Madeleine Baud-Bovy, sacrée reine de la plume

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Quel lien peut-il bien exister entre cette étonnante composition florale et la reine Élizabeth II d’Angleterre ? L’œuvre a tout simplement trôné place de la Madeleine, bien en vue dans la vitrine d’un magasin, lors de la première visite officielle de la jeune monarque à Paris, en 1957. Un événement unique à l’occasion duquel les commerçants parisiens n’ont pas hésité à donner un air de fête à leurs devantures, faisant même appel pour certains au talent de créateurs.

Bouquet fait de plumes d'oiseau

Composition florale au serpent, Paris, 1957. Souche, plumes naturelles d’oiseaux, élytres de scarabées, fil de fer, 85 x 73 x 50 cm. Don de l’artiste, 1999
© MAH, photo : F. Bevilacqua, inv. AA 1999-0301-001.

Reine Elisabeth II

Élisabeth II d’Angleterre, vers 1953 ©Museums of History New South Wales.

L’univers artistique de Madeleine Baud-Bovy, dont le prénom est assurément moins familier aux Genevois que ceux de ses illustres parents1 , gagne à être découvert tant il est singulier et onirique. Passionnée depuis sa tendre enfance par les oiseaux qu’elle se plaît à observer dans les parcs alentours, elle s’emploie bientôt à leur donner une seconde vie, devenant taxidermiste au Museum d’histoire naturelle. Là, tandis qu’elle parfait le plumage de ses volatiles immortalisés, elle réalise que ce matériau si chatoyant et doux au toucher possède un potentiel artistique dont elle pourrait tirer parti. C’est dans un grand atelier de mode parisien qu’elle fait dès lors ses premières armes, se formant au métier complexe de plumassière. Bien décidée à voler de ses propres ailes, elle se lance ensuite dans la création d’objets aux délicats décors de plumes multicolores : coffrets, boîtes, étuis à cigarettes, poudriers, boutons, peignes, broches, boutonnières, abat-jours et même tableaux de plumes, à la manière de ceux réalisés au cours des périodes préhispanique et coloniale au Mexique. Loin de l’iconographie aztèque, puis chrétienne, traitée dans ces œuvres de grand luxe, Madeleine Baud-Bovy développe des thèmes d’une poésie toute personnelle. Elle s’inspire pour l’essentiel de la nature – l’élément de l’eau en particulier – mais puise également dans certains contes, mythologies ou mythes, tel celui d’Ophélie. Enfin, sous ses doigts habiles naît cette production d’étonnants bouquets qui ont l’avantage de ne jamais faner, et au nombre desquels compte notre fameuse œuvre.

Constituée à sa base d’une souche de bois autour de laquelle s’enroule un serpent, la composition se déploie plus haut en un bouquet de fleurs épanouies, déclinées dans un camaïeu de blancs, beiges, bruns et gris. L’artiste, qui n’a rien oublié de son métier de taxidermiste, s’est appliquée à recouvrir le corps onduleux du reptile d’élytres de scarabées (ailes durcies). Les reflets métalliques et irisés de ces élytres faisant écho aux ocelles colorées des plumes d’éperonnier, formant par ailleurs de curieuses paires d’yeux.

Détails de l'oeuvre

Détails, © MAH, photo : F. Bevilacqua.

Détails de l'oeuvre

Perdreau, faisan, dindon, argus, pintade ou encore outarde, Madeleine Baud-Bovy sait sélectionner ses plumes avec science, les travailler et les arranger en un harmonieux bouquet. Elle qui affectionne les beaux matériaux, recourt parfois, pour façonner sa gamme de petits objets, à des essences raffinées : acajou, palissandre ou ébène de Macassar, autant de bois exotiques et précieux dont l’emploi est très en vogue durant cet entre-deux-guerres.

Boite en bois

Boîte, Genève, vers 1922. Noyer, plumes, haut. 4,8 x diam. 10,7 cm. Acquis auprès de l’artiste, 1922, © MAH, photo : F. Bevilacqua, inv. B 0100.

L’artiste genevoise, qui excelle dans cet art de sublimer la plume naturelle d’oiseaux, ne manque pas de se faire remarquer lors des nombreuses expositions auxquelles elle participe en tant que membre de l’association romande de l’Œuvre ou de la Société suisse des femmes peintres, sculpteurs et décorateurs. Son travail est également apprécié au-delà des frontières suisses. Elle remporte ainsi deux médailles d’or – à Paris, lors de l’Exposition internationale des arts décoratifs modernes et industriels de 1925, et à la Triennale de Milan en 1926 – pour ses objets de tabletterie.

Madelaine Baud Bovy dans son atelier

Madeleine Baud-Bovy dans son atelier © MAH, archives photographiques Madeleine Baud-Bovy.

Madelaine Baud Bovy

Les grandes vitrines aménagées dans son atelier, ©MAH, archives photographiques Madeleine Baud-Bovy.

Au cours de sa carrière, Madeleine Baud-Bovy occupera différents ateliers entre Genève et Paris, où elle choisira de s’établir définitivement en 1932. Ceux qui ont eu le privilège de pénétrer dans son antre y ont découvert un univers animé de volières aux oiseaux virevoltants, de plantes vertes et d’une foison d’objets faits en plumes, ou garnis de plumes. S’il y a ici une reine à ovationner, c’est bien cette talentueuse artiste qui, de simples plumes d’oiseaux, est parvenue à créer des objets raffinés et à les élever au rang d’œuvres d’art. Nul doute qu’elle aurait pu apporter sa touche aux fameux bibis de la reine d’Angleterre !

Bouquet faites de plumes d'oiseau

Composition florale, Paris, vers 1930 ?. Écorce, plumes d’oiseaux teintées, élytres de scarabées, fil de fer, 67 x 90 x 5 cm. Don de l’artiste, 1999, © MAH, photo : F. Bevilacqua, inv. AA 1999-0301-002.

Notes

  • 1.

    Petite-fille du peintre Auguste Baud-Bovy (1848-1899), elle est également la fille de l’écrivain et historien d’art Daniel Baud-Bovy (1870-1958) et la sœur du chef d’orchestre, musicien, ethnomusicologue, néohelléniste et pédagogue, Samuel Baud-Bovy (1906-1986).

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