Alexandre Calame et l'eau-forte

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Un grand peintre à l’immense talent de graveur

L’œuvre d’Alexandre Calame (1810-1864) occupe une place prépondérante dans l’histoire de la peinture du paysage suisse. Ses tableaux ont suscité un grand intérêt et ont été reconnus aussi bien au niveau national qu’international. Le Cabinet d’arts graphiques du Musée d’art et d’histoire possède un fonds conséquent de ses eaux-fortes, lesquelles ne devraient pas être oubliées.

Calame commence à graver à l’eau-forte en 1838. C’est probablement la première fois que des sites alpestres sont réalisés avec cette technique. À cette époque, le registre du paysage romantique est déjà bien établi en Suisse et en Europe, mais un élément déterminant va influer sur la méthode de travail de l’artiste: l’accès à la haute montagne. En la considérant comme un sujet digne d’être représenté, Calame s’inscrit dans le sillage d’autres artistes genevois, en particulier Pierre-Louis De La Rive et Wolfgang-Adam Töpffer, qui ont commencé à représenter la montagne pour elle-même. En 1835, il effectue son premier voyage dans les Alpes où il va désormais passer quasiment tous ses étés. Il en rapporte de nombreuses esquisses d’après nature qui serviront à l’élaboration de ses compositions en atelier.

Alexandre Calame (1810-1864), Les Six chèvres, 1838.
Eau-forte, roulette et pointe sèche sur chine collé, état I/II, 271 x 212 mm.
©MAH, inv. E 2011-0120-013

Cet intérêt nouveau pour la représentation du paysage va engendrer une production artistique abondante, notamment des vues touristiques, activité à laquelle Calame s’est également consacré à ses débuts pour arrondir ses maigres revenus de commis pour l’agent de change Diodati.

Séries d’eaux-fortes

Calame a regroupé ses planches à l’eau-forte en trois séries, datées de 1838, 1840 et 1845, montrant ainsi qu’il est conscient de leur valeur et de leur potentiel. Intitulées Essais de gravures à l’eau-forte, elles n’ont pas été créées à des fins mercantiles selon les exigences d’un éditeur, mais pour permettre à l’artiste de diffuser ses idées et ses principes techniques. Ses séries présentent un agencement semblable: elles sont toutes trois composées de treize planches, précédées d’une page de titre elle-même ornée d’un bloc de rochers portant le texte de la série, la date correspondante et le lieu, Genève. Une quatrième série inachevée réalisée entre 1840 et 1850 contient des formats plus importants qui font la synthèse de toutes ses précédentes eaux-fortes. Calame avait le projet de la réaliser avant sa mort mais n’en eut pas le temps.

Virtuosité technique

Alexandre Calame passe ses fins de journée dans l’atelier de François Diday où il grave pour varier les plaisirs et expérimenter différentes techniques graphiques, dont l’eau-forte sur cuivre. La peinture lui assure son revenu, aussi la gravure, comme le dessin, occupe une place marginale dans sa pratique. Cependant, Calame fait preuve d’un immense talent de graveur. En effet, ses premières réalisations ne montrent pas les faiblesses habituelles: lignes peu nettes, imprécisions dans l’utilisation de l’acide, rayures sur la planche ou saletés sur la cuvette. Si un mauvais essuyage des plaques est visible à certains endroits dans sa première série, l’évolution technique est manifeste dans les suivantes.

Alexandre Calame (1810-1864), Le Temple de Paestum, 1845.
Eau-forte, roulette et pointe sèche, état III/III, 107 x 163 mm.
©MAH, inv. E 2011-0222-004

Contrairement à d’autres graveurs qui travaillent en plusieurs étapes de réalisation pour arriver au résultat souhaité, Calame a en tête l’image qu’il veut produire et matérialise son idée dès le premier état. Ses différents états sont très similaires et les modifications sont très subtiles, voire presque imperceptibles. Cette manière de travailler démontre la clarté avec laquelle l’artiste conçoit ses œuvres à partir d’un motif et d’une idée bien définis, tout comme son souci de perfection.

La maîtrise de la représentation dont Calame témoigne dans ses toiles se remarque également dans ses eaux-fortes. S’il produit des effets sublimes dans sa peinture avec l’appui de la couleur, il en va de même dans ses gravures, malgré la réduction de la palette au noir et blanc, par des jeux de lumières et d’ombres aux contrastes d’une grande virtuosité. La précision, le soin et la sensibilité avec lesquelles l’artiste conçoit ses eaux-fortes concourent à produire l’impression d’une réalité extrême. La profondeur et la perspective qu’il obtient reflètent sa grande maîtrise technique. Si son œuvre graphique sert de base à ses compositions peintes, ses estampes permettent à l’artiste de diffuser son œuvre. Cependant, des nombreuses gravures sont créées d’une manière autonome au vu de leur qualité technique exceptionnelle. Il est capable de représenter les mêmes effets sur une composition, quelle que soit la taille de la surface. Ses eaux-fortes sont très souvent imprimées sur chine collé sur papier vergé, renforçant la texture, la profondeur des traits et les détails de la planche en les rendant plus minutieux.

Alexandre Calame (1810-1864), Un éboulement, 1840-1850.
Eau-forte, roulette et pointe sèche, état IV/IV, 181 x 254 mm.
©MAH, inv. E 2011-0193

Jeux de lumière

Ses compositions sont soigneusement équilibrées, avec un dessin linéaire et minutieux que l’on peut observer dans les détails. S’il se limite d’abord à l’eau-forte et à la roulette, Calame combine rapidement différentes techniques telles que la pointe sèche et la brosse métallique. Celles-ci lui permettent de créer des contrastes de clair-obscur plus intenses, rendant ses œuvres plus dramatiques. Les motifs principaux de ses planches apparaissent au premier plan avec un trait qui en délimite délicatement les contours. Les ombres et les masses sont obtenues au moyen de la roulette tandis que d’autres zones sont réalisées par un réseau de traits fins, tracés à la pointe dans différentes directions. Les variations de son trait, de sa pression, de sa profondeur et les différents encrages lui permettent de jouer avec les zones d’ombres et de lumière. Ces contrastes sont obtenus également par l’effet des barbes métalliques produites par la pointe sèche ou par la brosse métallique, laquelle génère des traits parallèles très réguliers. Calame montre ainsi un potentiel artistique et technique qui l’amène à des nuances de noir, gris et blanc. Certaines de ses eaux-fortes rappellent les modèles hollandais, notamment de Rembrandt. Calame voyage en Hollande en 1838 et s’intéresse surtout aux œuvres de Jacob Van Ruisdael et Meindert Hobbema. Il étudie les œuvres des maîtres anciens et s’imprègne du rendu minutieux des détails et des jeux de lumière.

Le paysage alpestre

Son œuvre est consacré principalement au paysage alpestre avec comme sujet préféré le torrent de montagne qu’il travaille constamment et dont il développe de nombreuses variantes. Dans d’autres œuvres, il grave la mer, la campagne, l’architecture rurale ou les ruines antiques mais son motif emblématique est l’Orage à la Handeck, gravé à l’eau-forte en 1840 et dont le MAH conserve la version peinte. La force surhumaine de la nature qu’il représente dévoile sa religiosité, un des aspects importants de sa vie privée. Les personnages et les animaux de ses gravures ne constituent jamais le sujet principal de ses compositions. Cependant, ils sont indispensables pour comprendre la dimension dramatique et sublime de la nature.

Alexandre Calame (1810-1864), Orage à la Handeck, 1840.
Eau-forte, roulette et pointe sèche, état IV/IV, 215 x 270 mm.
©MAH, inv. E 2011-0221-012

S’inscrivant dans les tendances artistiques de la première moitié du XIXe siècle, ses eaux-fortes représentent notamment une nature romantique qui a été bien reçue en France et en Allemagne. En Suisse, elle a été érigée en symbole national. Calame demeure ainsi l’un des chantres de la nature alpestre suisse qu’il a su magnifier à travers tous les médias de sa production artistique.

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