretagne, 1969) The Odd Couple, version de Bornholm, 2011 Galerie Nicolai Wallner, Copenhague

On l’aperçoit dès les premiers pas, ce couple longiligne pour qui le temps semble s’être arrêté. L’installation est intitulée The Odd Couple (fig. 1 et 3) et signée par l’artiste britannique Jonathan Monk (Leicester, 1969). Elle a été présentée au public sous d’autres formes, parmi lesquelles citons la célèbre version de Bornholm (fig. 4) ou celle du Château de Fontainebleau en 2008. De loin, les deux monolithes semblent statufiés dans leur face-à-face, bien que leurs cœurs mécaniques murmurent, battent à l’unisson et se désaccordent, dans un perpétuel va-et-vient.

Monk s’intéresse à la sympathie, ce phénomène physique qui conduit à la synchronisation naturelle de deux métronomes… autant qu’au rapprochement entre individus : éprouver de la sympathie pour quelqu’un signifie littéralement vibrer avec lui à l’unisson.

L’entrée en résonance spontanée de deux pendules placés sur un support commun, à peu de distance l’une de l’autre, est au centre des travaux de l’horloger Christian Huygens depuis le XVIIe siècle. Le phénomène est resté longtemps méconnu, car faisant appel à des notions de mécanique du chaos : il n’a été scientifiquement démontré qu’au début du XXIe siècle. Ce sont les mêmes jeux de forces qui permettent d’augmenter l’amplitude et la vitesse d’une balançoire ou qui interdisent à un bataillon de traverser un pont à pied de façon cadencée, faute de voir son manteau de bitume se soulever et se tordre tel un souple ruban.

Par ce cérémonieux tête-à-tête, Jonathan Monk provoque et interpelle tout en invitant à réfléchir sur la nécessité de la mesure du temps, la personnification d’objets, le détournement d’usage, le synchronisme ou encore la périodicité, la systémique, la poésie, la dérision et ouvre tant d’autres portes encore…

Mariage improbable, mais pas impossible

Dans l’exposition 10 milliards d’années, les deux silhouettes élancées se font face, sur fond d’un vitrail que le regard peut traverser jusqu’au clocher de la cathédrale Saint-Pierre. Le couple, sobre dans ses habits noirs, mâtiné d’une austérité familière, constitue ce que l’on appellera désormais la Version de Genève (fig. 1 et 3). Elle propose le rapprochement de deux pendules de la collection patrimoniale, sélectionnées par l’artiste: une horloge de parquet parisienne née vers 1750 d’un côté et, un élégant garde-temps genevois, à peine plus jeune, de l’autre.

Les deux horloges de parquet, initialement destinées à être adossées à une paroi, semblent s’être avancées l’une vers l’autre pour finalement se rejoindre au centre de l’espace. Le cabinet galbé aux courbes soulignées de dorures, sorti des mains d’un ébéniste de la fin du XVIIIe siècle, repose en miroir d’un long pilastre de poirier teinté et verni, au visage enfariné: nul ne sait si, de leur vivant, les penduliers Joseph Waltrin (né vers 1720) et Jean-Louis Grandnom (né en 1733) se sont rencontrés… la possibilité existe pourtant, puisqu’ils étaient contemporains, de même langue et de même métier.

Le premier descend de François Valtrin, connu pour avoir été Gouverneur de l’horloge d’Épinal en 1545. Originaire d’une famille du nord-est de la France comptant surtout des facteurs d’orgues, il vécut à Paris dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, où il fut reçu Maître horloger en 1746.
Le second, originaire d’Eysins au bailliage de Nyon, est porté au registre des Habitants de Genève en 1762: il a alors 29 ans et la formation de « pendulier ». Ses connaissances en mécanique le mènent à travailler sur la machine hydraulique sise en l’Île, au fil du Rhône, dont il finira par gérer seul le fonctionnement. Reçu Bourgeois de Genève en 1788, «gratis, vus ses talents», le «Directeur de la Machine des Eaux» s’éteint sur son lieu de travail à l’âge de 55 ans.

The Odd Couple uni jusqu’au 30 octobre

Le couple symbolique vit ses derniers jours, sous le regard de Chronos en figure faîtière. D’ici à ce que ce dernier abatte sa faux sur cette union, il est encore temps de venir lui faire une dernière révérence, ainsi qu’aux Maîtres Waltrin et Grandnom qui, de là-haut, s’amusent certainement de nos facéties contemporaines.

The Odd Couple – version de Genève, une installation signée Jonathan Monk

Fig.5 (image de gauche): Joseph Waltrin (vers 1720- avant 1789) Allégorie du Temps Pendule de parquet, dite régulateur Paris, vers 1750, cabinet postérieur (vers 1800) Bois de chêne teinté et verni, bronze doré, verre bombé Mouvement de haute précision en laiton doré et acier, échappement à ancre, sonnerie à chaperon des heures et des demies, cadran argenté par épargne affichant le quantième et le nom du mois Haut. 245 cm MAH inv. AD 2824. Legs de Arthur Scheuermann, 1928. Fig.6 (image de droite): Jean-Louis Grandnom (1733-1788) Pendule de parquet, dite longue-ligne Genève, vers 1785 Bois de poirier teinté et verni Mouvement en laiton doré et acier, sonnerie des quarts, échappement à ancre à chevilles, cadran d’émail Haut. 240 cm MAH inv. AD 4203. Acquise en 1982

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