Dix milliards d’années

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La collection d’horlogerie du MAH à l’honneur

La collection d’horlogerie réunie au MAH connaît un statut original: à l’heure actuelle, elle ne dispose pas d’espaces permanents. Les œuvres se retrouvent dès lors mobilisées, dans les salles et lors de présentations temporaires, pour agir comme contrepoids ou révélateur de certains traits d’art ou faits d’histoire.

Souvent considérés comme faisant partie des arts décoratifs, valorisés pour les dizaines de métiers d’art qu’ils ont contribué à développer depuis le XVIIe siècle, les garde-temps figurent parfois parmi des œuvres d’art afin d’interroger des notions universelles. De fait, cette collection se distingue par ses qualités techniques et esthétiques, son aspect parfois spectaculaire… et aussi pour la somme de défis que représentent montres et horloges.

Dix milliards d’années

Pour l’exposition Dix milliards d’années, les pièces d’horlogerie du MAH sont mises en dialogue avec une sélection d’œuvres signées par des artistes contemporains, interpellés par la notion de temporalité. Le projet initial voulait interroger les tensions et les écarts entre l’une et l’autre approche du temps. Au final, la conjugaison se révèle congrue: plutôt que de révéler des écarts, elle démontre des convergences.

Horlogerie et savoir-faire, les métiers d’art en particulier, sont indissociables et entretiennent des liens étroits avec l’art depuis l’origine. Ces rapports de connivence, d’inspirations et de jeux d’influences sont souvent réciproques. L’horlogerie a flirté dès ses débuts avec le monde de l’art, pour avoir sollicité et employé des artistes, mais est-elle pour autant un art? Preuve est donnée ici que l’équilibre est réel, grâce à des points de convergence, là où, notamment, la philosophie et l’astrophysique se côtoient.

L’artiste interroge un temps élargi, éclaté, élastique et aléatoire; il explore l’espace et le mouvement. Sur ces points de convergence, il rencontre l’horloger, qui décortique le temps, science du mouvement. Ce dernier divise et mécanise le temps naturel du cosmos, où s’inscrivent les âges et les cycles de la vie. Il jongle avec la démesure, les dimensions cosmiques superlatives d’un côté et la miniature, la mesure d’extrême précision de l’autre.

Exposition 10 milliards d’années ©MAH, photo: B. Jacot-Descombes

Le temps des horlogers

Le temps est un thème universel. Ne commande-t-il pas nos activités depuis la nuit des… temps? Dans Dix milliards d’années, le génie humain et le potentiel technologique qui ont présidé à la réalisation des garde-temps sont mis en évidence. L’horlogerie est à l’origine une «nouvelle technologie» en phase avec son époque, celle de la Renaissance. Elle reste une haute technologie, porteuse de messages sur le monde contemporain. La mesure du temps n’a en effet jamais été un domaine à part. Au contraire, c’est le domaine interdisciplinaire et transversal par excellence. Deux présentations parallèles au MAH l’ont illustré: Passe-temps (20 mai-28 août 2022) et La course du temps (3 juin-2 octobre 2022) ont évoqué, d’une part, le temps, son étirement et sa longueur, la patience, les effets de l’enfermement et, d’autre part, les représentations de Chronos, des saisons, du jour et de la nuit dans l’iconographie classique. Toutes ces notions se retrouvent aujourd’hui dans les salles palatines – les gestes répétitifs et patients, les travaux chronophages et le temps suspendu, synonyme de fragilité. Si la capture du temps occupe les horlogers, le défi de sa maîtrise les captive à leur tour. Leurs créations sont pétries de risques: l’acier qui casse, le feu de trop qui menace l’émail, le burin qui dérape, sans compter les outrages du temps naturel. Tout est memento mori… et donc ruptures de temporalité!

Exposition 10 milliards d’années ©MAH, photo: B. Jacot-Descombes

Le temps des artistes

Les œuvres contemporaines réunies dans Dix milliards d’années font écho à ces mêmes données. Les horloges, comme les œuvres imaginées, sont des instruments qui font prendre conscience de l’emprise et de la fascination exercée par le temps, qui passe inéluctablement… Leur point de jonction se trouve dans l’acte de création même. Elles sont productions de l’esprit et de la main. En 1765, le chronométrier Ferdinand Berthoud rédige l’article Horlogerie de l’Encyclopédie dirigée par Denis Diderot. Il associe savoir, art et génie et présente l’horloger comme un artisan aux multiples talents. À la fois initié à l’arithmétique, à la géométrie et à la mécanique, l’apprenti se mue «par graduation» en «artiste», maîtrisant un art, des savoirs, des techniques. Ses créations sont porteuses d’émotions, de sentiments, de réflexion, et même de spiritualité.

L’esprit créatif à l’honneur

De fait, toutes les œuvres présentées dans Dix milliards d’années évoquent le geste créatif, les créations et leurs auteurs, qu’elles soient instruments horaires, sculpture cinétique ou les deux.

Derrière chaque garde-temps, il y a la matière, la main, l’outil et l’esprit d’invention. Il y a aussi la pensée du philosophe, qui interroge ce qui anime la matière; l’astronome et le mathématicien, qui cherchent et aident à comprendre l’univers; enfin, l’esthète, qui relève l’authenticité et vise la beauté.

Installées sous les hauts plafonds des salles palatines ornés des signes du zodiaque, reflet de la voûte céleste, les œuvres de la mesure du temps, microscopiques univers portatifs, participent d’une mégapole de l’infiniment petit. C’est un monde miniature qui ramène à l’essentiel. La mécanisation – celle du planétaire d’Adams – et la miniaturisation poussée à l’extrême sont confrontées aux œuvres d’art contemporaines qui disent les mêmes limites, les préoccupations similaires, les perplexités partagées… Le dialogue est établi.

La collection d’horlogerie du MAH est ainsi présente à travers près de 600 références choisies parmi plus de 8500 pièces conservées. Elles évoquent des génies horlogers, des créateurs-concepteurs-inventeurs, des artisans d’art, des designers et même des architectes horlogers. Elles révèlent des manufactures et des visionnaires à leur tête. Ces œuvres contribuent au patrimoine collectif; or, fabriquer du patrimoine, c’est jouer avec le temps. Au musée, nous fabriquons un héritage au milieu de multiples temporalités.

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