Un concert expérimental de Bach au Musée d’art et d’histoire
Grâce à la Fondation de la Ménestrandie, le Musée d’art et d’histoire a la chance de pouvoir proposer à ses visiteurs un programme de concerts annuels sur instruments anciens, l’occasion de rappeler l’existence de l’une de ses collections aujourd’hui conservées en réserve. Ainsi, samedi 5 octobre, pourra-t-on entendre les préludes et fugues du premier livre du Clavier bien tempéré de Johann Sebastian Bach, joués alternativement sur un clavecin et un pianoforte. Un chef-d’œuvre musical, exécuté sur instruments historiques pour une expérience d’écoute exceptionnelle!
Le programme du concert
L’année dernière, dans le Jura suisse et à Bâle, la claveciniste Nadja Lesaulnier et le fortepianiste Jean-Jacques Dünki, liés par une forte amitié musicale, ont présenté le tome II du Clavier bien tempéré de Bach, réparti entre un clavicorde (d’après Friderici, Gera 1773) et un clavecin (d’après Taskin, 1769). Cette expérience a encouragé les deux musiciens à poursuivre leur aventure commune: cette fois, ils proposent une lecture intégrale du premier livre de cette œuvre capitale, partagée entre le clavecin de Jacob Stirnemann (Lyon, 1777) et le pianoforte Weiss (Prague vers 1830), propriétés de la Fondation de la Ménestrandie et exposés au Musée d’art et d’histoire. Cette alternance révèle l’expression fort différente entre cordes pincées et cordes frappées, le clavecin étant plus proche de la pensée musicale du père Bach et le pianoforte de celle de ses fils, notamment Carl Philipp Emanuel Bach. À cela se rajoute une différence sensible du diapason, puisqu’il est de 392 Hz pour le clavecin et de 430 Hz pour le pianoforte. Le programme se déroule en groupes de six préludes et fugues, dans un ordre de quinte descendante, avec des moments de silence entre les deux mondes sonores pour mieux en apprécier les spécificités.
De quelques idées reçues sur les claviers rivaux
L’idée subsiste que l’intérêt pour le pianoforte a complètement éclipsé le clavecin, le reléguant aux oubliettes avant sa redécouverte au début du XXe siècle par Wanda Landowska. Or, à la période charnière entre la musique baroque et l’esthétique classique, les deux instruments coexistent dans un rapport de saine émulation. Carl Philipp Emmanuel Bach leur compose même un concerto commun!
Dans le même ordre d’idée, une anecdote raconte que Gottfried Silbermann, le célèbre facteur d’orgue qui simplifia la mécanique de Bartolomeo Christofori, l’inventeur du pianoforte, présenta ce nouvel instrument à Johann Sebastian Bach au milieu des années 1730. Ce dernier lui aurait alors reproché le manque d’ampleur sonore des aigus et la lourdeur du toucher. Cet épisode a contribué à ancrer l’idée que le maître de Weimar ne voulait rien avoir à faire avec le pianoforte. Hors en 1747, au Palais royal de Postdam, une nouvelle rencontre a lieu avec le pianoforte de Silbermann, bien plus fructueuse, l’instrument ayant été considérablement amélioré: Bach improvise alors une fugue à trois voix sur un thème proposé et exécuté par le Roi de Prusse en personne!
S’approprier si facilement un instrument, à l’époque si délicat à toucher, pourrait laisser supposer que le compositeur avait d’autres occasions d’en approcher. Aurait-il possédé un pianoforte? On ne le sait pas de source sûre, mais il est avéré qu’il était propriétaire de plusieurs «clavecins» à une époque où le terme italien de cembalo est utilisé indifféremment pour qualifier les instruments à cordes pincées et ceux à cordes frappées – même si pour ce dernier, il est parfois précisé «cembalo que fa il piano e il forte». Certains chercheurs vont jusqu’à émettre une hypothèse selon laquelle Bach a pu composer pour le pianoforte…
Il demeure que Le Clavier bien tempéré n’a cessé d’être remaniée par son auteur pendant près de trente ans, période durant laquelle sa relation au pianoforte a évolué. Une raison de plus, s’il en fallait, d’interpréter cette œuvre magistrale sur deux types d’instruments au Musée d’art et d’histoire!