Les tessons mycéniens du MAH

À la rencontre d’un matériel d’étude inédit

L’exposition L’ordre n’a pas d’importance, proposée au MAH du 21 juillet au 29 octobre 2023, est l’occasion de s’intéresser à l’évolution de la présentation des salles d’archéologie. En 1910, date de la construction du musée, les vitrines présentant les antiquités classiques renfermaient non seulement des séries de vases intacts, mais également un lot de tessons mycéniens, reçu par échange. Ce matériel, étudié par Laetitia Phialon, ancienne membre suisse de l’École française d’Athènes (2013-2016) et spécialiste en protohistoire égéenne, a été sorti des réserves pour être en grande partie exposé. Comme à l’époque, il est présenté dans les anciennes vitrines réalisées par l’architecte Marc Camoletti.

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La céramique constitue l’une des productions artisanales majeures de la civilisation mycénienne. Renommée pour sa richesse, ses palais et son écriture, cette civilisation prédomine en Grèce au cours de la seconde moitié du deuxième millénaire av. J.-C. Façonnée au tour rapide, la céramique mycénienne est fine et se distingue par son décor à peinture lustrée. Elle représente à la fois un marqueur culturel indéniable en Égée et un témoignage solide des échanges pratiqués en Méditerranée orientale au Bronze Récent.

Au début du XXe siècle, un lot de fragments de céramiques antiques provenant de Grèce et comportant de nombreux tessons mycéniens venait enrichir les collections du MAH.

trois vases en terre cuite

Fig. 1. Vases mycéniens découverts à Chypre (alabastre à paroi droite, jarre à étrier et cruche à bec miniature), acquis par Louis Castan-Bey en 1877.

Comme il est rapporté dans le Compte rendu de l’Administration municipale pendant l’année 1905, cette série de fragments fut acquise par voie d’échange par l’intermédiaire de Georges Nicole, ancien membre de l’École française d’Athènes (EFA) et au bon vouloir de Valérios Staïs, alors directeur du Musée national archéologique d’Athènes. Georges Nicole, spécialiste de céramique grecque antique, fut par ailleurs le premier membre suisse de l’EFA (1902-1903), le plus ancien établissement étranger dévolu aux recherches archéologiques en Grèce et fondé en 1846. Figure incontournable de l’archéologie classique en Suisse, Waldemar Deonna lui succèdera, avant d’exercer comme professeur à l’Université de Genève (1920-1955) et directeur du MAH (1920-1951).

Les 70 tessons mycéniens de ce lot couvrent une période allant de 1500 (Helladique Récent II A) à 1150 av. J.-C. (Helladique Récent III C Moyen). Leur pâte claire varie du beige rosé au beige orangé. La plupart d’entre eux sont recouverts d’un engobe beige clair. La peinture est de couleur rouge, brune ou noire. Les formes, lorsqu’elles sont identifiables, sont variées. Des alabastres plats, des bols profonds et des jarres à étrier sont bien représentés parmi ce matériel fragmentaire. D’autres types de jarres et de vases à boire telle la kylix, ainsi qu’un fragment de cratère sont également identifiés dans ce lot. Quant aux motifs, dont la liste est longue, on se limitera à noter la présence récurrente de spirales et de triglyphes (fig. 2), à côté de motifs plus rares mais caractéristiques de cette classe céramique : les fleurs (fig. 3), les coquillages (fig. 4), le « tricurved arch », la bande foliée, la boucle hachurée, le motif rocheux (fig. 5) et les écailles.

Fragment de vase ancien

Fig. 2. Fragment de bol profond mycénien, décoré d’un triglyphe avec semi-rosette, découvert à Mycènes (datation : 1320-1250 av. J.-C., Helladique Récent III B1). Inv. no 4191. Photo : Flora Bevilacqua

Fragment de vase ancien

Fig. 3. Fragment de bol profond mycénien, décoré d’une fleur, découvert à Mycènes (datation : 1320-1250 av. J.-C., Helladique Récent III B1). Inv. no 4190. Photo : Flora Bevilacqua

Fragment de vase ancien

Fig. 4. Fragment de jarre à étrier mycénienne, décoré d’une rangée de coquillages, découvert à Mycènes (datation : 1370-1250 av. J.-C., Helladique Récent III A2-III B1).Inv. no 4203. Photo : André Longchamp

Fragment de vase ancien

Fig. 5. Fragment d’alabastre plat mycénien, décoré d’un motif rocheux, découvert à Mycènes (datation : 1450-1400 av. J.-C., Helladique Récent II B). Inv. no 4055. Photo : Flora Bevilacqua

Il est tout aussi intéressant de relever que plusieurs de ces tessons proviennent de Mycènes, peut-être de Tirynthe, deux sites palatiaux mycéniens. D’autres sont issus de l’Héraion d’Argos, le sanctuaire antique dédié à Héra. Du matériel mycénien provenant de ces sites a été fourni par Staïs, qui occupait depuis 1885 la position d’Ephore des Antiquités en Argolide et Corinthie. Responsable de sa gestion, Staïs connaissait bien ce matériel. Cela explique aussi la présence dans le lot de quelques tessons à peinture mate du Bronze Moyen, soit de la première moitié du deuxième millénaire av. J.-C., issus eux aussi de l’Héraion d’Argos. De même, on peut trouver parmi les fragments acquis en 1905 plusieurs tessons néolithiques de Dimini et Sesklo, en Thessalie (fig. 6), deux acropoles où Staïs mena de premières investigations en 1901, ouvrant ainsi la voie aux fouilles de Christos Tsountas dans les années qui suivirent.

Fragment de vase ancien

Fig. 6. Fragment de céramique néolithique, découvert à Dimini ou Sesklo (datation : 5000-4300 av. J.-C., Néolithique Récent II). Inv. no 4023. Photo : André Longchamp

Outre des fouilles archéologiques entreprises à Épidaure et Antikythera, Staïs fut aussi très actif en Attique, à Rhamnonte, Thorikos, Sounion et Marathon. C’est sans doute ce qui explique que la collection de céramique mycénienne du MAH s’enrichit en 1906 de neuf vases mycéniens provenant de Thorikos (fig. 7), acquis par Georges Nicole. Bien que ces vases aient été publiés à différentes reprises, nous ne disposons pas d’informations plus précises sur les modalités de leur achat.

Vase mycénien

Fig. 7. Jarre piriforme mycénienne (datation : 1370-1320 av. J.-C., Helladique Récent III A2). Inv. no 4318. Photo : André Longchamp

La remarque émise dans le Compte rendu de 1905, selon laquelle le matériel mycénien paraît rarement représenté dans les musées européens hors de Grèce au début du XXe siècle, n’est depuis longtemps plus fondée. Les grands musées archéologiques possèdent tous de nos jours des collections d’objets émanant de cette brillante civilisation. Le MAH, qui acquit d’autres vases et objets mycéniens dans les années 1920, 1950 et 1960, en fait partie.

Pour en savoir plus :

  • Brenno Bottini, « Les vases mycéniens du Musée d’art et d’histoire de Genève », Genava : revue dhistoire de lart et darchéologie 33, 1985, p. 23-63.
  • Penelope Mountjoy, Regional Mycenaean Decorated Pottery, 1999.
  • Jean Servais, « Vases mycéniens de Thorikos au Musée de Genève », dans Thorikos IV, 1966/1967. Rapport préliminaire sur la quatrième campagne de fouilles, 1969, p. 53-69.

Texte écrit par Laetitia Phialon, ancienne membre suisse de l’École française d’Athènes (2013-2016) et spécialiste en protohistoire égéenne.

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