L'épopée d'une mosaïque

Une mosaïque de l’Antiquité rejoint le MAH

Sans mage mais à dos de dromadaire, la curieuse épiphanie d’une mosaïque de l’Antiquité tardive est venue enrichir les collections du Musée d’art et d’histoire…

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Pour parachever la construction de la Crèche des Asters, le Conseil administratif de la Ville de Genève décidait, le 28 novembre 1975, d’en orner l’entrée d’une importante mosaïque antique originaire de Syrie. L’idée émanait des architectes et l’œuvre fut acquise sur le crédit de construction du bâtiment. Le décor – un dromadaire et son chamelier – pouvait certes plaire aux jeunes enfants, toujours prêts à s’émouvoir devant des animaux, voire évoquer de façon lointaine l’épiphanie; on ne saurait pour autant nier une intention culturelle clairement manifestée à travers le choix d’un document remarquable tant par la technique utilisée que par son ancienneté historique. Au reste, la rareté du motif entraîna des hésitations de l’expert alors consulté, à en juger par une fiche cartonnée conservée par le Fonds d’art contemporain de la Ville de Genève, qui data d’abord la composition du VIe siècle (après J.-C.), avant de corriger cette indication en la faisant remonter au IVe siècle.

Peu nombreux sont les enfants – et leurs parents – qui peuvent s’en souvenir… En effet, peu après son installation, la mosaïque fut recouverte par une fausse cloison. C’est en la démontant, durant l’été 2013, que l’œuvre réapparut à la surprise générale. Le responsable de la Crèche prévint immédiatement le Fonds d’art contemporain de la Ville de Genève, qui prévint à son tour le Musée d’art et d’histoire, et les trois institutions se lancèrent alors dans différentes recherches archivistiques qui ont permis d’établir l’itinéraire récent de cet inattendu supplément au patrimoine municipal.

Un dromadaire sûrement pas seul

Cette mosaïque représente un dromadaire et son chamelier, se dirigeant vers la droite, entourés de motifs végétaux. Une clochette orne le cou du dromadaire. Il porte un harnachement avec aigrette ainsi qu’un tissu à franges sur son arrière-train. Il est lié à une longe qui continue sur la partie manquante de la mosaïque (à droite). Le chamelier, dont seuls les pieds et les jambes sont visibles, est assis sur une selle, fixée au dos de sa monture. Au sol, quelques motifs végétaux évoquent la rare flore parsemant les pistes des déserts. Aucune longe n’étant accrochée à l’arrière de l’animal, ce dernier devait probablement clore la marche. On peut en déduire que cet extrait faisait partie d’un ensemble bien plus vaste représentant une caravane en mouvement.

La mosaïque en salle romaine du MAH

Du dromadaire dans les mosaïques

La représentation de caravanes et de dromadaires est rare dans les mosaïques qui nous sont parvenues. L’exemple le plus abouti est sans doute celui conservé au Great Palace Mosaic Museum d’Istanbul: une scène du VIe siècle après J.-C, extraite du pavement du Palais impérial de Constantinople, montre deux enfants sur un dromadaire, mené par un chamelier. Elle reste éloignée de la mosaïque du Musée d’art et d’histoire par son style plus réaliste et la qualité de son exécution.

En Syrie, au Château de Bosra à Deir el-Adas, une autre mosaïque représentant une caravane est précisément datée de 621 après J.-C. Elle affiche davantage de similitudes avec la mosaïque du MAH. Elle met en scène un homme qui guide la caravane en tenant la première bête par une longe. Les dromadaires sont attachés les uns aux autres et portent une clochette autour du coup ainsi qu’un harnachement surmonté d’une aigrette. On retrouve aussi le même type de motif floral que sur l’œuvre genevoise. Cependant, bien qu’il y ait de fortes ressemblances dans l’iconographie, le rendu stylistique lui-même reste considérablement éloigné de notre exemplaire.

Il faut remonter plus loin dans le temps pour trouver un parallèle probant à la mosaïque genevoise, toutes deux d’un style «provincial» (notamment dans la dimension relativement importante des tesselles). On peut en effet observer de grandes similitudes entre notre mosaïque et la représentation d’une caravane provenant de la Grand Colonnade d’Apamée (Syrie), sur les rives de l’Oronte, datée de 469 après J.-C. Sur cette scène, seuls deux dromadaires attachés l’un à l’autre sont figurés. Ils portent le même type de parure et de selle ainsi que le même harnachement avec aigrette et clochette que l’animal représenté sur notre mosaïque. Les motifs végétaux les entourant sont aussi tout à fait similaires.

Le traitement stylistique est également semblable. On retrouve dans les deux scènes cette façon de réaliser les yeux de l’animal en «accent circonflexe» et de représenter la queue en forme «d’épi de blé». Les dromadaires affichent enfin un rendu similaire de leurs pieds, une raideur caractéristique de leur patte arrière ainsi qu’une courbure de l’arrière-train très accentuée.

Si on se réfère à cette mosaïque et aux similitudes qu’elle affiche avec l’œuvre du Musée d’art et d’histoire, on pourrait trouver ici une indication quant à la provenance et à la datation de notre «mosaïque au dromadaire».

Article rédigé par Flore Higelin (stagiaire) en collaboration avec Jean-Luc Chappaz, conservateur en chef.

Remerciements à M. Alain Flament (Secteur Petite Enfance de la Servette), à M. Stéphane Cecconi (Fonds d’art contemporain de la Ville de Genève), à M. Didier Grange et ses collaborateurs (Archives de la Ville de Genève) et à Mme Marielle Martiniani-Reber (Musée d’art et d’histoire), ainsi qu’aux équipes du musée qui ont assuré le transport, l’installation et la présentation du monument en salle romaine.

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