Michel Grillet : Mémoire de paysage

La tradition du paysage dans l’art

Vivant à proximité du Léman, l’artiste suisse Michel Grillet, né à Genève en 1956, bénéficie d’un environnement de lacs et de montagnes dont il rend compte depuis près de 30 ans. Grâce à un don de l’artiste, le MAH propose une exposition intitulée Michel Grillet : Mémoire de paysage. La tradition du paysage dans l'art (08.02-25.05.2025) qui présente une sélection des œuvres de cet artiste en conversation avec la collection du MAH, permettant au public de découvrir des trésors sortis des réserves et de s’interroger sur la tradition du paysage dans l’art, à travers le temps et les cultures.

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Michel Grillet (*1956) depuis l’âge de 20 ans se consacre à la peinture de paysage : la montagne, le lac, le ciel, le soleil, la lune et les étoiles. Il s’inscrit en cela dans une tradition de peintres suisses tels qu’Alexandre Calame (1810-1864), Ferdinand Hodler (1853-1918) et Félix Vallotton (1865-1925), trois artistes choisis avec Grillet et présentés dans cette exposition en résonnance à ses œuvres.

Ce dernier, par ailleurs, porte une grande admiration à l’art japonais, en particulier aux estampes de Katsushika Hokusai (1760-1849) et Utagawa Hiroshige (1797-1858), souvent déclinées en série et dont les effets sont rendus avec peu d’éléments, évoquant, selon Grillet, les haikus, ces brefs poèmes réduits à l’essentiel. Cette précision du trait et sobriété de moyens, caractéristiques de l’estampe japonaise et du haiku, se reflètent dans les recherches de Grillet sur la pureté de la ligne et l’essence de la forme.

Grillet dilue les couleurs à l’eau, une technique qui ne permet pas l’erreur : chaque trait doit être réfléchi et exact, évoquant la calligraphie asiatique ou, lorsqu’il s’agit de très petits formats, la tradition genevoise de la miniature sur émail. Réduisant l’infiniment grand à la taille d’une pastille de gouache, en analogie aux écrans, il pose un regard critique sur la perception du monde.

Ses œuvres expriment trois temporalités : celle de la vie humaine (l’artiste et le spectateur), celle du non-humain (la montagne, le lac, le ciel) et celle de l’art, avec l’idée d’un art éternel. Selon l’expression de Grillet, il s’agit de « l’image de la nature et la nature de l’image ».

Michel Grillet et Alexandre Calame

Alexandre Calame figure parmi les artistes qui ont inspiré Michel Grillet. Ce dernier a porté une attention particulière aux carnets de dessins sur papier bleu de Calame, dont une dizaine sont connus à ce jour (ill. 1). Ils sont précieux comme sources de documentation sur la vie de l’artiste (ses voyages et leurs dates, les adresses de ses amis, etc.) et sur son processus de création. Ils dévoilent la genèse de certaines œuvres, nous en révélant l’idée première, avant qu’un croquis ne soit transposé sur la toile. Calame lui-même les considérait comme un « réservoir d’idées ». Par ailleurs, ces carnets constituent un outil d’enseignement pour les cours de dessin qu’il dispensa à Genève dès 1835, nous rappelant que ce dernier, tout comme Grillet, mena à la fois une carrière d’artiste et d’enseignant.

Dessin représentant un sommet de montagne

Ill.1 Alexandre Calame (Vevey, 1810-Menton, 1864)
Folio 3 in : Carnet Lauterbrunnen 1857 - Rigi 1858
12 juillet 1858
Fusain et crayon de graphite, lavis d’encre et rehauts de gouache blanche sur papier bleu
14.4 x 21.7 cm
Achat, 2001
MAH, Inv. BA 2001-0029-D

Michel Grillet et Ferdinand Hodler

Ferdinand Hodler consacra les dernières années de sa vie au paysage suisse, plus particulièrement aux Alpes valaisannes et bernoises. Il séjourna à plusieurs reprises à Grindelwald pour y contempler la Jungfrau. Sur cette toile (ill. 2), on voit la célèbre montagne se dégager majestueusement du brouillard, mettant en évidence la cime bleue et blanche, symbolisant peut-être un autre monde, un monde spirituel, l’au-delà.

Michel Grillet fait directement référence à cette toile dans l’un des dessins de la série Perception Montagne-Ciel de 1977 (ill. 3 et ill. 4) témoignant que, dès ses premiers travaux, il n’a cessé de s’intéresser au dialogue entre la montagne et le ciel, s’inscrivant dans la tradition suisse de la peinture alpine.

Jungfrau

Ill.2 Ferdinand Hodler (Berne, 1853-Genève, 1918)
La Jungfrau dans le brouillard
1908
Huile sur toile
92 x 67.7 cm
Achat, 1939
MAH, Inv. 1939-0034

Patchwork d'images de montagne

Ill.3 Michel Grillet (Genève, 1956)
Perception Montagne-Ciel
1977
Encre et gouache sur papier de bloc-notes
Cadre : 103 x 73 cm ; 25 feuilles, chacune de : 15 x 10 cm
Collection Michel et Raffaella Grillet

Vue d'un sommet de montagne avec nuages

Ill.4 Michel Grillet (Genève, 1956)
Perception Montagne-Ciel (détail d’une des 25 feuilles)
1977
Encre et gouache sur papier de bloc-notes
Feuille : 15 x 10 cm
Collection Michel et Raffaella Grillet

Michel Grillet et Félix Vallotton

Les estampes alpines de Félix Vallotton ont marqué le travail de Grillet autant par leur sujet que par leur traitement japonisant et leur déclinaison en série.

Cette série de six xylographies, gravées par Vallotton en 1892 et comptant : Le Breithorn (inv. E 79-0476), Le Cervin (inv. E 97-0366) deux Mont-Blanc, l’un en hauteur (inv. E 79-0477), l’autre en largeur (inv. E 79-0478), Le Glacier du Rhône (inv. E 79-0479) et La Jungfrau (inv. E 79-0480) (ill. 5) peut être mise en conversation avec la série intitulée Eau-Montagnes-Ciel, dont témoigne cette encre de Chine réalisée par Grillet en 2010 (ill. 6).

Les sujets du Breithorn et du Cervin furent exécutés d’après nature alors que Vallotton était en convalescence à Zermatt en 1888 pour se remettre d’une santé fragilisée par sa vie parisienne, tandis que les autres furent réalisés par la suite, probablement d’après des cartes postales.

Ces deux séries, celle de Vallotton et celle de Grillet, témoignent d’une grande maîtrise du travail en noir et blanc, permettant de créer des contrastes puissants qui reflètent la magnificence de la montagne, en analogie aux estampes japonaises dégageant une atmosphère visuelle forte traduite avec une économie de moyens.

Dessin représentant un sommet de montagne

Ill.5 Félix Vallotton (Lausanne, 1865 — Neuilly, 1925)
La Jungfrau
Feuille : 25.2 x 32.7 cm ; image : 14.3 x 25.5 cm
Don de Lucien Archinard, 1979
MAH, Inv. E 79-0480

Lac et montagne

Ill.6 Michel Grillet (Genève, 1956)
Eau-Montagnes-Ciel
2010
Encre de Chine sur papier Arches
Feuille : 10.2 x 29 cm
Collection Michel et Raffaella Grillet

Michel Grillet et Katsushika Hokusai

Michel Grillet montre un intérêt particulier pour Hokusai dont trois ouvrages sont considérés parmi les plus influents en Occident : les Hoksuai Manga, les Trente-six vues du mont Fuji et les Cents vues du mont Fuji , tous trois présents dans la collection du MAH.

Les Hokusai Manga forment un ensemble d’estampes réalisées en trois couleurs (noir, gris, chair) et publiées dès 1814 lorsque Hokusai avait 55 ans. Ils ne racontent pas une histoire, à la différence des mangas actuels, mais traitent de sujets variés : le paysage, la flore, la faune, la vie quotidienne et le surnaturel.

Les Cent vues du mont Fuji, une série d’estampes réalisées par Hokusai alors qu’il avait 74 ans, font suite aux célèbres Trente-six vues du mont Fuji , éditées entre 1830 et 1833 par Nishimuraya Yohachi, l’un de plus importants éditeurs d’estampes japonaises à la fin du XVIIIe et dans la première moitié du XIXe siècle. Ces deux séries montrent le volcan sous différentes perspectives et selon des effets atmosphériques variés.

Hokusai, dans la postface des Cent vues du mont Fuji, a ressenti le besoin d’expliquer sa quête de saisir l’essence des choses : « Depuis l’âge de six ans, j’avais la manie de dessiner les formes des objets. Vers l’âge de cinquante, j’ai publié une infinité de dessins ; (…). C’est à l’âge de soixante-treize ans que j’ai compris à peu près la forme et la nature vraie des oiseaux, des poissons, des plantes, etc. (…) à l’âge de quatre-vingts ans, j’aurai fait beaucoup de progrès, j’arriverai au fond des choses ; à cent, je serai décidément parvenu à un état supérieur, indéfinissable, et à l’âge de cent dix, soit un point, soit une ligne, tout sera vivant. (…) ».

Selon l’écrivain Kenneth White (1936-2023), « Le thème des Trente-Six vues du mont Fuji est le rapport entre l'homme et la nature, et la plus grande invitation à approfondir ce rapport se trouve là, justement, où l'homme n'est pas représenté (ce qui ne l'empêche pas d'être présent — à travers l'œil du spectateur) ». Les œuvres de Grillet, bien que dépourvues de toute présence humaine, peuvent également être perçues comme une invitation à nous questionner sur ce rapport. Dans ses paysages, Grillet, tout comme Hokusai dans cette xylographie des Cent vues du mont Fuji (ill. 7), recherche l’essence, condensant, par exemple, la dimension cosmique en une pastille de gouache (ill. 8).

Vue du Mont Fuji

Ill.7 Katsushika Hokusai (Tokyo, 1760-Tokyo, 1849)
Le mont Fuji par temps clair, Cent vues du mont Fuji
Xylographie
22.1 x 26.1 cm
Don d’Emilia Cuchet-Albaret transféré de l’université de Genève au MAH
MAH, Inv. E 2003-0662

Images de la lune dans un paysage nocturne

Ill.8 Michel Grillet (Genève, 1956)
Mémoire de paysage
2007
Gouache sur pastille de gouache
Cadre : 47 x 37 ; six pastilles, chacune de : 2.9 x 3.4 cm
Collection Michel et Raffaella Grillet

Michel Grillet et Utagawa Hiroshige

Utagawa Hiroshige, élève d’Hokusai, a aussi marqué l’artiste genevois, qui a retenu dans la collection du MAH ce surimono représentant un paysage de montagne (ill. 9). Le terme surimono signifie « objet imprimé » et désigne un type particulier d’estampe japonaise apparu vers la fin du XVIIIe siècle. Il se caractérise par une technique d’impression luxueuse et un tirage limité. Ces estampes à usage privé, commanditées par des particuliers, pouvaient servir d’illustrations à de courts poèmes et être offerts comme cartes de vœux.

Dans cette estampe d’Hiroshige (ill. 9), le bleu domine. À l’exemple de son maître, Hiroshige utilise fréquemment la couleur bleue pour sa brillance et sa transparence qui permet de faire des dégradés connus sous le nom de bokashi. Ce bleu, qui peut être perçu comme celui de l’espace ou de l’éternité, domine aussi l’œuvre de Grillet, qu’il s’agisse des premiers travaux de 1977 (ill. 3), de ceux du début des années 2000 avec la série intitulée Radiographie du Paysage (ill. 10) ou des plus récents comme Montagnes-Ciel en 2024 (ill. 11). Il crée une dimension poétique, voir métaphorique, nous invitant à nous promener dans le paysage et à entreprendre un voyage intérieur.

Paysage de montagne

Ill. 9 Surimono, paysage de montagne
1820-1850
Xylographie en couleur
26 x 18.1 cm
Achat, 1936
MAH, Inv. Est 0177

Vue sur le ciel et l'eau

Ill.10 Michel Grillet (Genève, 1956)
Eau-Ciel, no 1 de la série de 15 pièces intitulée Radiographies du Paysage
2001
Aquarelle sur papier Arches
Feuille : 30 x 21 cm
Collection Michel et Raffaella Grillet

Vue sur une montagne au couche de soleil

Ill.11 Michel Grillet (Genève, 1956)
Montagnes-Ciel
2024
Aquarelle, gouache sur papier Arches
Feuille : 10.5 x 29.7 cm
Collection Michel et Raffaella Grillet

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