Ulay de retour au MAH

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Performance inédite de l’artiste allemand dans les salles Palatines

Le 5 avril, le pionner de la performance Ulay a fait son grand retour au Musée d’art et d’histoire avec Invisible Opponent (Adversaire invisible). Allongé sur un miroir en cuivre recouvert d’une pellicule de craie, l’artiste allemand s’est efforcé de gratter la surface à la recherche de son reflet, avec lequel il s’est ensuite battu. Cette mise en scène était en lien direct avec une performance historique, Balance of Proof, qu’il avait donnée au musée 39 ans plus tôt. En 1977, Ulay et Marina Abramović se tenaient de part et d’autre d’un miroir à deux faces, qu’ils tentaient de faire tenir par la force de leurs deux corps nus. De quoi marquer les esprits des spectateurs réunis dans la salle AMAM du MAH.

Qu’avez-vous ressenti en revenant sur les lieux de votre performance Balance of Proof?

Un intérêt historique, un peu de nostalgie, de la curiosité… Ici peu de choses se sont passées en 39 ans: on dirait que rien n’a changé.

Il y a 39 ans, vous vous mettiez en scène dans la salle AMAM. Pourquoi avoir plutôt choisi l’une des salles Palatines pour Invisible Opponent ?

Ce n’était pas un choix. Aujourd’hui la salle AMAM est occupée par la grande machine de Tinguely [Cercle et carré éclatés, 1981], qu’il n’est pas aisé de démonter ou de reconstruire. Les deux salles sont tout aussi belles; j’ai trouvé cette salle Palatine magnifique. Mais la nostalgie ne me brûlait pas au point de ressentir le besoin d’être exactement dans la même salle.

Ulay dans Invisible Opponent, le 5 avril au Musée d’art et d’histoire © photo : Mike Sommer, MAH Genève, courtesy of the artist, 2016
Ulay dans Invisible Opponent, le 5 avril au Musée d’art et d’histoire
© photo : Mike Sommer, MAH Genève, courtesy of the artist, 2016

Comment avez-vous élaboré cet Invisible Opponent?

Initialement, je tenais à faire ma performance en contact direct avec le miroir en cuivre rose. Mais deux jours avant, j’ai pris la décision de le peindre avec de la craie et de travailler avec cette surface. Une demi-heure avant le début, je n’étais pas encore sûr de ce que j’allais faire. C’est typique. Le motif qui est apparu était également improvisé. Lorsque j’ai commencé à gratter, j’ai pris plaisir à créer des sons – ce qui n’était pas du tout mon intention. C’est d’ailleurs ainsi que j’aime travailler, en toute spontanéité. Je ne refais jamais les mêmes performances; si c’était à refaire, je ferais différemment. La présence des nombreux spectateurs m’a aussi beaucoup influencé.

Pouvez-vous nous en dire plus sur ce titre, Invisible Opponent?

L’adversaire invisible est moi-même. J’ai gratté la craie sur la surface du miroir de manière à trouver mon reflet et lutter avec cette vision. L’idée que chacun a en lui son propre ennemi m’intéresse. On est souvent en désaccord avec sa voix intérieure, lorsque l’on est forcé de faire quelque chose que l’on désapprouve par exemple. À mon sens, on prend beaucoup trop de décisions à contre cœur. Appelez cette dualité comme vous voulez – le Yin et le Yang, le soi et l’autre… On est tous pétri de contradictions. En l’occurrence, je me faisais face, j’étais en lutte avec moi-même. Et il était temps!

Ulay dans Invisible Opponent, le 5 avril au Musée d’art et d’histoire © photo : Mike Sommer, MAH Genève, courtesy of the artist, 2016
Ulay dans Invisible Opponent, le 5 avril au Musée d’art et d’histoire
© photo : Mike Sommer, MAH Genève, courtesy of the artist, 2016

Vous avez gravé quatre mots : Nowness, Suchness, Enough et Not I. À quoi réfèrent-ils?

J’avais beaucoup d’idées en tête avant de débuter. Puis j’ai pensé que cette performance était reliée à celle de 1977 sur le plan historique, mais je n’avais pas très envie d’intégrer des mots qui auraient fait directement référence à Marina Abramović. Le matin-même, j’ai choisi 4 titres de livres, de poèmes et de proses de Samuel Beckett, qui est mon écrivain préféré. Je possède l’une des plus grandes collections de premières éditions de Beckett, des lettres… Il m’a énormément influencé.

Il y a une forte notion de symétrie dans le motif créé ainsi que dans vos gestes. Balance of Proof comportait cette même symétrie. Diriez-vous qu’elle est caractéristique de votre travail?

Non, je ne peux pas dire que j’ai l’ambition ou le besoin de symétrie. C’est une notion trop politique à vrai dire – les régimes fascistes ont ce désir de tout aligner. Lorsque je me suis mis debout et que j’ai quitté «l’arène», le motif vu dans son ensemble m’a quelque peu fait penser au drapeau sud-coréen, qui présente ces mêmes hexagrammes que l’on retrouve dans le livre du Yi-Jing [manuel de divination chinois]. En 1977, nous recherchions avec Marina à trouver l’équilibre entre nous, en tentant de faire tenir ce miroir entre nos deux corps. L’idée était de savoir combien de temps nous étions capables de le faire tenir debout seul, avec pour objectif de partir au même moment pour ne pas se faire écraser. Marina est partie un peu avant, et le miroir s’est retrouvé contre moi avant de s’affaisser dans l’autre direction.

Ulay dans Invisible Opponent, le 5 avril au Musée d’art et d’histoire © photo : Mike Sommer, MAH Genève, courtesy of the artist, 2016
Ulay dans Invisible Opponent, le 5 avril au Musée d’art et d’histoire
© photo : Mike Sommer, MAH Genève, courtesy of the artist, 2016

Que va-t-il advenir du miroir d’Invisible Opponent?

Comme vous vous en doutez, je ne suis pas une personne «à objet», mais je crois que je vais le conserver, ne serait-ce que parce qu’il a coûté très cher à fabriquer. Il ne serait donc pas correct de le jeter ou de le donner. Je pense que je vais l’entreposer en attendant de prendre ma décision [le miroir va être exposé dans le cadre de la rétrospective consacrée à Ulay à la Schirn Kunsthalle de Francfort, du 13 octobre 2016 au 8 janvier 2017].

Quel souvenir avez-vous de votre performance avec Marina Abramović au Palais Wilson en 1987?

Je l’avais complètement oubliée! Sans doute parce qu’elle n’est mentionnée nulle part, dans les monographies ou les catalogues d’expositions, et qu’il n’y en existe aucun document ou témoignage photographique ou vidéo. Maintenant que je m’en rappelle, j’en ai un excellent souvenir. Pour l’occasion, j’avais créé un dispositif visuel très contraignant pour les yeux. J’ai combiné des couleurs analogiques (bleu, vert et blanc) qui, projetées sur un écran, créaient une image noire très difficile à regarder. Devant l’écran, nous avions empilé des chaises. J’étais assis en haut de cette colonne, sur les quatre pieds d’une chaise à l’envers, tentant de garder mon équilibre. Marina avançait vers moi avec une lenteur extrême, sous la menace directe de la chute des chaises. Les conditions lumineuses rendaient toute photographie impossible. Cette incapacité d’enregistrer quoi que ce soit me plait aussi.

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