Hippolyte-Jean Gosse (1834-1901) et la salle des armures

Le 26 avril dernier est paru l’ouvrage collectif Naissance des musées modernes à Genève au XIXe siècle1 , qui procède du colloque organisé par l’Unité d’histoire de l’art de l’Université de Genève et la Société des Arts de Genève les 29 et 30 septembre 2021. Il contient plusieurs contributions se rapportant à des institutions dont les fonds ont depuis intégré le Musée d’art et d’histoire (MAH), créé en 1910 pour réunir l’ensemble des collections artistiques, archéologiques et historiques de la Ville de Genève. C’est l’occasion de rendre hommage à l’une des figures les plus marquantes de cette période d’effervescence muséale : Hippolyte-Jean Gosse (fig. 1), qui joua un rôle déterminant dans l’histoire de la Salle des Armures du MAH.

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« Admirable dilettante » piqué par « l’aiguillon de la curiosité universelle » ‒ pour reprendre les termes de la nécrologie publiée par son ami Marc Debrit, directeur du Journal de Genève2 ‒, le personnage étonne surtout par sa colossale force de travail, qui lui a permis de mener de front d’innombrables activités dans les domaines les plus variés. Hippolyte-Jean Gosse voit le jour en 1834 dans une famille qui compte déjà plusieurs savants de renom. Comme son grand-père et son père avant lui, c’est à Paris qu’il fait ses études et obtient son doctorat de médecine en 1863. De retour au pays, il devient professeur de médecine légale en 1875 avant d’être nommé quatre ans plus tard directeur de la Morgue judiciaire : ayant « non pas le goût mais la passion des autopsies », il « se serait fait tuer pour en faire une », selon la jolie formule de Debrit. Dans le même temps, il s’investit dans la vie publique genevoise, siégeant à trois reprises au Grand Conseil, ainsi qu’au Conseil administratif et au Conseil municipal.

Parallèlement, l’homme s’intéresse à l’archéologie, dans l’acception large qu’on lui donne alors. Contractée dès l’époque de ses études dans la capitale française, cette passion l’amène à diriger différentes institutions genevoises : à partir de 1864, il est responsable de la collection archéologique et historique du Musée Académique, puis du Musée archéologique qui lui succède en 1872. En 1866, il endosse aussi officiellement les « fonctions gratuites » – c’est-à-dire bénévoles ! – de conservateur du Musée épigraphique cantonal3 et de la Salle des Armures4, aux destinées de laquelle il présidera jusqu’à sa mort le 22 février 1901 (fig. 2).

Portrait de Hippolyte-Jean Gosse (1834-1901)

Fig. 1. Frédéric, dit Fred Boissonnas (1858-1946), Portrait d’Hippolyte-Jean Gosse (1834-1901), vers 1890. Photographie, 16,3 x 10,6 cm © BGE, Iconographie, inv. Icon P 1952-190-39.

Fig. 2. Dédicace en acrostiche, mars 1866. Encre noire sur papier imprimé, 21,5 x 14 cm. C’est vraisemblablement à l’occasion de sa nomination à la tête de la Salle des Armures que le conservateur se voit offrir par « quelques pauvres malades reconnaissants » un exemplaire du recueil d’armes et d’armures publié deux ans auparavant par le dessinateur et lithographe Léon Auguste Asselineau, accompagné de cette dédicace.

Si ses abondantes archives officielles et personnelles, où les documents concernant cette dernière institution sont relativement peu nombreux, de même que les publications qu’il a laissées, dont aucune n’a trait aux armes anciennes, montrent que l’archéologie reste son principal centre d’intérêt et mobilise l’essentiel du temps qu’il consacre à ses activités muséales, la préservation et le développement de la Salle des Armures lui sont néanmoins amplement redevables.

Sauvegarde et développement d’un ensemble identitaire

En effet, le premier souci de Gosse est la sauvegarde du fonds de l’ancien Arsenal, noyau d’une collection à forte valeur identitaire pour les Genevois en vertu des « souvenirs » de l’Escalade qui y sont conservés. C’est très certainement à son instigation que le principe d’inaliénabilité des objets a été inscrit dans l’arrêté législatif qui, en 1870, autorise le Conseil d’État à remettre cet ensemble à la Ville de Genève en vue de la création d’un Musée historique genevois5 . Destinée à remédier à diverses pratiques, telles que le prêt ‒ voire la vente6 ‒ des « précieuses reliques » de l’Arsenal à des particuliers ou à des sociétés, cette clause marque une véritable prise de conscience de leur valeur patrimoniale : « Après une ère de dilapidation les armes anciennes de l’Arsenal ont trouvé un protecteur en la personne de M. le Dr Gosse, qui en a fait le Musée aimé du public7 ».

La principale préoccupation du conservateur demeure cependant l’enrichissement de la collection. Jusqu’à sa mort, celle-ci va s’accroître d’environ un millier de pièces, entrées principalement par achat mais aussi grâce aux nombreuses donations suscitées par sa propre générosité : offrant à lui seul quelque cent vingt armes diverses – soit plus du tiers des dons –, il figure au premier rang des bienfaiteurs de la Salle des Armures (fig. 3-4).

Image d'une épée

Fig. 3. Poire à poudre, Italie, début du XVIIe siècle. Bois, tissu, acier, 20 x 19,4 cm, 410 g. Don d’Hippolyte-Jean Gosse, 1867 © MAH Genève, photo : Flora Bevilacqua, inv. K 77.

Fig. 4. Épée de ville, Allemagne, vers 1760-1770. Acier, or, argent, 90,2 x 8,8 cm, lame 74,1 x 1,5 cm, 420 g. Don d’Hippolyte-Jean Gosse, 1871 © MAH Genève, photo : Flora Bevilacqua, inv. B 136.

Ce développement s’accompagne d’une volonté de diversification marquée : dans une perspective encyclopédique, il s’agit avant tout d’offrir aux visiteurs le plus large panorama didactique possible. Gosse cherche donc à compléter les lacunes de la collection, qu’elles soient d’ordre chronologique ou typologique. S’il acquiert plus d’une centaine d’armes extra-européennes, en particulier japonaises ‒ qui seront déposées au nouveau Musée ethnographique de Mon-Repos quelques mois après sa mort ‒, il ne néglige pas pour autant la préservation du patrimoine régional, recueillant des objets destinés à compléter le fonds de l’ancien Arsenal (fig. 5-6) : pièces de fouilles découvertes sur le territoire du canton ou en France voisine, objets liés à l’histoire genevoise, témoins de la fabrication et du commerce des armes à Genève.

Images d'armes anciennes en métal

Fig. 5. Pétard, Piémont ?, Genève ?, début du XVIIe siècle. Alliage de cuivre, 19,6 x19 cm, 13,620 kg. Acquisition, 1887 © MAH Genève, photo : Flora Bevilacqua, inv. K 327. Trouvé dans le Rhône en 1887 lors de travaux liés à la construction de l’Usine des Forces-Motrice, ce pétard vient rejoindre le corpus d’engins explosifs similaires faisant partie des « souvenirs » de l’Escalade issus du fonds de l’ancien Arsenal.

Fig. 6. Éperon à pointe, Europe, XIIe siècle. Acier, 11 x 9,4 cm, 55 g. Don d’Hippolyte-Jean Gosse, 1884 © MAH Genève, photo : Flora Bevilacqua, inv. F 367. Le registre d’entrée précise que l’objet a été trouvé dans les ruines du château de Mornex en Haute-Savoie, sur la propriété familiale du mont Gosse acquise en 1802 par Henri-Albert Gosse (1753-1816), grand-père du donateur.

Échanges avec des arsenaux suisses : documents inédits

Parallèlement à sa vocation de conservatoire du patrimoine militaire local, la Salle des Armures témoigne, à travers l’acquisition d’armes destinées à « helvétiser » la collection, de la volonté de son responsable de se référer à une tradition historique suisse. Dans le contexte politique de l’époque, marqué par l’exaltation des identités nationales, il s’agit pour Genève d’être en mesure de présenter au public quelques « souvenirs » évoquant les grandes victoires militaires des Confédérés, mais surtout des exemplaires d’armes considérées comme indissociables de leurs vertus guerrières. Dès les premières années suivant le transfert de la collection à la Ville de Genève, Gosse fait, comme l’y autorisait l’arrêté de 1870, des propositions d’échanges d’armes « d’un intérêt historique national » avec différents arsenaux cantonaux.

Des listes d’objets et une série de croquis accompagnés de brefs commentaires, extraits de ses archives conservées à la Bibliothèque de Genève8 , témoignent des visites de « repérage » que le conservateur effectue dans plusieurs collections suisses (Fribourg, Berne, Soleure, Lucerne, Zoug, Zurich, Saint-Gall et Frauenfeld). Si quelques « curiosités » retiennent son attention, comme l’épée d’Adam Näf, vue à Kappel le 4 juillet 1872 chez un descendant du héros zurichois (fig. 7-8), ou encore, à Soleure, un curieux plastron doté d’une poitrine féminine9 (fig. 9-10), ce qui l’intéresse avant tout, ce sont les pièces peu ou pas représentées dans la collection genevoise susceptibles de faire l’objet d’échanges.

Croquis d'une épée

Fig. 7. Hippolyte-Jean Gosse (1834-1901), Croquis de l’épée d’Adam Näf à Kappel, 4 juillet 1872. Mine de plomb et encre sur papier, 19,4 x 27,2 cm © BGE, Iconographie, inv. gosse ms 2 2 016.

Fig. 8. Épée d’Adam Näf, Suisse, vers 1500-1540. Acier, cuir, 140,5 x 28,7 cm © Zurich, Landesmuseum Zürich, inv. Dep. 529. Adam Näf (vers 1495-1571) participa à sauver la bannière zurichoise lors de la seconde bataille de Kappel (11 octobre 1531) en coupant la tête de l’ennemi qui s’en était emparé. Toujours en possession de la famille, l’arme est déposée au Musée national suisse.

Croquis d'une armure

Fig. 9. Hippolyte-Jean Gosse (1834-1901), Croquis d’armures de l’Arsenal de Soleure, 28 août 1870. Mine de plomb sur papier, 15 x 23 cm © BGE, Iconographie, inv. gosse ms 2 2 007.

Fig. 10. Plastron, Suisse, XVIIIe siècle. Acier, cuir © Soleure, Museum Altes Zeughaus, inv. MAZ 206.

Des différentes transactions envisagées avec les arsenaux de Soleure, Lucerne, Fribourg, Berne et Zurich, seules les trois dernières vont se concrétiser entre 1872 et 1874, faisant entrer soixante-et-une pièces « suisses » dans la collection genevoise. Au nombre de celles-ci figurent deux arbalètes du milieu du XVe siècle portant à l’extrémité de leur arbrier (fût) la marque armoriée de l’Arsenal de Fribourg (fig. 11). Le fonds de l’ancien Arsenal ne comptait alors que quatre exemplaires de cette arme qui, par son rattachement au mythe fondateur de Guillaume Tell, avait acquis le statut de symbole national qu’elle a conservé jusqu’à nos jours.

Arbalette en bois et fer

Fig. 11. Arbalète à étrier, Suisse (Fribourg ?), milieu du XVe siècle. Bois fruitier, bois de cerf poli, corne, tendon, écorce de bouleau, fer, corde, 81 x 76,4 cm, 2,740 kg. Échange avec l’Arsenal de Fribourg, 1872 © MAH Genève, photo : Flora Bevilacqua, inv. F 83.

Parmi les armes obtenues de Zurich ‒ où le grand nombre d’exemplaires similaires conservés se portait garant du caractère « national » recherché ‒ se trouvent des pièces qui ont pu être attribuées à des armuriers suisses et permettent aujourd’hui au MAH de détenir quelques témoignages de la production d’armes sur le territoire helvétique aux XVIe et XVIIe siècles (fig. 12-13, 19).

Croquis de drapeaux et d'armes

Fig. 12. Hippolyte-Jean Gosse (1834-1901), Croquis de drapeaux et d’armes de l’Arsenal de Zurich, 1874. Mine de plomb et encre sur papier, 19,4 x 27,1 cm © BGE, Iconographie, inv. gosse ms 2 2 042. Dans l’angle supérieur gauche, à côté d’un rapide croquis de la crosse de l’une des Hackenbüchsen (arquebuses) de Zurich, Gosse note : « Il y en a encore assez à Zurich qu’ils peuvent échanger ».

Fig. 13. Arquebuse à mèche, Hans Rot (actif vers 1533-1570), Lucerne, vers 1565. Acier, bois, long 162,5 cm, 11,835 kg. Échange avec l’Arsenal de Zurich, 1874 © MAH, photo : Flora Bevilacqua, inv. K 179. Le canon est marqué du poinçon de l’arquebusier, du poinçon de contrôle de Lucerne et de la marque « Z » de l’Arsenal de Zurich. La collection zurichoise possède encore trente-deux exemplaires similaires, dont onze transformées à silex.

Comme l’attestent les croquis conservés, deux types d’objets sont particulièrement recherchés pour étoffer le fonds genevois : l’épée à deux mains (fig. 14-15) et le vouge dit « suisse » (fig. 12, en bas, à gauche, 16-17), deux armes étroitement associées à l’image traditionnelle du guerrier suisse, dont la figure idéalisée, symbole de l’unité du pays, est abondamment citée dans l’iconographie patriotique du temps.

Croquis d'épées

Fig. 14. Épée à deux mains, Allemagne du Sud, vers 1540, détail. Acier, bois, cuir, cordonnet, 180,4 x 36,2 cm. Échange avec l’Arsenal de Berne, 1873 © MAH, photo : Flora Bevilacqua, inv. B 257. Sur la lame, la marque « ZB » (Zeughaus Bern) de l’Arsenal de Berne. Cette arme, qui atteint fréquemment la hauteur d’un homme, doit son nom à une poignée particulièrement longue destinée à être saisie à deux mains. Au XVe siècle et dans la première moitié du siècle suivant, elle est particulièrement appréciée des fantassins suisses et de leurs compétiteurs allemands, les lansquenets.

Fig. 15. Hippolyte-Jean Gosse (1834-1901), Croquis d’armes de l’Arsenal de Soleure, 25 août 1870. Mine de plomb sur papier, 15 x 23,6 cm © BGE, Iconographie, inv. gosse ms 2 2 006. Trois ans avant l’échange avec Berne, Gosse avait déjà repéré une quinzaine d’épées à deux mains à Soleure.

Croquis d'armes anciennes

Fig. 16. Hippolyte-Jean Gosse (1834-1901), Croquis d’armes de l’Arsenal de Lucerne, 1874. Mine de plomb sur papier, 19,4 x 27,1 cm © BGE, Iconographie, inv. gosse ms 2 2 044. Au centre, à propos de la pièce convoitée – un vouge dit « suisse », forme primitive de hallebarde –, Gosse note à regret : « il n’y en a qu’une on ne peut pas échanger ».

Fig. 17. Vouge, Suisse, 1ère moitié du XVe siècle, détail. Acier, bois (restitution), long 212 cm. Achat, 1877 © MAH Genève, photo : Flora Bevilacqua, inv. B 254. Genève finira par obtenir quelques exemplaires de cette arme emblématique, dont ce fer acquis trois ans après le passage de Gosse à Zurich.

Tout aussi symboliques, les hallebardes « suisses » qui viennent enrichir la collection d’armes d’hast genevoises comprennent essentiellement, à côté d’exemplaires du XVIe siècle, des variantes tardives dites – selon la dénomination du temps – « de Sempach » ou « à la nouvelle manière de Sempach », en référence à la fameuse victoire des Confédérés sur la maison d’Autriche non loin de la ville lucernoise du même nom (9 juillet 1386). Si à l’époque de Gosse ‒ et parfois même aujourd’hui encore ! ‒ on les considère comme typiques du XVe siècle, elles témoignent en réalité du renouveau de la hallebarde en Suisse au cours du XVIIe siècle, alors même que cette arme est depuis longtemps obsolète du point de vue de la technique militaire (fig. 18-23).

Croquis d'armes anciennes

Fig. 18. Hippolyte-Jean Gosse (1834-1901), Croquis d’armes de l’Arsenal de Zurich, 1874. Mine de plomb et encre sur papier, 19,4 x 27,1 cm © BGE, Iconographie, inv. gosse ms 2 2 043. Parmi les armes représentées, une hallebarde dite de Sempach de type zurichois, légendée « peuvent encore échanger ».

Fig. 19. Hallebarde dite de Sempach, type zurichois, Lamprecht Koller (actif vers 1645-1681), Würenlos (Argovie), entre 1663 et 1681, détail. Acier, bois, long 231 cm. Échange avec l’Arsenal de Zurich, 1874 © MAH Genève, photo : Flora Bevilacqua, inv. B 169. Cet armurier originaire de Styrie, établi vers 1645 à Würenlos, livre plus d’un millier de hallebardes à l’Arsenal de Zurich dans la seconde moitié du XVIIe siècle.

Croquis d'armes anciennes

Fig. 20. Hippolyte-Jean Gosse (1834-1901), Croquis d’armes de l’Arsenal de Soleure, 25 août 1870. Mine de plomb sur papier, 15 x 23,6 cm © BGE, Iconographie, inv. gosse ms 2 2 008.

Fig. 21. Hallebarde dite de Sempach, type soleurois, Suisse, vers 1620-1650, détail. Acier, bois, long 236,8 cm. Achat, 1876 © MAH Genève, photo : Flora Bevilacqua, inv. B 253. Semblable à la pièce repérée à Soleure en 1870, cet exemplaire est acquis par Gosse six ans plus tard.

Croquis d'armes anciennes

Fig. 22. Hippolyte-Jean Gosse (1834-1901), Liste de pièces proposées à l’échange avec les arsenaux de Soleure et de Berne, vers 1870-1871. Mine de plomb sur papier, 21,9 x 14,3 cm © BGE, Iconographie, inv. gosse ms 2 1 007.

Fig. 23. Hallebarde dite de Sempach, type bernois, Suisse, 3e quart du XVIIe siècle, détail. Acier, bois, long 238 cm. Échange avec l’Arsenal de Berne, 1873 © MAH Genève, photo : Flora Bevilacqua, inv. B 234. On reconnaît la silhouette caractéristique de cette arme dans la liste de Gosse.

Quant aux pièces dont Genève se départit lors de ces différentes transactions, elles relèvent de quelques types qui étaient – et sont toujours, pour la plupart – bien représentés dans le fonds de l’ancien Arsenal, lequel, guerres contre la Savoie obligent, est particulièrement riche pour la période 1550-1650. La principale « monnaie d’échange » genevoise est ainsi constituée par différents modèles de casques en usage dans le dernier tiers du XVIe siècle : cabassets, morions pointus et morions à crête, tantôt « blancs », c’est-à-dire laissé de la couleur de l’acier poli, tantôt noircis tout ou partie. On se défait également de deux demi-armures portées par la cavalerie légère genevoise vers 1575, d’au moins dix pistolets à rouet du dernier tiers du XVIe siècle ainsi que deux fontes (étuis) de pistolets de la même époque.

Des objets semblables sont reproduits par Gosse sur deux pages de croquis qui se distinguent par le soin apporté à leur exécution. Leur facture rend très vraisemblable l’hypothèse que ces feuillets anépigraphes aient servi au conservateur de « catalogue » des armes pouvant être échangées par son institution : sur l’un sont représentés une demi-armure de cavalerie, des morions et un cabasset (fig. 24-25), sur l’autre une bandoulière porte-charges et une fonte de pistolet à rouet avec couvercle (fig. 26-27), pièces en cuir d’une grande rareté dont la collection genevoise était alors bien pourvue. Si les deux fontes de pistolet proposées à l’Arsenal de Berne dans les listes manuscrites laissées par Gosse ont bel et bien fait l’objet d’un échange, les registres n’ont pas conservé la trace d’une telle transaction pour les deux « colliers de charge » proposés conjointement. Quant à l’échange avorté avec Soleure, il prévoyait lui aussi à l’origine l’envoi de pièces similaires (voir fig. 22).

Croquis d'armes anciennes

Fig. 24. Hippolyte-Jean Gosse (1834-1901), Croquis d’armes de l’Arsenal de Genève, vers 1870. Mine de plomb sur papier, 14,9 x 23,4 cm © BGE, Iconographie, inv. gosse ms 2 1 001.

Fig. 25. L’un des morions genevois échangés avec Berne. Illustration tirée de l’ouvrage de Rudolf Wegeli, Inventar der Waffensammlung des Bernischen Historischen Museums in Bern, I, Schutzwaffen, Berne 1920, no 51, p. 31, fig. 22. Comme c’est généralement le cas, le poinçon de l’Arsenal de Genève, signalé par l’auteur, est frappé au centre du bord.

Croquis d'armes anciennes

Fig. 26. Hippolyte-Jean Gosse (1834-1901), Croquis d’armes de l’Arsenal de Genève, vers 1870. Mine de plomb sur papier, 15 x 23 cm © BGE, Iconographie, inv. gosse ms 2 1 002.

Fig. 27. Paire de fontes, Suisse ?, Allemagne ?, vers 1575. Cuir, fer, long 59 cm, 1250 g. Fonds de l’ancien Arsenal de Genève © MAH Genève, photo : Flora Bevilacqua, inv. 88.

Fig. 28. Bandoulière porte-charge, Suisse ?, début du XVIIe siècle. Bois, cuir, 280 g. Fonds de l’ancien Arsenal de Genève © MAH Genève, photo : Flora Bevilacqua, inv. K 74-1. Cet accessoire servait à transporter les flacons avec les charges de poudre, le pulvérin contenant la poudre d’amorce ainsi qu’un sac à balles.

Lorsqu’Hippolyte-Jean Gosse meurt le 22 février 1901 à l’âge de soixante-sept ans, cela fait trente-cinq ans qu’il est à la tête de la Salle des Armures. Quel bilan peut-on tirer de son action au cours de ces trois décennies ? Il faut d’abord porter à son crédit, on l’a vu, la préservation de l’ensemble patrimonial hérité du fonds de l’ancien Arsenal ainsi que l’accroissement et la diversification de la collection, souvent sur ses propres deniers. Tout en s’attachant à collecter les objets documentant le passé militaire local, il a activement contribué à inscrire l’ensemble genevois dans une perspective suisse en acquérant des pièces évoquant les grands faits d’armes des Confédérés, mais surtout en instaurant une série d’échanges fructueux avec différents arsenaux cantonaux. Il ressort ainsi que sans sa présence au moment crucial où, de salle d’armes d’arsenal, la Salle des Armures se mue en institution muséale à part entière, la collection d’armes du MAH n’aurait pas l’envergure qui est la sienne aujourd’hui.

Notes

  • 1.
    Danielle Buyssens, Vincent Chenal, Frédéric Elsig (dir.), Naissance des musées modernes à Genève au XIXe siècle, Georg éditeur, Genève 2023
  • 2.
    Journal de Genève, 23 février 1901, p. [2]
  • 3.
    Voir Béatrice Blandin, « Le Musée cantonal d’histoire et d’archéologie nationales », in : Naissance des musées modernes à Genève au XIXe siècle, Genève 2023, pp. 155-185.
  • 5.
    Sur cet épisode, voir Corinne Borel, « La collection de la Salle des Armures de l’Arsenal rebaptisée Musée historique genevois (1870-1896) », in : Naissance des musées modernes à Genève au XIXe siècle, Genève 2023, pp. 187-215.
  • 6.
    Cet usage est rapporté par l’historien de l’art allemand Auguste Demmin (1817-1898), qui a lui-même acquis à l’Arsenal en 1863 un morion gravé (Auguste Demmin, Encyclopédie des sciences, lettres et arts et revue panoptique de la Suisse, Paris 1872, p. 238, note 1).
  • 7.
    Jaques Mayor, La Question du Musée, Genève 1899, p. [1]
  • 8.
    BGE, Ms. fr. 2724-2749, et BGE, Iconographie, inv. gosse ms 1-4
  • 9.
    Cinquante ans avant le passage de Gosse, un visiteur signalait à propos des « vieilles armures » de l’Arsenal soleurois « [qu’]il s’en trouve de femmes, pour les amazones qui avaient la fantaisie de guerroyer. » (D.-J.-C. Verfèle [Denis-Joseph-Claude Le Fèvre], Pèlerinages d’un Childe-Harold parisien, aux environs de la capitale, en Lorraine, en Alsace, à Lyon et en Suisse, tome II, Paris 1825, p. 242). Le plastron historiciste vu par le Genevois est cependant entré dans la collection par voie d’échange avec l’antiquaire J. A. Borrer le premier avril 1849 (« Frauenharnisch », inv. MAZ 206 ; communication de Claudia Moritzi, directrice du Museum Altes Zeughaus). Cette tradition est encore rapportée – avec circonspection – dans le catalogue publié en 1905 (Rudolf Wegeli, Katalog der Waffen-Sammlung im Zeughause zu Solothurn, Soleure 1905, p. 28, no 206).

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