Paysage poétique, paysage mélodique: la peinture d'Alexandre Perrier

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Dessinateur de formation, peintre par vocation, promeneur infatigable, Alexandre Perrier s’est consacré sa vie durant à la représentation du paysage; un paysage non pas exotique, lointain, mais bien au contraire proche, intime. Il n’aura choisi qu’un nombre restreint de motifs – le lac Léman, le Salève, le Mont-Blanc, le Praz-de-Lys. C’est précisément là, au Praz-de-Lys au-dessus de Tanninges, qu’il arpentera inlassablement les chemins pour en traduire les différentes vues: le Pic Marcelly, l’Uble et… le lac de Roy.

Le Lac de Roy

Ce petit lac appartient à l’imagerie vécue et rêvée du peintre; de dimension modeste, perché à près de 1700 mètres d’altitude, il est un sujet d’étude privilégié – carnets de notes et peintures en témoignent. Le tableau, peint vers 1910, illustre de façon grandiose l’intérêt qu’Alexandre Perrier lui porta. Il met en lumière la «seconde manière» de l’artiste. Si Perrier fait certes preuve d’une grande cohérence dans le choix de ses motifs, ses moyens d’expression évoluent en revanche tout au long de son parcours. Il tente, de tableau en tableau, de trouver la manière la plus juste, la plus apte à traduire sa vision. D’un point de vue stylistique, il a tout d’abord été associé au néo-impressionnisme qu’il découvre dès son arrivée à Paris –il peut d’ailleurs être considéré comme le premier artiste suisse à s’être inspiré de la touche initiée par Georges Seurat – mais il n’aura de cesse d’expérimenter, dans ce cadre pointilliste, des styles différents, presque contradictoires.

Un nouveau langage

L’œuvre de la maturité sera celle d’une nouvelle voie, singulière et inédite. Dès 1908 en effet, sa peinture se dilue jusqu’à prendre un aspect d’aquarelle, s’étendant sur la toile en de grandes surfaces désormais structurées par de simples lignes blanches qui dessinent les contours du paysage. Il abandonne alors l’unité de couleur et de dessin jusqu’à en dissocier entièrement ces deux éléments, une dissociation que l’on retrouve dans les carnets de croquis à la mine de plomb et les carnets de pastels. Les uns, en noir et blanc, «croquent» le paysage, le motif, les autres, en couleur, disent les teintes et les subtilités de tons. Ils sont ainsi les témoins du premier regard de l’artiste et peuvent être considérés comme le cœur de sa recherche. Ainsi, il ne peint pas mais dessine, inlassablement, devant montagnes et lacs.

«Le Lac de Roy», A. Perrier, 1910, dépôt de la Fondation Jean-Louis Prevost, Inv. BA 2011-11, © MAH, photo: A. Arlotti
«Le Lac de Roy», A. Perrier, 1910, dépôt de la Fondation Jean-Louis Prevost, Inv. BA 2011-11, © MAH, photo: A. Arlotti

C’est cette nouvelle voie, ce nouveau langage, que magnifie le tableau Le Lac de Roy. La composition frappe tout d’abord par la monumentalité qui s’en dégage. Alexandre Perrier métamorphose ce petit lac et le paysage alentour en une fresque grandiose. Une autre particularité participe de cette impression d’amplitude de la représentation. Les dimensions de la toile, la prédominance du motif – peu de place est accordée au ciel ou à tout autre élément animé ou inanimé – la majestuosité des lignes colorées, tout y concourt. Perrier abandonne de surcroît en partie des éléments de contrainte spatiale qu’il reprend usuellement de tableau en tableau: ces bandes de couleur souvent arquées s’offrant comme une sorte d’encadrement du motif. On en constate certes encore la présence dans les parties inférieure et supérieure de la composition, mais elles ne sont désormais presque plus qu’un souvenir.

Si l’ensemble déborde presque de l’espace pictural, la liberté de touche et de note colorée s’accompagne d’une tendance abstractive forte. Le paysage est ici sublimé, magnifié, en une évocation non pas de la fugacité d’un instant, d’une mélodie passagère, fugitive, mais de ce qui dure, d’une « atemporalité » rêvée.

Texte publié suite à l’Entretien du mercredi du 10 octobre présenté par Isabelle Payot Wunderli.

Un article sur « Alexandre Perrier ou le paysage magnifié. Une acquisition récente de la Fondation Jean-Louis Prevost: Le Lac de Roy,1910» est à paraître dans la revue Genava 2012.

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