L’OUTILLAGE DE JEAN DUNAND : UN CADEAU DE LA SAMAH QUI REND MARTEAU !

Billot, étau, tas, bigornes, maillets, marteaux d’acier, têtes-de-serpent, telles sont les typologies d’outils, aux appellations parfois insolites, entrées dans le fonds Jean Dunand à la faveur de la générosité de la Société des Amis du Musée d’art et d’histoire (SAMAH). Un outillage propre au métier ancestral du dinandier, qui plus est, ayant appartenu à l’une des figures éminentes du renouveau de la dinanderie d’art au XXe siècle : l’artiste d’origine genevoise, Jean Dunand (1877-1942).

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Jean Dunand

Jean Dunand, Autoportrait, Paris, 1932. Mosaïque de verre de couleur et or, H. 95 x l. 65 cm. Don de Suzanne Dunand, 2014, © MAH, photo : F. Bevilacqua, inv. AA 2014-0034

Comptant quelque deux cents pièces, cet ensemble n’en constitue pas moins une infime partie des milliers d’outils de tout profil et de tout format réunis dans l’atelier parisien de la rue Hallé (14e). Un atelier que Dunand occupe à partir de 1904 et qui ne cesse de se développer au fil des activités nouvelles auxquelles l’artiste s’adonne, au gré des techniques qu’il développe. Véritable empire artisanal dans les années 1930, il se déploie alors sur quatre rues. Aux trois ateliers d’origine, qui répondent aux phases successives de l’art de la dinanderie – à savoir le travail du forgeron, celui des patines, ainsi que celui de la gravure et de la ciselure –, sont venus s’adjoindre dans l’intervalle ceux de laque et d’ébénisterie.

Recherchés avec obstination par les rares dinandiers à exercer encore ce métier (on en dénombre à ce jour une quinzaine en France) et prisés par certains collectionneurs, de tels outils demeurent cependant quasi introuvables. Ils se transmettent traditionnellement de mains d’artisans en mains d’artisans, comme en témoignent, au sein de ce corpus, les noms d’obscurs confrères portés sur plusieurs marteaux. Car pour obtenir le galbe particulier d’une pièce et ennoblir sa surface par un traitement original, l’artiste se doit de façonner une gamme d’outils idoines. Et dans ce domaine, le maître et virtuose de la dinanderie est imbattable. Il compte un nombre impressionnant d’outils fabriqués et inventés par ses soins, à l’exemple de ce tas à planer massif, marqué J. Dunand Paris. Sagement rangé sur son établi et présenté actuellement au 1er étage de la Maison Tavel aux côtés d’œuvres finies – toutes uniques et d’une remarquable qualité d’exécution –, cet échantillonnage d’outils permet de mieux appréhender ce savoir-faire complexe de la dinanderie.

Outil

Tas à planer et détail de la signature de l’artiste, Paris, 1re moitié du XXe siècle. Acier, H. 30,5 x l. 13 x pr. 12 cm. Don de la SAMAH, 2024, © MAH, photo : F. Bevilacqua, inv. AA 2024-0001-039.

Jean Dunand

Entre le marteau et l’enclume

Quand bien même il s’agit d’un art du feu, la dinanderie implique de travailler le métal à froid. Ainsi, pour mettre en forme une pièce, l’artisan part d’un simple disque de cuivre, dont il réduit le diamètre en le martelant sur un tas en acier ou sur une enclume appelée bigorne. Pour ce faire, il porte sur l’extérieur de la pièce des coups de marteau en cercles serrés, du fond vers les bords, sans jamais revenir en arrière, écrase les plis, faisant entrer les unes dans les autres les molécules de la matière. Ce travail ne se fait toutefois pas d’une seule venue : le métal, par le nombre de chocs qu’il reçoit, se durcit au point de ne plus obéir au marteau et risque de se fendre. Il faut donc chauffer la face extérieure de la pièce à l’aide d’un chalumeau à gaz, la rougir, pour lui rendre toute sa malléabilité. Ces opérations, plusieurs fois répétées, permettent d’obtenir la courbure désirée de l’objet et son resserrement jusqu’au col, le tout sans soudure. Précisons qu’un dinandier donne jusqu’à 2’800 coups de marteau à l’heure : une pratique éprouvante et scandée par le bruit assommant du martelage (pouvant entraîner chez certains la « surdité du chaudronnier »).

Jean Dunand en train de rétreindre une pièce dans son atelier

Jean Dunand en train de rétreindre une pièce dans son atelier. Les Arts français, 1918.

Dextérité, maîtrise et ténacité sont donc les qualités requises pour exercer cet artisanat qui « se situe entre la chaudronnerie et l’orfèvrerie », selon la définition de Bernard Dunand. Deux savoir-faire auxquels son père s’est initié à Genève durant sa jeunesse : d’une part à la rue des Chaudronniers, auprès du maître Auguste Dannhauer (1866-1928), et d’autre part à l’École des arts industriels, sise boulevard James-Fazy.

Homme en train de graver

Ciselure d’un vase mis au ciment. Les Arts français, 1918

Fort de cette double formation et de ses années d’apprentissage auprès du sculpteur Jean Dampt (1854-1945), Dunand est parvenu à s’imposer durant la première moitié du XXe siècle comme le maître inconditionnel de la dinanderie. Son sens inné de l’expérimentation l’a conduit à développer maints procédés décoratifs, parmi lesquels les incrustations coulées et l’application de la laque sur métal – des techniques pionnières qui ont permis l’élaboration d’une véritable esthétique, tout empreinte de modernité. Ainsi a-t-il magnifié et coloré la surface de ses objets façonnés au marteau, leur conférant un caractère unique et d’une grande préciosité.

Vase, Paris, vers 1920.

Vase Cornet à rayures alternées, Paris, vers 1913. Maillechort martelé patiné noir, H. 27,5 x diam. 20 cm. Achat, 1973, © MAH, photo : F. Bevilacqua, inv. AD 2280.

S’il est une figure qui incarne au plus près ce savoir-faire séculaire réputé pour célébrer l’éloge de la lenteur, c’est bien Jean Dunand ! Lui qui « ne se dépêchait pas, mais persévérait » n’avait qu’un seul but : la perfection. Il n’est d’ailleurs pas surprenant qu’un journaliste français en 1917 ait proposé de rebaptiser la dinanderie « dunanderie » en hommage au talentueux maître !

Vase, Paris, 1913.

Vase, Paris, 1912. Cuivre martelé, patiné, laqué et incrusté d’or, H. 23 x diam. 10,5 cm. Achat, 1982, © MAH, photo : B. Jacot-Descombes, inv. AD 4068.

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