Préservation et étude des monnaies de l’Évêché

Protéger pour mieux comprendre

L’exposition Patrimoine en péril est l’occasion pour le Cabinet de numismatique du Musée d’art et d’histoire de présenter quelques-unes de ses pièces phares, mises sous l’égide de la loi sur la protection des biens culturels (PBC). En effet, en cas de catastrophe, ces monnaies ou médailles de très grande valeur patrimoniale sont à sauver en priorité. Parmi celles-ci, les monnaies de l’Évêché constituent l’un de ses plus précieux et importants ensembles.

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Une collection d’exception

Cet important lot de pièces médiévales est une source fondamentale pour comprendre l’histoire de la Suisse occidentale. Au-delà de cette portée nationale, cet ensemble est surtout l’un des joyaux du MAH que le Cabinet de numismatique s’est efforcé de protéger, de mettre en valeur et d’étudier dès les années 1880. Le monnayage épiscopal genevois qu’il conserve commence sous l’évêque Conrad (1019-1032) qui produit des deniers et des oboles en argent dès 1019. Avec Lausanne, Bâle et Saint-Maurice, Genève obtient le droit de battre monnaie de Rodolphe III de Bourgogne (993-1032) et utilise le modèle du denier au temple de Louis le Pieux. Les deux évêques succédant à Conrad frappent encore une monnaie à leur nom, puis le monnayage devient et reste anonyme jusqu’au XVe siècle. Il présente sur l’avers (face) le profil de saint Maurice puis de saint Pierre, avec au revers (pile) une croix.

Pièce de monnaie antique (2 faces)

L’un des deniers anonymes de saint Pierre présenté dans l’exposition Patrimoine en péril et protégé par la PBC. No Inv. CdN 023061 (avers et revers)
Photo: Bettina Jacot-descombes

L’anonymat d’une majorité de ses pièces est un frein à la constitution d’une chronologie solide et, par conséquent, à la compréhension des évolutions de la société genevoise de cette époque. L’élaboration d’une datation plus précise pourrait permettre d’appréhender la politique monétaire de Genève et l’activité des ateliers monétaires. Par extension, elle donnerait donc des informations importantes sur les lieux de commerces (foires, marchés, …) et les habitudes économiques des Genevois.e.s du Moyen Âge. La valorisation de cet ensemble serait également l’occasion de rappeler l’omniprésence de l’autorité religieuse dans la vie quotidienne de la Genève médiévale. Du point de vue du style, la reconstruction précise de la chaîne de production devrait démontrer l’abstraction progressive du profil du saint et l’imitation de monnaies voisines (comme celles de Vienne) et ainsi la culture artistique d’un moment donné.

Pièce de monnaie antique

Denier anonyme montrant l’évolution stylistique, glissant du réalisme à une abstraction presque totale. No Inv. CdN 053952 (avers et revers).
Photo: Bettina Jacot-descombes

Préserver et étudier

Une multitude de pistes de recherches se présentent pour préciser la datation des monnaies épiscopales anonymes de Genève. La comparaison à d’autres monnayages similaires, savoyards ou viennois par exemple, ou l’analyse attentive du contexte archéologiques en font partie. L’étude des différentes liaisons entre les coins d’avers et de revers, permettant de déterminer les émissions successives des pièces, est également une piste extrêmement intéressante pour établir une chronologie relative. Cette étude nécessite un nombre de pièces important. Heureusement, plus de 2000 pièces nominatives et anonymes de l’Évêché sont conservées au MAH. Le Musée possède ainsi la plus grande collection de ce monnayage.

Pièce de monnaie antique

Des oboles ont également été frappées par les évêques de Genève et font partie intégrante de la collection. Elles valent, à l’époque, un demi denier. No Inv. Image : CdN 2017-0020-dt (avers et revers)
Photo: Bettina Jacot-descombes

Finalement, l’analyse chimique du taux d’argent dans les pièces – donnant une valeur qu’il est parfois possible de relier à des sources écrites et datées – est une piste de recherche fructueuse. Elle permet de comprendre un certain nombre de réalités économiques, comme les variations du cours des métaux précieux ou encore l’inflation causée par l’inévitable augmentation des prix. Des numismates et des chimistes ont déjà réalisé ce genre d’analyse qu’il est maintenant essentiel de réviser. La documentation présentée avec les pièces dans la vitrine de Patrimoine en péril montre à ce propos que la majorité des pistes exposées plus haut ont déjà été investiguées, en profondeur ou en surface, par nos prédécesseurs et que chaque génération a eu à cœur d’exploiter cette collection exceptionnelle. Elle démontre l’évolution des techniques scientifiques mais la stabilité de la mission : protéger, étudier et comprendre.

Texte écrit par Emma Rebeaud, Historienne de l'art

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