L’eau-forte, un art à part entière

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Une technique de gravure qui remonte au XVe siècle

D’Urs Graf à Hans Hartung, en passant par Albrecht Dürer, Rembrandt, Giambattista Piranèse ou Claude Lorrain, nombreux sont les artistes à s’être adonnés à l’eau-forte, technique ancienne de gravure. Gros plan sur cet art, avec quelques exemples tirés de la vaste et exceptionnelle collection du Cabinet d’arts graphiques du Musée d’art et d’histoire.

Le procédé technique

Utilisée à l’origine par les orfèvres et armuriers du Moyen Âge, l’eau-forte est employée pour l’impression sur papier depuis le XVe siècle. Cette technique consiste à imprimer une image à partir d’une plaque en métal (fer, cuivre, zinc ou acier) sur laquelle le motif est gravé en creux grâce à un mordant (à l’époque l’acide nitrique, aujourd’hui le perchlorure de fer).

Une fois polie et dégraissée, la plaque (matrice) est recouverte d’une fine couche de vernis. L’artiste dessine dans celle-ci avec une pointe, dégageant les lignes où l’acide va pénétrer. Après avoir protégé le dos de la matrice, celle-ci est trempée dans le bain d’acide qui va mordre les parties dessinées. La durée de la morsure varie en fonction des effets désirés. Libérée de son vernis protecteur, la plaque est prête pour l’encrage et l’impression.

L’artiste peut apporter des modifications en répétant le processus, ce qui, lors d’une nouvelle impression, sera considéré comme un «état» de l’estampe. Les plaques gravées à l’eau-forte permettent de réaliser quelques centaines de tirages d’une qualité acceptable avant que leur usure ne soit visible.

Tout au long de l’histoire, l’eau-forte a souvent été utilisée en combinaison avec d’autres techniques de gravure comme le burin, la pointe sèche ou l’aquatinte.

Aspects historiques du XVe au début du XXe siècle

La première planche datée gravée à l’eau-forte est celle d’Urs Graf, Femme baignant ses pieds, en 1513. Au début du XVIe siècle, plusieurs artistes expérimentent cette technique. Parmi eux, Daniel Hopfer (1500-1563) ou Albrecht Dürer (1471-1528) qui réalise six eaux-fortes entre 1515 et 1518. En Hollande, Lucas van Leyden (1494-1533), entre autres, utilise l’eau-forte pour finir les plaques travaillées au burin.

Albrecht Dürer(1471-1528), L’Enlèvement de Proserpine sur une licorne, 1516.
Eau-forte sur fer, 305 x 210 mm ©MAH, inv. E 90-0098

En Italie, Franceso Mazzola, plus connu sous le nom de Parmigianino (1503-1540), est le premier à être considéré comme un peintre-graveur (il était déjà peintre quand il commence à utiliser l’eau-forte). Magnifique dessinateur, il comprend et intègre rapidement la liberté et la spontanéité de cette technique dans son œuvre. Quelques années plus tard, Federico Barocci (1535-1612), artiste novateur, grave ses estampes en mêlant la pointe sèche à l’eau-forte et le burin, ce qui créé des effets et nuances de tons inspirés de sa peinture. Il exerça une influence importante tant sur les derniers maniéristes, ses contemporains, que sur les premiers artistes baroques.

En France, les eaux-fortes les plus remarquables sont réalisées dans les années 1540 par les membres de l’école dite de Fontainebleau sous l’inspiration de Rosso Fiorentino et Francesco Primaticcio.

Le XVIIe siècle est considéré comme la période la plus notable de l’eau-forte, non seulement par la riche production d’estampes, mais aussi par une évolution des aspects techniques. Jusqu’alors, le vernis utilisé pour couvrir la matrice était un vernis mou et opaque qui permettait uniquement un dessin rudimentaire. Grâce aux découvertes techniques du graveur français Jacques Callot (1592-1635), la technique de l’eau-forte se perfectionne: il utilise l’«échoppe», outil proche du burin, présentant un profil triangulaire, qui permet des effets de variation dans la grosseur du trait; il abandonne également le vernis mou et utilise un vernis plus dur et transparent qui permet à l’artiste de revenir plus facilement sur sa composition et qui facilite l’exécution du trait qui devient presque semblable à celui du dessin; de plus, il met au point un procédé de morsure dite «à bains multiples», c’est-à-dire qu’il protège certaines parties de la plaque après une première morsure avant de la plonger à nouveau dans le bain d’acide. Cela lui permet de jouer avec l’épaisseur et la profondeur des tailles et de varier ainsi l’intensité de la ligne avec une grande précision.

Jacques Callot (1592-1635), I Gobbi: Le bossu à la canne, 1616-1622.
Eau-forte et burin, 63 x 89 mm ©MAH, inv. E 2005-0485

Toujours en France, le peintre-graveur Jacques Bellange (1575-1616) est connu pour ses eaux-fortes maniéristes dans lesquelles il réussit des effets proches de ses dessins à la plume et au lavis. Abraham Bosse (1604-1676), théoricien et graveur, explique la technique dans son Traité des manières de graver en taille douce sur l’airain par le moyen des eaux fortes et des vernis durs et mols, publié en 1645. C’est le premier manuel pratique et théorique sur l’eau-forte. Par ce biais, il essaye de faire accepter la gravure comme art majeur, au même titre que la peinture, la sculpture ou l’architecture.

Le grand aquafortiste du XVIIe siècle est Rembrandt van Rijn (1606-1669) qui exploite la technique au maximum de ses possibilités. Il utilise le procédé de bains multiples ainsi que différents types d’encrage, d’encre et de papier. Il a laissé environ trois cents planches gravées qui montrent son extraordinaire maîtrise.

Rembrandt Harmensz van Rijn(1606-1669), L’Orfèvre, 1655.
Eau-forte et pointe sèche, 77 x 56 mm ©MAH, inv. E 77-0265-014

Giovanni Benedetto Castiglione (1609-1665) et Claude Lorrain (1600-1682), tous deux actifs à Rome au XVIIe siècle, expérimentent la technique en représentant paysages et marines. En Italie, le siècle suivant est marqué, entre autres, par les séries de Giambattista Tiepolo, Scherzi et Capricci, ainsi que par les fameuses Prisons de Giambattista Piranèse. En France, la tradition de l’eau-forte est notamment assurée par Jean-Honoré Fragonard (1732-1806) et Gabriel de Saint-Aubin (1724-1780), mais celle-ci est, au XVIIIe siècle, principalement utilisée pour l’illustration de livres. En 1745, Charles Nicolas Cochin (1715-1790) retravaille le traité d’Abraham Bosse qui sert de base pratique et théorique jusqu’à la publication des ouvrages sur l’eau-forte de Martial Potémont et Maxime Lalanne au XIXe siècle.

Giovanni Battista Piranèse (1720-1778), L’Arc gothique, 1749-1761.
Eau-forte et burin, 412 x 545 mm ©MAH, inv. E 86-0343

S’il y a un artiste qui marque la transition entre les XVIIIe et XIXe siècles, c’est bien l’Espagnol Francisco de Goya (1746-1828). Dans sa première série d’estampes Les Caprices, publiée en 1799, il montre déjà l’originalité de son œuvre et la magnitude technique et intellectuelle de celle-ci. Ses gravures deviennent un témoignage et une critique visuels de la société de son temps. Sa production exercera une énorme influence sur les artistes qui lui succéderont.

Alors que la première moitié du XIXe siècle voit l’eau-forte tomber en désuétude à cause de l’apparition des nouveaux procédés d’impression tels que la lithographie ou la photographie, la deuxième moitié du siècle lui est plus favorable. «Décidemment, l’eau-forte devient à la mode», constate Charles Baudelaire en 1862 dans un article de la Revue anecdotique. L’eau-forte connaît alors un regain d’intérêt parmi les artistes les plus novateurs de leur époque. De l’École de Barbizon aux symbolistes de la fin du XIXe siècle, les peintres-graveurs renouvellent l’esthétique et font de l’eau-forte un moyen privilégié d’expression et d’expérimentation. Répandu en Europe, ce mouvement trouve en France et en Angleterre un écho particulier. Des figures telles que Félix Bracquemond (1833-1914) ou James McNeill Whistler (1834-1903) jouent un rôle remarquable durant cette période. La technique se développe à travers la création de sociétés dites d’aquafortistes et son usage s’étend jusqu’au milieu du XXe siècle lorsque le marché de la gravure diminue et que les artistes se tournent vers d’autres médias d’expression. Après 1945, certains artistes utilisent d’une manière importante la technique de l’eau-forte dans leur production artistique, c’est les cas, entre autres, de Hans Hartung, Markus Raetz, Henri Michaux, Pierre Tal Coat ou Pietro Sarto.

Félix Bracquemond (1833-1914), Le Corbeau, 1854.
Eau-forte, 224 x 176 mm ©MAH, inv. E 2009-0311

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