une IA pour identifier Marie-Antoinette ?

Quand les recherches historiques révèlent la véritable identité d’un portrait royal

Et si l’un des portraits les plus célèbres de Marie-Antoinette enfant ne représentait pas la future reine de France ? C’est la découverte fascinante de Catriona Seth, professeure à l’Université d’Oxford, donnant lieu à une collaboration avec Marie-Eve Celio, conservatrice responsable des arts graphiques au Musée d’Art et d’Histoire de Genève (MAH).

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Une enquête au cœur des collections du MAH

Réalisé en 1762 par l'artiste né à Genève Jean-Étienne Liotard, le portrait d’une fillette tenant une navette a longtemps été présenté comme celui de Marie-Antoinette, alors âgée de sept ans. Cette image, devenue emblématique, contribuait à façonner notre représentation de la future reine.

L’identité des portraits de Marie-Antoinette, future reine de France, et de sa sœur aînée, Marie-Caroline, future reine de Naples, avait suscité le questionnement de Catriona Seth et Marie-Eve Celio. En effet, l’une a l’air plus jeune que l’autre, tandis que la rose, tenue par celle qui semble plus jeune, est un symbole récurrent dans des représentations ultérieures de la reine. Catriona Seth, poursuivant ses investigations, a découvert d'autres indices : des boucles d’oreilles, mais surtout une preuve irréfutable, une médaille d’ordre de chevalerie que la jeune Marie-Antoinette n’avait pas encore reçue à cette date, contrairement à sa sœur.

Portrait d'une jeune fille assise sur un fauteuil, en robe rose

Jean-Étienne Liotard (1702-1789), Marie-Caroline (1752-1814), 1762, pierre noire, sanguine et aquarelle sur papier vergé blanc, rehaussé au verso, 311 x 249 mm, inv. 1947-0042, © MAH, photo : Bettina Jacot-Descombes

Portrait d'une jeune fille tenant une rose à la main

Jean-Étienne Liotard (1702-1789), Marie-Antoinette (1755-1793), 1762, pierre noire, sanguine, aquarelle sur papier vergé blanc, rehaussé au verso, 320 x 245 mm, inv. 1947-0041, © MAH, photo : Bettina Jacot-Descombes

L’intelligence artificielle au service de l’histoire de l’art

Cette réattribution s’inscrit dans le cadre du projet INTERART, une collaboration inédite entre le MAH, l’Université d’Oxford, l’Institut de Recherche Idiap et l’Université de Lausanne.
Le projet vise à expérimenter l’usage de la reconnaissance faciale hétérogène (HFR), une technologie capable de comparer des visages à travers des supports et styles artistiques variés, afin de mieux identifier les personnages représentés dans les œuvres anciennes.

« Grâce à la reconnaissance faciale, nous pouvons confronter des portraits historiques à des représentations connues, même lorsque les supports diffèrent radicalement », explique Dr Sébastien Marcel, chercheur et chef du groupe de biométrie à l’Institut de recherche Idiap.

Cette approche, inspirée des méthodes de la science forensique, permet d’aborder l’identification des portraits comme une véritable enquête visuelle. Comme le souligne David-Olivier Jaquet-Chiffelle, professeur ordinaire à l’École des sciences criminelles de l’Université de Lausanne : « Identifier le modèle d’un portrait revient parfois à résoudre une énigme comparable à celle d’un portrait-robot. »

Une collaboration au croisement des disciplines

Soutenu par la Loterie Romande, le projet INTERART a débuté en juin 2025 pour une durée de dix-huit mois. Il donnera lieu à une phase expérimentale de tests biométriques, à un colloque scientifique et à une exposition majeure au MAH, programmée du 3 octobre 2026 au 7 février 2027.

« L’IA pourrait transformer notre regard sur les portraits et les personnes si nous arrivons à l’entraîner à évaluer les modifications du visage dues à l’âge ou les manières caractéristiques dont différents artistes représentent le même visage » explique Catriona Seth. « Par exemple, si quelqu’un affirme avoir découvert un nouveau portrait de Shakespeare, l’IA pourrait apprendre des portraits authentifiés et nous montrer à quoi son visage devait ressembler à l’époque pour qu’on puisse comparer cela au nouveau portrait censé le représenter. »

Pour Marie-Eve Celio, cette collaboration illustre la manière dont les musées peuvent devenir des lieux d’expérimentation scientifique : « Le croisement des approches — archivistique, stylistique et technologique — nous permet d’interroger différemment les œuvres et d’enrichir notre compréhension du patrimoine. »

Comme le souligne Marc-Olivier Wahler, directeur du MAH : « C’est passionnant de pouvoir enfin voir Marie-Antoinette telle qu’elle était, plutôt que de la confondre avec sa sœur. Ce projet témoigne de la force du dialogue entre arts, sciences et technologies. »

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