Dans les expositions précédentes (notamment La naissance des genres, 2005 ; L’art et ses marchés, 2009, et son adaptation à la Fondation Arnaud de Lens, 2016-2017), une section annexe a toujours été réservée au métier du peintre. Ici, le thème est placé au cœur même du dispositif muséographique en dialogue avec les peintures environnantes à travers des vitrines et des socles placés au centre de la salle 415 et aménagés en quatre sections distinctes, en retraçant d’une part le passage de l’atelier traditionnel à la pratique du plein-air, d’autre part l’évolution corollaire de l’outillage et des couleurs. Notons que la plupart des objets et outils exposés proviennent d’une collection particulière genevoise, et que cette « matériauthèque », spécifique au XIXe siècle, permet au public de concevoir les liens qui unissent l’acte créateur aux techniques artistiques.
2. Le métier du peintre
2. Le métier du peintre
Frédéric Elsig, Victor Lopes
La première section (fig. 1) évoque l’atelier du peintre, son mobilier (avec un remarquable meuble à peindre, de la fin du XVIIIe siècle, qui a appartenu au peintre Théodore Géricault, dont on fête le bicentenaire de la mort en 2024 !), son chevalet (sur lequel est disposé un tableau de Leleux représentant précisément l’intérieur d’un atelier), sa palette et son appuie-main ainsi que ses différents modèles : le mannequin articulé, représenté ici par un bel exemplaire néo-classique disposé sur une chaise ; l’écorché qui permet d’étudier la musculature et l’anatomie ; les photographies apparues durant la seconde moitié du XIXe siècle pour l’étude des corps. D’importants textes enfin nous renseignent sur les pratiques d’atelier (fig.2), comme le Manuel des jeunes artistes et amateurs en peinture du Genevois Pierre-Louis Bouvier (1827) ou les dix volumes du Traité complet de la peinture de Paillot de Montabert (1829-1851).
La deuxième section (fig. 3) est consacrée aux évolutions propres à la production et au conditionnement des couleurs. Celles-ci, qu’elles soient d’origine minérale, végétale ou animale, sont traditionnellement broyées à l’aide d’une molette et conservées dans des vessies de porc, tâche laborieuse confiée généralement au « rapin » ou garçon d’atelier. Au cours du XIXe siècle, elles subissent une double transformation. D’une part, fabriquées par des maisons de fournisseurs spécialisés, de nouvelles gammes de couleurs sont progressivement produites par l’industrie chimique (le blanc de zinc dès 1840, le jaune de cadmium dès 1850, etc.), transformant ainsi la palette du peintre et son goût pour la couleur. D’autre part, leur conditionnement connaît une révolution : le tube, breveté en Angleterre dès 1841 et développé en France par la maison Lefranc dès 1855. Cette invention permet au peintre d’économiser un temps précieux et de travailler hors de l’atelier, en emmenant avec lui sa « boîte à couleurs », prête à l’emploi, ce qui favorise largement le pleinairisme dès le milieu du XIXe siècle (l’Ecole de Barbizon, les impressionnistes, etc.).
La troisième section (fig. 4) évoque l’évolution tout à fait parallèle de l’outillage. Dès 1830 environ, le pinceau « monté sur plume » (soit constitué de poils glissés dans un calamus) et emmanché, est désormais monté à l’aide d’une virole métallique qui, aplatie, donne naissance à la brosse ou au pinceau plat, favorisant ainsi de nouveaux effets picturaux et le goût pour les aplats (Manet, Desboutins, etc.). D’autres outils apparaissent aussi comme le couteau-truelle qui permet de créer des épaisseurs et de « maçonner » la matière colorée, et dont le résultat visuel est recherché par des peintres comme Courbet ou Roll.
La quatrième section se concentre sur le matériel destiné au dessin et à la peinture en plein air. Phénomène méconnu, elle révèle l’utilisation d’instruments optiques plus anciens, comme le miroir de sorcière, le miroir noir et la chambre noire, ou comme le pantographe, le diagraphe et surtout la chambre claire (fig. 5). Plus léger, ce dernier instrument est breveté en Angleterre en 1806 et décrit l’année suivante avant d’être produit en France par de nombreuses maisons parisiennes d’optique : Charles Chevalier, Robert Moreau, Auguste Patte, Louis et Pierre Berville, etc. Conservé dans un écrin, il se compose d’un prisme monté sur une tige de laiton et permet de reproduire en quelques traits un motif du monde environnant. Son usage est mentionné, entre autres, dans l’un des carnets du voyage égyptien de Walther Fol en 1864-1865 (entrés au MAH en 2020). Les visiteurs peuvent l’expérimenter grâce à un dispositif de médiation intégrant deux chambres claires modernes, l’une avec un prisme, l’autre avec un miroir.
Notons que le chapitre se conclut par un geste muséographique qui répond à celui du bouquet impressionniste, en évoquant le pleinairisme à travers une mise en situation (fig.6) : une petite ébauche de Troyon sur un chevalet portatif et devant une chaise pliante sous un parasol avec une boîte à peindre, une palette, une chambre claire montée sur sa tablette et son trépied de voyage et une réplique de chambre noire, prêtée par le musée du Petit Palais (Genève).