Surimono des arts vivants
Une sous-catégorie du surimono du Kamigata a trait aux arts vivants populaires du kabuki, du bunraku, de l’art du conte oral du rakugo, des geishas ou des joueurs de shamisen (instrument de musique traditionnel à cordes). Comme on le sait, les artistes professionnels populaires de l’ère Edo (1600-1868) étaient considérés officiellement par le gouvernement de Tokugawa comme appartenant à un statut inférieur, au bas de l’échelle sociale. Quoi qu’il en fût de l’infériorité de leur statut, ces artistes revendiquaient le surimono comme un moyen de communication avec leurs mécènes.
Nous avons une déclaration intéressante du chanteur de bunraku, Takemoto Sometayū VI (1797-1869), dans son entrée de journal du quatorzième jour du premier mois de l’année 1839, relative à la coutume consistant à utiliser le surimono pour communiquer avec les mécènes. Il venait d’hériter de l’ancien nom de son maître, Kajitayū :
« En héritant d’un nouveau nom, l’artiste et ses proches amis préparent un hokku (haïku), le font imprimer sur un bloc de bois de cerisier et distribuent le surimono aux mécènes appropriés. C’est la coutume habituelle, mais du fait des émeutes qui avaient éclaté durant le récent soulèvement d’Ōshio Heihachirō (1837), le gouvernement avait promulgué toutes sortes de directives interdisant l’opulence. Par conséquent, durant cette situation, la préparation du surimono et d’autres articles similaires nous avait été interdite. Pour communiquer ma joie d’avoir obtenu ce nouveau nom et par respect pour le shogun, j’ai donc écrit un haïku sur des éventails, que j’ai distribués. Comme mes éventails étaient simples, sans le moindre faste, cette façon de célébrer mon nouveau nom a encouragé les mécènes à me donner de l’argent et d’autres cadeaux. Non seulement j’ai trouvé un nouveau succès sur scène, mais j’ai rempli mon garde-manger et ma vie s’en est trouvée facilitée. Par contraste avec les destructions occasionnées par le soulèvement d’Ōshio, nous avons ici un exemple d’un ménage dont la fortune a prospéré malgré les troubles et l’incertitude régnant dans le monde.»
En 1839, la pratique du recours au surimono à des fins de promotion personnelle était certainement courante parmi les artistes. Combien étaient-ils conscients de l’importance de s’approprier ce genre, avec ses poèmes et ses images raffinées ? Cherchaient-ils à se promouvoir et à se projeter, eux et leur art, comme étant dignes de participer aux arts courtois (ga) normalement associés aux classes supérieures ? Chaque artiste offrait toujours un poème.
Le style premier de la représentation du kabuki à Edo et au Kamigata est l’ukiyo-e. Certains surimono du Kamigata comportent des images d’acteurs de kabuki dans un style ukiyo-e mais la vaste majorité de ceux liés aux arts vivants – invariablement lorsqu’ils sont lancés par les artistes eux-mêmes pour annoncer un changement de nom ou une commémoration – ont des images dans l’un des styles de peinture populaire à Kyoto-Osaka. Ce qui est fascinant, c’est que les images sur ces surimono n’ont presque jamais de lien direct avec les artistes eux-mêmes ou leur art.
Cette tendance se manifeste généralement dans les surimono du Kamigata du XIXe siècle, quel que soit le contexte. L’exposition de 1997 – Suijin-tachi no okurimono: Edo no surimono (Cadeaux cultivés : surimono de l’ère Edo 1600-1868) au Musée d’art de la ville de Chiba – a révélé une grande variété de surimono à travers le temps et le lieu d’origine, démontrant la difficulté de tirer des généralisations sur ce genre, au vu de la diversité des images en fonction des écoles de peinture et des poèmes, qu’il s’agisse de haïku, de kyōka ou de kanshi. Le surimono des « artistes vivants », qui annonce des changements de nom ou d’autres occasions de commémoration, semble être propre à la région du Kamigata. Asano Shūgo mentionne dans son introduction au catalogue du surimono que le style de Maruyama-Shijō prédomine dans les surimono du Kamigata du XIXe siècle.
Des différences de statut officiel existaient parmi les artistes : acteurs, chanteurs de bunraku, marionnettistes, travailleurs du sexe, geishas ou musiciens, mais ces derniers étaient généralement regroupés et se trouvaient bien en marge de la bonne société.
Examinons quelques-uns de ces surimono des arts vivants. La forme permettait à ces personnes de statut inférieur (néanmoins populaires) de se présenter comme des poètes et des artistes, plutôt que comme des artistes kawara-kojiki (« mendiants de lits de rivière »), selon une expression péjorative, qui devaient vendre leur art (ou leur corps) pour gagner leur vie.
Mes exemples sont des surimono du Kamigata mais, pour éprouver quelque peu la validité de mon argumentation, je voudrais d’abord considérer un surimono d’Edo par l’artiste ukiyo-e Utagawa Toyokuni I (1769-1825). Cette gravure (fig. 2) célèbre un acteur du Kamigata, qui se produisait à Edo. Le public de ce surimono aurait été constitué de mécènes, tant à Edo qu’à Kyoto-Osaka. Cette gravure est inhabituelle car Toyokuni dessine une image non dans le style ukiyo-e, qui est son mode habituel, mais dans le style Maruyama-Shijō de Kyoto, pour un surimono de large format ōbōsho.