Les traits aristocratiques perceptibles sur les sceaux byzantins

Jean-Claude Cheynet, professeur émérite à Sorbonne Université

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La notion d’aristocratie reste floue, notamment à Byzance1 . Elle renvoie bien au gouvernement des meilleurs, mais dans l’Empire byzantin, le basileus est, en principe, le seul maître à bord. Pourtant nul ne doute de l’existence d’une aristocratie byzantine. Elle se définit d’abord comme une aristocratie de service. Elle tire sa légitimité, mais aussi sa visibilité, de la délégation par l’empereur d’un pouvoir plus ou moins important, selon les fonctions exercées. Peu de choses relient un stratège des Anatoliques, à la tête, aux VIIIe et IXe siècles, du principal contingent de l’armée provinciale, un domestique des Scholes, qui commande les armées en l’absence de l’empereur, et tel obscur notaire d’un bureau de l’administration centrale à Constantinople2 . On classera cependant ces fonctionnaires dans le groupe aristocratique. Au sein de celui-ci, une dignité égale ou supérieure au protospatharat ouvrait aux titulaires les portes du sénat, institution aux pouvoirs limités, mais qui assurait l’entrée dans l’élite sociale.

Cette aristocratie était fondamentalement au service de l’Empire et, même dans les provinces, les notables, propriétaires fonciers, aspiraient à entrer dans la hiérarchie impériale. Elle n’était pas héréditaire, puisque toutes les dignités étaient viagères et toutes les fonctions révocables ad nutum, mais les plus puissantes lignées s’efforçaient avec succès de placer leur descendance dans des postes élevés, assez souvent dans les services où cette famille était implantée ou encore dans la région où elle exerçait une influence sociale, comme les Phocas en Cappadoce. Des familles restèrent au premier plan durant plusieurs siècles. Les Mélissènes, qui demeurèrent actifs au premier rang entre le VIIIe et le XVe siècle, détiennent une sorte de record de longévité. Certaines, en revanche, perdirent leur statut privilégié, en tombant en disgrâce, peut-être faute de descendance ou ruinées par des invasions, comme les familles anatoliennes privées de leurs domaines par l’occupation turque3 .

Cette classe aristocratique n’était pas hermétique, une brillante carrière militaire ouvrait, rarement certes, les portes de la haute société, car elle permettait une progression rapide dans l’échelle des fonctions et dignités, mais au XIe siècle, un cursus universitaire réussi offrait de belles perspectives dans les bureaux centraux de l’empire et laissait parfois accéder au cercle des familiers de l’empereur. Michel Psellos, le plus grand intellectuel de son temps et conseiller des empereurs, en constitue l’exemple le plus éclatant. Cette fluidité sociale a varié au cours des siècles et l’étude des sceaux est l’un des meilleurs instruments pour évaluer la part des hommes « nouveaux » au sommet de l’État. Qu’est-ce qui faisait la fierté de ces membres de l’aristocratie4 ? Bien sûr, le service de l’État qui se confondait avec celui de l’empereur, voire des plus grands personnages gravitant autour du basileus.

D’autres se vantaient de leur glorieuse lignée, de leur génos et de leurs illustres aïeux. Une partie de l’aristocratie micrasiatique, notamment, sans qu’on puisse parler d’un esprit de chevalerie, si caractéristique de l’Occident, avait le goût de l’exploit individuel, sans doute stimulé par la tradition de ses adversaires principaux, les Arabes, puis les Turcs qui magnifiaient leur bravoure sur le champ de bataille. Des combats singuliers sont signalés dans les récits de batailles. Pourtant, ces prouesses résultaient parfois de l’indiscipline et de la désobéissance aux ordres, ce qui était sévèrement condamné dans les manuels militaires byzantins.

Enfin, tous se sentaient chargés de la défense du peuple chrétien, que ce fût par la manifestation de leur piété envers le clergé ou les moines, ou, surtout, par l’action des armes au service du peuple élu de Dieu, constamment menacé par les païens ou pire, les impies Agarènes.

Ces aristocrates manifestaient leur supériorité sociale par leur mode de vie ostentatoire. Ils habitaient de somptueuses demeures, parfois données à titre viager par un empereur, et consommaient les produits les plus luxueux de leur époque, vaisselle métallique, soieries, icônes enchâssées d’or ou d’argent… Dans le cadre de leurs activités, ils étaient amenés à sceller des documents. Ces bulles ont été préservées en nombre significatif même si nous n’en avons conservé qu’une quantité très modeste par rapport à celles qui furent émises au cours du millénaire byzantin. Il a été frappé des millions de bulles, il en reste dans les musées et collections privées au moins 80 000, sans pour autant atteindre le nombre de 100 000, quoique leur nombre croisse sans cesse grâce aux fouilles archéologiques et surtout grâce aux découvertes « fortuites ». La différence considérable entre le nombre de bulles émises et celui des plombs parvenus jusqu’à nous s’explique de deux façons. D’une part, le métal utilisé, le plomb, est fragile, l’or étant réservé aux empereurs et, d’autre part, lorsque le document scellé perdait sa validité, on refondait la bulle pour en frapper une nouvelle.

Nous allons tenter de discerner ce qui, dans cet objet banal, transcrit, au moins partiellement, les sentiments aristocratiques, en offrant des exemples provenant des sceaux de la collection George Zacos, qui ont été offerts par sa veuve, Janet Zakos, au Musée d’art et d’histoire de la ville de Genève et qui sont dans un état de conservation remarquable5 .

Rappelons rapidement quelques traits des sceaux byzantins. Tous les hauts fonctionnaires civils ou militaires, ainsi que les notaires et chartulaires qui établissaient ou conservaient les documents officiels, disposaient d’un boullôtèrion servant à frapper leurs bulles. Des femmes en possédaient également. Serait-ce un indice que les bulles avaient aussi un usage purement privé, puisque ces dernières n’exerçaient pas de fonctions publiques, sauf à être impératrices. Ce n’est pas certain, car elles appartenaient toujours à la plus haute strate de la société et étaient sans doute gestionnaires de biens du fisc concédés par l’empereur, ce qui les introduisait indirectement dans l’administration fiscale.

L’usage des bulles est donc fréquent, globalement, depuis le VIe siècle jusqu’à la fin de l’Empire. Cependant il est atténué après 1204 car, si l’usage du sceau de plomb ne disparaît pas, il est plus souvent en cire, matériau qui ne résiste pas aux aléas du temps, sauf à être conservé avec le document qu’il authentifie6 . Les sceaux de cire étaient employés auparavant, comme en atteste la survie de bagues sigillaires, dont quelques-unes, en or, témoignent du prestige de leur propriétaire (CdN 2004-538).

1. Bague sigillaire, n° inv. CdN 2004-538 (© MAH Musée d'art et d'histoire, Ville de Genève. Don de la Fondation Migore, legs Janet Zakos, 2004)

+KEBO|HYEIYEOF|ILVb2SP2=S|TR2TVNKU9b|ERIVTV2

+ Κ(ύρι)ε βοήθει Θεοφίλῳ β(ασιλικῷ) σπ(αθαρίῳ) (καὶ) στρ(ατηγῷ) τῶν Κυβεριωτῶ(ν).

« Seigneur, aide Théophile, spathaire impérial et stratège des Cibyrrhéotes. »

Une telle bague, qui sert à marquer la cire, est exceptionnelle non par son inscription, mais par le matériau dans lequel elle est forgée, l’or, qui dénote le statut de Théophile, qui commandait, comme stratège, le thème maritime le plus important de l’Empire à la fin du VIIIe siècle, lorsqu’il fut vaincu en 790, fait prisonnier, puis exécuté sur l’ordre d’Hārūn al-Rashīd.

Un sceau est en quelque sorte une carte d’identité qui a eu tendance à se développer au cours des siècles. Au VIe siècle, il n’offre généralement qu’un prénom, puis est associé à une dignité et, à partir du VIIIe siècle, une fonction est de plus en plus souvent mentionnée. C’est au XIe siècle que les bulles les plus informatives sont frappées. Dans le meilleur des cas, elles donnent le nom de baptême, la ou les dignités, la ou les fonctions, le service ou le lieu où elles sont exercées, enfin le nom transmissible qui commence à être plus fréquemment noté à partir du Xe siècle, que nous appellerons par commodité nom de famille. Beaucoup de plombs sont ornés d’un motif iconographique choisi par le sigillant, mais ce sont les sceaux bilatéraux dont la légende est, le plus souvent, bien développée7 .

En voici deux exemples, l’un bilatéral, l’autre avec une représentation iconographique :

Christophore Mitylènaios, protospathaire impérial et juge de l’Hippodrome et des Anatoliques (CdN 2004-409)8

2. Sceau, n° inv. CdN 2004-409 (© MAH Musée d'art et d'histoire, Ville de Genève. Don de la Fondation Migore, legs Janet Zakos, 2004)

À l’avers :

@-@|+6KEbO|HYEI.v|SvDWL2XRIS|TOFOR2b4A4|SPAYA|-R2-

+ Κ(ύρι)ε βοήθει [τ]ῷ σῷ δούλ(ῳ) Χριστοφόρ(ῳ) β(ασιλικῷ) (πρωτο)σπαθαρ(ίῳ)

Au revers :

-@-|.R8I9T2E|9PIT2IPPO|.ROM2K2TvN|ANATOLIK2|TvMITULH|-NAIv-|9-@9-

[κ]ριτ() ἐπὶ τ(οῦ) Ἱππο[δ]ρόμ(ου) κ(αὶ) τῶν Ἀνατολικ(ῶν) τῷ Μιτυληναίῳ.

« Seigneur, aide ton serviteur Christophore, protospathaire impérial, juge de l’Hippodrome et des Anatoliques, (appelé) Mitylènaios. »

Christophore, qui vivait dans la première moitié du XIe siècle, était de rang sénatorial puisqu’il était protospathaire, dignité encore élevée à cette date, et avait été nommé à un tribunal central de Constantinople, situé dans l’hippodrome couvert du palais impérial et appelé pour cette raison tribunal de l’Hippodrome. Il avait été envoyé en province, dans le thème – c’est-à-dire la province – des Anatoliques, le plus important d’Asie Mineure. Il appartenait à une famille originaire de Mytilène dans l’île de Lesbos, dont plusieurs représentants sont connus au XIe siècle. Le sigillant est sans doute à identifier au poète homonyme, quoique ce rapprochement ne soit pas unanimement accepté.

Jean Kenchrès, protospathaire, épi tou Chrysotriklinou, notaire impérial du Phylax et chrysotélès des Anatoliques (CdN 2004-417)9

3. Sceau. n° inv. CdN 2004-417 (© MAH Musée d'art et d'histoire, Ville de Genève. Don de la Fondation Migore, legs Janet Zakos, 2004)

À l’avers: Saint Jean Baptiste de face, en pied, revêtu de sa mélote. La légende commence par une inscription circulaire :

+PROFHT2b2Y2 – TvS9v.9wL25Iv

+ Προφήτ(α) β(οή)θ(ει) τῷ σῷ [δ]ούλ() Ἰω(άννῃ).

Au revers :

-(-|5ASPAY2E|PITwrX5GKL2|5b7NOTAR2TOU|FULAK2=rXTE|L2TONANAT2|LIK2TvN|KEXRI|-(-

(πρωτο)σπαθ(αρίῳ) ἐπὶ τοῦ Χρ(υσο)(τρι)κλ(ίνου) β(ασιλικῷ) νοταρ(ίῳ) τοῦ φύλακ(ος) (καὶ) χρ(υσο)τελ() τȏν Ἀνατ(ο)λικ(ῶν) τῶν Κ(γ)χρι.

« Prophète, apporte ton secours à ton serviteur Jean, protospathaire, épi tou Chrysotriklinou, notaire du phylax et chrysotélès des Anatoliques, de la race des Kenchrai. »

Jean Kenchrès appartenait aussi à une famille qui fournit au XIe siècle des administrateurs civils à l’Empire. L’un d’eux est célèbre pour avoir été fiancé à la fille de Michel Psellos, union qui fut rompue pour inconduite de l’intéressé. Jean relevait de l’administration fiscale. Il était notaire d’un bureau central du fisc, la caisse du phylax, et exerçait en même temps en province, le chrysotélès étant chargé de rassembler les métaux précieux, or et sans doute argent, notamment sous forme monétaire, pour les envoyer dans l’atelier monétaire de la capitale.

La gloire des titres (axia dia brabeiou)

C’est le premier signe de distinction sociale noté par les sigillants. À la différence des fonctions, en effet, les titres ou dignités accordés par les empereurs sont viagers et donc pérennes, sauf à obtenir une nouvelle promotion. Les sceaux des VIe-VIIe siècles font mention des dignités les plus élevées, patrice, apo hypatôn (consul honoraire), apo éparchôn (préfet honoraire)10 , qui sont donc, pour nombre d’intéressés, plus ou moins définitives.

Un titre exceptionnel : le césar

Le césar est à l’origine l’empereur lui-même, mais, au cours de l’époque mésobyzantine, ce titre fut réservé d’abord au successeur potentiel de l’Empire, puis à un proche parent, père, frère, ou fils, et n’était pas toujours octroyé, avant de devenir plus commun à partir de l’époque des Comnènes. Le césar bénéficiait d’un privilège exceptionnel pour ses sceaux, s’il le souhaitait. En principe, seul l’empereur avait le droit de faire figurer son propre portrait sur ses sceaux, mais le césar aussi pouvait y prétendre.

Jean Doukas, césar (1059-1088 ?)11

4. Sceau, inv. Tatis 2701 (© collection Yavuz Tatış)

À l’avers: buste de la Vierge et formule invocative.

Au revers, autour de l’effigie du césar :

6IvEUTUXESTAT2KAISARI

Θ(εοτό)κε βοήθει τῷ σῷ δούλῳ Ἰω(άννῃ) εὐτυχεστάτ() καίσαρι.

« Vierge, aide ton serviteur, le très bienheureux césar Jean. »

Jean Doukas était frère de Constantin X (1059-1067), qui le promut à cette dignité lorsqu’il parvint au pouvoir. Le césar exerça une puissante influence sur la vie politique à la cour jusqu’au règne d’Alexis Ier Comnène qui avait épousé sa petite-fille, Irène.

La famille (le génos)

L’apparition du nom de famille ne provient sans doute pas à l’origine de l’orgueil lignager, puisque les grandes lignées constantinopolitaines ne l’adoptent qu’assez tardivement. Il s’agit d’abord d’indiquer d’où vient le personnage, ce qui explique le nombre de noms transmissibles formés sur un toponyme. En même temps, cette pratique souligne l’importance locale du lignage concerné, même si ses membres viennent ensuite s’installer en grand nombre à Constantinople. Mais dès le Xe siècle, le nom de famille devient un marqueur social et permet de se rattacher à tout un groupe familial, au point que les empereurs, à partir de Constantin IX Monomaque (1042-1055), l’inscrivirent sur leurs sceaux. Progressivement, des fonctionnaires de rang plus modeste adoptèrent aussi le nom transmissible au cours du XIe siècle, imitant ainsi le modèle des plus hauts responsables. Même des hommes d’Église, se targuant, en principe, de leur grande humilité, n’hésitaient pas à faire figurer le nom de leur lignée. Il en allait aussi de certains moines qui, au cours de leur vie, avaient connu une belle carrière et qui, parfois, ne renonçaient pas à leur ancienne dignité après leur entrée au monastère.

Samuel Mauropodès, chartophylax (seconde moitié du XIIe siècle) (CdN 2004-303)12

5. Sceau, n° inv. CdN 2004-303 (© MAH Musée d'art et d'histoire, Ville de Genève. Don de la Fondation Migore, legs Janet Zakos, 2004)

À l’avers : le prophète Samuel en pied.

Au revers, la légende métrique :

+OXAR|TOFULAJ|SAMOUH0L|MAUROPO|DHS

+ Ὁ χαρτοφύλαξ Σαμουὴλ Μαυροπόδης.

Samuel était l’un des principaux officiers de l’Église patriarcale, responsable des archives et de la rédaction de certains actes. Cet ecclésiastique trouve justifié de donner son nom de famille, alors que cela n’a aucune utilité pour l’exercice de sa fonction. Mais ce nom rappelle celui de Jean Mauropous, qui, au siècle précédent, fut un temps le principal ministre de Constantin IX, avant de finir métropolite d’un siège important, celui d’Euchaïtes en Paphlagonie. Samuel a choisi, pour illustrer son sceau, une figure rarement représentée, celle d’un prophète, pour faire écho à son nom personnel, pratique qui n’est pas inconnue, mais qui suggère un peu de contentement de soi.

Avec la venue au pouvoir des Comnènes et des Doukai, à partir de 1057, l’importance de l’entourage familial croît. Sans aucun doute les empereurs, surtout ceux qui étaient des usurpateurs ou ceux qui ne se sentaient pas assurés contre des complots ou des rébellions, choisissaient de conférer des charges sensibles à des parents, comptant sur leur sentiment de solidarité et leur espérance de partager les bienfaits du pouvoir. Cependant, ce sont les Comnèno-Doukai qui exploitèrent les liens de parenté pour recruter la haute administration civile et militaire. Ils offrirent systématiquement à leurs parents la dignité de sébaste. La seule mention de ce titre suffit donc à cette date pour savoir que le sigillant est de sang impérial ou un proche affin.
Les bénéficiaires cessèrent souvent de mentionner les charges qu’ils exerçaient, pour se contenter de préciser leur parenté avec l’empereur du moment. Les légendes étaient parfois fort développées car le sigillant pouvait se rattacher à
deux membres de la famille impériale élargie, à la fois du côté paternel, mais aussi du côté maternel13 . Sous les Paléologues, la fierté lignagère ne faiblit pas, mais s’exprime davantage par l’accumulation des patronymes qui témoigne de l’importance sociale des ascendants.

Jean Kontostéphanos Comnène (troisième quart du XIIe siècle) (CdN 2004-455)14

6. Sceau, n° inv. CdN 2004-455 (© MAH Musée d'art et d'histoire, Ville de Genève. Don de la Fondation Migore, legs Janet Zakos, 2004)

La légende métrique est bilatérale :

+KONTO|.9EFANOS|6IvANNHS|PATRO|YEN

TAUT9A|SFRAGIzI|KOMNHNOS|DEMHTRO|YEN

+ Κοντο[στ]έφανος Ἰωάννης πατρόθεν

ταῦτα σφραγίζ(ε)ι Κομνηνὸς δὲ μητρόθεν.

« Ceux-ci (les écrits) sont scellés par Jean, Kontostéphanos du côté paternel et Comnène du côté maternel. »

Jean expose sa généalogie de façon équilibrée en commençant par son père, issu d’une lignée connue depuis deux siècles et réputée pour les commandants de la flotte qu’elle a donnés aux empereurs, notamment Étienne, le père de Jean. De sa mère, il ne dit rien alors qu’elle est porphyrogénète, fille de Jean II. Ces deux illustres noms associés suffisent à placer Jean au sommet de la société et à lui conférer une forte autorité, sans aucune précision supplémentaire. C’est la même bulle qui lui a suffi pour sceller un document en 1162, comme duc de Thessalonique. Il lui était inutile de le préciser sur le plomb.

Isaac Comnène, fils de Théodore Batatzès (avant 1178) (CdN 2004-448)15

7. Sceau, n° inv. CdN 2004-448 (© MAH Musée d'art et d'histoire, Ville de Genève. Don de la Fondation Migore, legs Janet Zakos, 2004)

La légende métrique est bilatérale :

..9MNhN.|.0U9ES’ERNOS9A0L|.EKPORFURA0S|..AAK9IONHSFR0A|8GISDIAGRA|-: FEI:-|- -

.IzHS..0A|0KTvNEUG9E0N|.ENARXIASP0A|.DAbATATzW9D..|9KLEWSYEO0D0v|-ROU-|– -

[Κ]ομνην[οφ]υὲς ἔρνος ἀ[λλ]’ἐκ πορφύρας [Ἰσ]αάκιον ἡ σφραγὶς διαγράφει·

[ῥ]ίζης [ἀν]άκτων εὐγεν(οῦς) [γ]εναρχίας πα[ῖ]δα Βατάτζου δ’[εὐ]κλεοῦς Θεοδώρου.

« Le sceau désigne Isaac, rejeton d’une Comnène, de plus né dans la pourpre, issu d’empereurs fondateurs de noble lignée, fils également du fameux Théodore Batatzès. »

Isaac se définit à la fois du côté paternel et du côté maternel. Il cite cette dernière ascendance en premier, car il est fils d’une princesse porphyrogénète, dont les sources nous font connaître le nom, Eudocie, fille de l’empereur Jean II Comnène. Il se réfère non pas à son oncle l’empereur Manuel, mais aux fondateurs de la dynastie dont il descend en ligne directe. Du côté paternel, il souligne la gloire de la lignée des Batatzai, qui ont effectivement fourni à l’Empire des officiers supérieurs, comme son père, Théodore. Isaac se glorifie de ses ancêtres au point qu’il omet de mentionner sa dignité de sébaste, qu’il avait assurément pour le moins obtenue, en tant que neveu de l’empereur. Les liens du sang l’emportent sur tous les autres signes de distinction.

Des aristocrates peuvent cumuler génos illustre, dignité très élevée et charge de premier ordre :

Romain Sklèros, proèdre, domestique des Scholes d’Occident et duc des Anatoliques (1057-1065) (CdN 2004-276)16

8. Sceau, n° inv., CdN 2004-276 (© MAH Musée d'art et d'histoire, Ville de Genève. Don de la Fondation Migore, legs Janet Zakos, 2004)

À l’avers : l’archange Michel.

Au revers :

-+-|RvMAN2|PROEDROS|D2TvNSXOL2|THSDUSEvS|=DwJTvNA|NATOLIK2|OSKL.R2|-+-

+ Ῥωμαν(ὸς) πρόεδρος δ(ομέστικος) τῶν σχολ(ῶν) τῆς Δύσεως (καὶ) δοὺξ τῶν Ἀνατολικ(ῶν) Σκλ[η]ρ(ς).

Romain appartenait à une famille qui avait donné un prétendant à l’Empire, Bardas, lequel avait fait trembler le grand Basile II. Lui-même était le frère de Marie, maîtresse de l’empereur Constantin Monomaque. Ce dernier favorisa la carrière de Romain qui portait le titre, très élevé à cette date, de proèdre et combinait deux des commandements militaires de l’époque : d’une part, celui de domestique d’Occident, à la tête des régiments professionnels stationnés dans la partie européenne de l’Empire et, d’autre part, à la tête d’un régiment professionnel (tagma) stationné dans le thème des Anatoliques, l’un des plus importants d’Asie Mineure à cette date. Il était soit établi dans le thème des Anatoliques pour renforcer la défense du cœur de l’Asie Mineure, soit au contraire présent avec l’armée d’Occident, renforcée par un contingent anatolien. Son sceau, à la différence des précédents, expose toutes les raisons, les titres, les fonctions, la famille, qui firent la fierté de Romain Sklèros.

Les liens de dépendance comme marqueur social

À défaut d’être des personnages de premier plan, de nombreux Byzantins se montraient fiers d’être rattachés par un lien de clientèle ou de dépendance à un homme illustre du temps. Ce lien s’exprimait par les expressions d’oikeios, anthrôpos ou doulos. L’oikeios était un familier qui servait les intérêts du maître de la lignée, l’anthrôpos, « l’homme », avait un statut inférieur à son « maître ». Ce lien n’est pas identique à celui qu’on connaît en Occident, car il ne suppose pas un lien juridique déterminant les droits et devoirs de chacun. On attend d’un anthrôpos la loyauté envers son patron qui, en retour, lui fera partager les faveurs que sa haute fonction lui octroierait. Doulos ne doit pas se traduire selon son sens ancien d’esclave, mais simplement par serviteur. L’empereur n’hésitait pas à se présenter comme le doulos de Dieu.
Nous avons en réalité peu de bulles qui témoignent de ce type de relation, car il faut, pour s’en faire gloire, se rattacher à une maison de grande renommée ou servir un très haut personnage. Pour cette raison, à partir du XIe siècle, c’est à l’empereur que les hommes ou les serviteurs font le plus volontiers référence, la formule suffisant parfois à affirmer le statut social du sigillant, sans qu’il soit nécessaire d’ajouter à la légende une dignité ou une charge.

Constantin, protospathaire, épi tou koitônos, logariastès, anthrôpos du basileus (milieu du XIe siècle) (CdN 2004-474)17

9. Sceau, n° inv. CdN 2004-474 (© MAH Musée d'art et d'histoire, Ville de Genève. Don de la Fondation Migore, legs Janet Zakos, 2004)

À l’avers : saint Nicolas en pied, saint préféré après la Vierge des fonctionnaires civils de la capitale.

Au revers : la légende :

+6K6Eb2Y2|6K6v5N5ASPAY2|RIv.PIT2KO8I|TvN2LOGARI.|STH=A6N69v200T9w|bASILEOS|HMvNTw|@AGIO.9@

+ Κ(ύρι)ε β(οή)θ(ει) Κων(σταντίνῳ) (πρωτο)σπαθ(α)ρίῳ []πὶ τ(οῦ) κοιτῶν(ος) λογαρι[α]στῇ (καὶ) ἀν(θρώπ) τοῦ βασιλέος ἡμῶν τοῦ ἁγίο[υ].

Comme il est de règle, Constantin place en dernier lieu sur la légende de son sceau le plus important de ses titres et rien n’est au-dessus de ce lien qui l’unit au souverain. Cette position-là donne à Constantin son vrai pouvoir.

Michel, grammatikos, anthrôpos du magistre et duc (deuxième tiers du XIe siècle) (CdN 2004-592)18

10. Sceau, n° inv. CdN 2004-592 (© MAH Musée d'art et d'histoire, Ville de Genève. Don de la Fondation Migore, legs Janet Zakos, 2004)

À l’avers droit, l’archange Michel. Au revers :

+6KEb2Y2|MXIGRA9mA|TIKOTvAN|9YROP2TWm2|GISTR2=D2|KO2

+ Κ(ύρι)ε β(οή)θ(ει) Μιχ(αὴλ) γραμ(μ)ατικο͂ͅ τῷ ἀνθρόπ() τοῦ μ(α)γίστρ(ου) (καὶ) δ(ου)κό(ς).

Michel est un lettré, notaire, au service d’un magistre et duc qui n’est pas nommé, indice que ce personnage était, à l’époque, identifiable par ses seuls titres ; cela suppose qu’il était probablement le seul à porter cette combinaison de la dignité de magistre associée à une charge militaire.

L’Église n’échappe pas au besoin de faire référence à mieux introduit que soi-même. La formule o tou désigne dans ce cadre une référence à un parent, en principe un oncle, haut placé dans la hiérarchie ecclésiastique, la transmission entre père et fils étant évidemment quasi impossible dans l’Église byzantine, à la différence de l’Église arménienne par exemple.

Jean, kathigoumène et notaire patriarcal, le neveu (?) du défunt patriarche Alexis (milieu du XIe siècle) (CdN 2004-197)19

11. Sceau, inv. CdN 2004-197 (© MAH Musée d'art et d'histoire, Ville de Genève. Don de la Fondation Migore, legs Janet Zakos, 2004)

Au droit, la Vierge tenant l’Enfant sur le bras gauche. Au revers, la légende :

.vKAY29G2|9K2DESpT2N2O|TwMA9K9AR2|6P6RIARXw|K2wALEJ|-w-

[Ἰ]ω(άννης) καθ(η)γ(ούμενος) κ(αὶ) δεσπ(ο)τ(ικὸς) ν(οτάριος) ὁ τοῦ μακαρ(ίου) π(ατ)ριάρχου κ(υρ)οῦ Ἀλεξ(ί)ου.

Jean dirige un monastère tout en étant notaire de l’administration patriarcale, mais, à nouveau, ce dont il est le plus fier, c’est qu’il fut protégé, sans doute parce qu’il en était un neveu, par un patriarche, désormais défunt. Alexis est en effet bien connu puisque, choisi personnellement par Basile II alors qu’il était higoumène du grand monastère constantinopolitain du Stoudios, il occupa le siège patriarcal de 1025 à 1043. Le plus souvent, c’est un métropolite ou même un évêque qui sert de référent à un clerc.

L’iconographie

Beaucoup de sigillants font figurer au droit de leur sceau une icône de la Vierge ou d’un saint. Si la Vierge est fort banale, certains saints rares, dont le culte reste local, mettent en valeur le pays d’origine du signataire. Certains saints furent privilégiés au sein d’une famille, tels les Xèroi, qui, pour une raison qu’on ne peut que conjecturer, eurent une prédilection pour un saint assez rarement représenté sur les sceaux byzantins, Marc. La présence du saint au droit de leurs bulles les dispensait parfois de préciser leur nom transmissible.

Basile Xèros, vestarque et juge du Péloponnèse et de l’Hellade (1060-1070) (CdN 2004-414)20

12. Sceau, inv. CdN 2004-414 (© MAH Musée d'art et d'histoire, Ville de Genève. Don de la Fondation Migore, legs Janet Zakos, 2004)

À l’avers, saint Théodore et saint Marc, en pied. Au revers :

-(-|9+YKEb2Y2|.ASILEIv|.ESTARX2=|.RIT2PELOP2|NHSw=ELA|D2TvJHR2|-(-

+ Θ(εοτό)κε β(οή)θ(ει) [Β]ασιλείῳ [β]εστάρχ() (καὶ) [κ]ριτ() Πελοπ(ο)ν(ν)ήσου (καὶ) Ἑλ(λ)άδ(ος) τῷ Ξηρ().

Parfois, c’est un saint très rare que le sigillant mettait en valeur pour rappeler le lien qui le rattachait à sa province d’origine.

Michel Stryphnos, prôtonobélissimohypertatos (avant 1192) (CdN 2004-372)21

13. Sceau, n° inv. CdN 2004-372 (© MAH Musée d'art et d'histoire, Ville de Genève. Don de la Fondation Migore, legs Janet Zakos, 2004)

À l’avers : les saints Théodore et Hyakinthos, en pied.

Au revers, la légende :

+|SFRAGIS|GRAFvNQRU|FNWMIXAHL|PRvTONvbE|LLISIMOU|PERTATW

+ Σφραγὶς γραφῶν Στρυφνοῦ Μιχαὴλ πρωτονωβελλισιμοϋπερτάτου.

« Sceau des écrits du prôtonôbélissimohypertatos Michel Stryphnos. »

Michel Stryphnos était marié à la sœur de l’épouse d’Alexis Ange, Euphrosynè Kamatèrissa, ce qui faisait de lui le beau-frère par alliance de l’empereur Isaac Ange. Son titre est tout à fait symbolique du désir d’obtenir une dignité toujours supérieure, ce qui dévalorise ces titres lorsqu’il faut les multiplier ; cela conduisit à créer de nouvelles dignités composées de superlatifs : prôto- (premier) ; hyper ; -tatos, marque grammaticale du superlatif. Ce personnage était certainement très imbu de sa personne pour avoir fait graver une bulle d’une taille exceptionnelle, plus grande que presque toutes celles des empereurs.

La valorisation de la culture

Les légendes des sceaux protobyzantins étaient très simples, comportant souvent seulement un nom de baptême, et éventuellement une dignité et une fonction. Ensuite, elles se développèrent et, à partir du XIe siècle, les sigillants commencèrent à adopter des légendes métriques. Cette évolution est parallèle à l’accroissement du nombre de lettrés capables de produire et de goûter ces petits poèmes de quelques vers, au point que, à partir du XIIe siècle, les légendes métriques deviennent majoritaires. Il est possible que certains sigillants aient eux-mêmes composé la légende de leurs sceaux. Ce fut le cas, semble-t-il, d’Eustathe Kymineianos, qui cumulait une haute fonction civile, celle de préposé à l’encrier près de l’empereur, et celle de duc de la flotte22 .

La place des femmes

Les sceaux de femmes sont très rares puisqu’elles n’exercent pas de fonction publique. En revanche, elles portent des dignités, qui sont celles de leur époux, et des fonctions qui sont celles, transcrites au féminin, exercées par leur conjoint : une stratègissa est l’épouse d’un stratègos. Cependant, il existait une dignité particulière, qui était réservée aux dames et les plaçait au plus près de l’empereur à la cour, celle de zôstè ou patricienne à ceinture. Elle était conférée à très peu de femmes dans une même génération. Sous les Comnènes, comme pour les hommes, la dignité de sébastè marquait une appartenance à la famille impériale.

Théoktistè, patricienne, zôstè et mère de l’impératrice23

14. Sceau, n° inv. 1503, collection Zacos (© Bibliothèque nationale de France)

À l’avers : un monogramme cruciforme invocatif marial. À la circonférence : la légende commençant au sommet .....9K9TISTHSZOSTHSPAT9R....: Θεοτόκε βοήθει [Θεο]κτίστης ζοστῆς πατρ[ικίας].

Au revers : la suite de la légende :

+KAIMH|THRTHS|bASILEI|SHS

καὶ μήτηρ τῆς βασιλείσης.

Théoktistè était la belle-mère de l’empereur Théophile. Ce premier sceau connu d’une zôstè mentionne une parenté impériale qui justifie sans doute l’octroi de cette dignité exceptionnelle. Les sources nous rapportent qu’elle était restée une iconodoule convaincue, mais son sceau est conforme à la pratique iconoclaste, ne comportant pas l’effigie de la Vierge qui illustre la quasi-totalité des sceaux de femmes, mais un monogramme invocatif de l’époque iconoclaste.

Eudocie Komnènè, sébastè (seconde moitié du XIIe siècle) (CdN 2004-298)24

15. Sceau, n° inv. CdN 2004-298 (© MAH Musée d'art et d'histoire, Ville de Genève. Don de la Fondation Migore, legs Janet Zakos, 2004)

À l’avers : le Christ bénissant.

Au revers, la légende métrique :

+|SFRAG8I0S|SEbAQH0S|KO˜~h~H0S|EUDOKI0A.|-@-

+ Σφραγὶς σεβαστῆς Κομνηνῆς Εὐδοκίας.

« Sceau de la sébastè Eudocie Comnène. »

Cette sébastè est inconnue, car elle porte un nom impérial fort répandu à la date présumée du sceau, ce pourquoi elle est sébastè, sans même avoir eu besoin d’épouser un sébaste. Son prénom Eudocie est également parmi les plus communs, et seule l’effigie, rare, du Christ au droit devait permettre de la distinguer de ses contemporaines homonymes.

Une pièce unique
La première sébastè, assurément bien attestée, Marie Sklèraina, maîtresse officielle de l’empereur Constantin Monomaque et par là même quasi-basilissa, jouit, comme un césar, du droit de figurer en habit de cour au revers de ses bulles25 .

16. Sceau de Marie Sklèraina, Robert Hecht Jr., Collection of Byzantine Seals

À l’avers, autour du buste de la Vierge : +....... – bOHYEI.

Au revers : +MARIA - .EbASTH

[Θεοτόκε] βοήθει Μαρίᾳ [σ]εβαστῇ.

Les étrangers

La société byzantine acceptait volontiers les étrangers qui lui apportaient des forces militaires supplémentaires. Les chefs de ces contingents, souvent nobles dans leur pays d’origine, que ce fût en Occident ou en Orient, étaient comblés de dignités et de commandements élevés. Ils étaient aussi dotés de sceaux, qui ne marquaient aucune différence, sinon par l’anthroponymie, avec ceux de leurs collègues byzantins, signe de leur intégration dans leur société d’adoption. Beaucoup d’entre eux s’établirent définitivement dans l’Empire, contractèrent des mariages aristocratiques et y firent souche.

Humbert, vestès et stratège (troisième quart du XIe siècle) (CdN 2004-502)26

17. Sceau, n° inv. CdN 2004-502 (© MAH Musée d'art et d'histoire, Ville de Genève. Don de la Fondation Migore, legs Janet Zakos, 2004)

À l’avers : le buste de saint Nicolas.

Au revers : la légende :

-!-|+KEb2Y2|OUNPER|TIbESTH|=STRA|TIGv

+ Κ(ύρι)ε β(οή)θ(ει) Οὐνπέρτι βέστῃ (καὶ) στρατιγῷ.

La carrière du Franc Humbert n’est connue que par ses sceaux. Il est possible qu’il ait appartenu à la famille normande des Hauteville, dont Robert Guiscard est le représentant le plus célèbre parce qu’il conquit l’Italie du Sud aux dépens des Byzantins. On ignore qui fut l’épouse de Humbert, mais leur fils, Constantin Humbertopoulos, fut l’un des généraux les plus appréciés d’Alexis Comnène, signe d’une intégration réussie.

Grégoire Tzotzikios, anthypatos, patrice, stratège de Mantzikert (deuxième quart du XIe siècle) (CdN 2004-421)27

18. Sceau, n° inv. CdN 2004-421 (© MAH Musée d'art et d'histoire, Ville de Genève. Don de la Fondation Migore, legs Janet Zakos, 2004)

À l’avers : buste de saint Nicolas.

Au revers :

9+6KEb2Y2|GRIGO.IvA9N|YUPA.O60P69R8I7.|STRA0TH.0v|MANZ.K2|R0TTOTΩO9T|..9K2

+ Κ(ύρι)ε β(οή)θ(ει) Γριγο[ρ]ίῳ ἀνθυπά[τπ(ατ)ρι(κίῳ) [(καὶ)] στρατη[γ] Μανζ[ι]κ(ίε)ρτ τǫ Τζοτ[ζι]κ(ίῳ).

Le nom Tzotzikios prouve l’ascendance géorgienne du sigillant. Son prénom, Grégoire, est aussi très populaire parmi les familles originaires du Caucase. Le fondateur de la lignée à Byzance fut favorisé par Basile II, qui l’employa à de hauts postes. Grégoire avait reçu de brillantes dignités qui attestaient de la réussite familiale. La charge de stratège de Mantzikert, la grande forteresse qui protégeait l’accès à l’Anatolie centrale, ne pouvait être confiée qu’à un homme qui avait la pleine confiance du basileus. Les sceaux de Humbert et de Tzotzikios témoignent de l’adoption très rapide par les étrangers du code des valeurs de la haute administration byzantine, principalement du corps des officiers.

La sigillographie n’apporte donc pas seulement des informations factuelles, mais reflète de nombreux aspects de la mentalité aristocratique. Les signataires trouvent l’occasion de mettre en valeur leur lignée, leur place dans la hiérarchie, leur importance dans leur cité d’origine. Par le nombre de sceaux conservés, cette science « auxiliaire » de l’histoire constitue une source majeure sur l’aristocratie, principalement de l’époque des Macédoniens et des Comnènes, et présente l’avantage de fournir continuellement des données originales grâce aux nouvelles découvertes.

Bibliographie

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Maria Campagnolo-Pothitou, Jean-Claude Cheynet, Sceaux de la collection George Zacos au Musée d’art et d’histoire de Genève, Genève – Milan : 5 Continents Éditions, 2016.

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Jean-Claude Cheynet, « La patricienne à ceinture, une femme de qualité », in Patrick Henriet, Anne-Marie Legras (éd.), Au cloître et dans le monde. Femmes, hommes et sociétés (IXe-XVe siècle). Mélanges en l’honneur de Paulette L’Hermite-Leclercq, Paris 2000, repris dans Jean-Claude Cheynet, La société byzantine. L’apport des sceaux, [Bilans de recherche 3], Paris 2008.

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Jean-Claude Cheynet, « Introduction à la sigillographie byzantine », in Jean-Claude Cheynet, La société byzantine. L’apport des sceaux, [Bilans de recherche 3], Paris 2008, pp. 1‑82.

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Jean-Claude Cheynet, Les sceaux byzantins de la collection Yavuz Tatış, Izmir : ZeroBooks, 2019.

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Jean Darrouzès, « Ekthésis Néa, Manuel des pittakia du XIVe siècle », Revue des études byzantines, 27, 1969, pp. 5‑127.

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Alexander P. Kazhdan, Silvia Ronchey, L’aristocrazia bizantina dal principio dell’XI alla fine del XII secolo, Palerme : Sollerio, 1997.

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Paul Magdalino, « Honour among Romaioi : The Framework of Social Values in the World of Digenes Akrites and Kekaumenos », Byzantine and Modern Greek Studies, 13, 1989, pp. 183-228, repris dans Paul Magdalino, Tradition and transformation in medieval Byzantium, [Variorum collected Studies Series], Aldershot 1991, pp. 183-228.

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John Nesbitt, Alexandra K. Wassiliou-Seibt, Werner Seibt, Highlights from the Robert Hecht Jr., Collection of Byzantine Seals, Thessalonique 2009.

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Michael Nichanian, « La distinction à Byzance : société de cour et hiérarchie des dignités à Constantinople (VIe-IXe siècle) », in Constantin Zuckerman (éd.), Constructing the Seventh Century, Travaux et Mémoires, 17, 2013, pp. 579‑636.

Oikonomidès 1972
Nicolas Oikonomidès, Les listes de préséance byzantines des IXe et Xe siècles : introduction, texte, traduction et commentaire, [Le monde byzantin 4], Paris 1972.

Oikonomidès 1985
Nicolas Oikonomidès, « Ὁ μέγας δρουγγάριος Εὐστάθιος Κυμινειανὸς καὶ ἡ σφραγίδα του (1099)», Δώρημα στὸν Ι. Καραγιαννόπουλο, βυζαντινά, 13, 1985, pp. 899‑907.

Notes

  • 1.
    Sur la difficulté de donner des critères stables pour définir l’aristocratie, cf. les réflexions de John Haldon, « Social Elites, Wealth and Power », in John Haldon (éd.), A Social History of Byzantium, Oxford : Wiley-Blackwell, 2009, pp. 168-211.
  • 2.
    Sur la hiérarchie des fonctionnaires au Moyen Âge, cf. Nicolas Oikonomidès, Les listes de préséance byzantines des IXe et Xe siècles : introduction, texte, traduction et commentaire, [Le monde byzantin 4], Paris 1972.
  • 3.
    Les travaux sur l’aristocratie se sont multipliés ces dernières décennies, cf., entre autres, Michael Angold (éd.), The Byzantine Aristocracy, IX to XIII Centuries, [BAR International Series 221], Oxford 1984 ; Alexander P. Kazhdan, Silvia Ronchey, L’aristocrazia bizantina dal principio dell’XI alla fine del XII secolo, Palerme : Sollerio, 1997 ; Jean-Claude Cheynet, The Byzantine Aristocracy and its Military Function, [Variorum collected Studies Series], Aldershot 2006.
  • 4.
    Paul Magdalino, « Honour among Romaioi : The Framework of Social Values in the World of Digenes Akrites and Kekaumenos », Byzantine and Modern Greek Studies, 13, 1989, pp. 183-228, repris dans Paul Magdalino, Tradition and transformation in medieval Byzantium, [Variorum collected Studies Series], Aldershot 1991, pp. 183-228.
  • 5.
    Les bulles présentées dans cette contribution sont pour la plupart issues du catalogue récemment publié, dont je reproduis les lectures et les transcriptions : Maria Campagnolo-Pothitou, Jean-Claude Cheynet, Sceaux de la collection George Zacos au Musée d’art et d’histoire de Genève, Genève – Milan : 5 Continents Éditions, 2016, cité désormais Campagnolo-Pothitou / Cheynet. Je redonne la traduction des légendes, lorsque le titre du sceau n’est pas complètement explicite.
  • 6.
    Sur l’emploi des sceaux de cire au patriarcat, sous les Paléologues, en fonction du destinataire, cf. Jean Darrouzès, « Ekthésis Néa, Manuel des pittakia du XIVe siècle », Revue des études byzantines, 27, 1969, pp. 5‑127.
  • 7.
    Jean-Claude Cheynet, « Introduction à la sigillographie byzantine », in Jean-Claude Cheynet, La société byzantine. L’apport des sceaux, [Bilans de recherche 3], Paris 2008, pp. 1-82.
  • 8.
    Campagnolo-Pothitou / Cheynet, n° 108.
  • 9.
    Ibid., n°105.
  • 10.
    En réalité, les apo hypatôn ou apo éparchôn sont des dignités honoraires conférées à des personnages qui n’ont jamais reçu la charge effective de consul, disparue sous Justinien, ni exercé celle de préfet de la ville. Sur l’évolution des titulatures aux VIIe-IXe siècles, cf. Michael Nichanian, « La distinction à Byzance : société de cour et hiérarchie des dignités à Constantinople (VIe-IXe s.) », in Constantin Zuckerman (éd.), Constructing the Seventh Century, Travaux et Mémoires, 17, 2013, pp. 579-636.
  • 11.
    Jean-Claude Cheynet, Les sceaux byzantins de la collection Yavuz Tatış, Izmir : ZeroBooks 2019, n° 5.31.
  • 12.
    Campagnolo-Pothitou / Cheynet, n° 264.
  • 13.
    Cette promotion des membres de la famille impériale fut portée au plus haut point au temps de Manuel Ier Comnène, si bien que la parenté déterminait l’ordre hiérarchique, comme cela se vérifie lors des sessions conciliaires ; cf. Paul Magdalino, The Empire of Manuel I Komnenos (1143-1180), Cambridge 1993.
  • 14.
    Campagnolo-Pothitou / Cheynet, n° 344.
  • 15.
    Ibid., n° 320.
  • 16.
    Ibid., n° 107.
  • 17.
    Ibid., n° 56.
  • 18.
    Ibid., n° 48.
  • 19.
    Ibid., n° 279.
  • 20.
    Ibid., n° 154.
  • 21.
    Ibid., n° 186.
  • 22.
    Nicolas OikonomidÈs, « Ὁ μέγας δρουγγάριος Εὐστάθιος Κυμινειανὸς καὶ ἡ σφραγίδα του (1099) », Δώρημα στὸν Ι. Καραγιαννόπουλο, βυζαντινά, 13, 1985, pp. 899-907.
  • 23.
    Jean-Claude Cheynet, « La patricienne à ceinture, une femme de qualité », in Patrick Henriet, Anne-Marie Legras (éd.), Au cloître et dans le monde. Femmes, hommes et sociétés (IXe-XVe siècle). Mélanges en l’honneur de Paulette L’Hermite-Leclercq, Paris 2000, repris dans Jean-Claude Cheynet, La société byzantine. L’apport des sceaux, [Bilans de recherche 3], Paris 2008, p. 172 [Sceau Zacos (BnF) inv. 1503.
  • 24.
    Campagnolo-Pothitou / Cheynet, n° 214.
  • 25.
    John Nesbitt, Alexandra K. Wassiliou-Seibt, Werner Seibt, Highlights from the Robert Hecht Jr., Collection of Byzantine Seals, Thessalonique 2009, pp. 34-36, n° 5.
  • 26.
    Campagnolo-Pothitou / Cheynet, n° 98.
  • 27.
    Ibid., n° 136.