Le 5 septembre 2023, le Conseil Municipal de Genève a voté le crédit d'étude permettant le lancement d'un concours international qui désignera l'architecte en charge du projet d'agrandissement et de restauration du Musée d'art et d'histoire. Bien sûr le chemin est encore long, mais il s'agit là d'une étape décisive qui rapproche déjà de quelques pas le MAH de son futur.
Des problématiques architecturales et urbanistiques sont évidemment en jeu, mais au-delà, c'est aussi la place du MAH de demain dans la société des prochaines décennies qui est interrogée. Le projet particulier du musée de Genève pose donc la question plus générale du rôle des musées dans le « monde-qui-vient » et de la pertinence qu'ils trouveront à son égard.
Cette interrogation peut sembler incongrue. Les musées, en conservant des modèles et des mémoires collectives, en soustrayant des objets aux ravages du temps peuvent donner à penser qu'ils sont là de toute éternité et que leur existence relève d'une sorte d'évidence. Il n'en est pourtant rien. Si l'origine des arts remonte aux grottes ornées et que l'action de faire collection relève "d'un fait universel, coextensif dans le temps à Homo sapiens et attesté (...) dans tous les sociétés humaines"1, les musées n'en ont pour autant pas toujours existé. C'est en 1661 seulement que la Ville et l'Université de Bâle achetèrent la collection Amerbach pour l'ouvrir au public et l'Ashmolean museum ne fut fondé à l'Université d'Oxford qu'en 1682. Plus conforme à notre conception contemporaine des musées, le British museum fut inauguré en 1759 et le Louvre, quant à lui, n'ouvrit ses portes qu'en 1793. Au final, la première grande vague de créations muséales intervint au XIXe siècle et la plus large part des musées d'importance que nous connaissons aujourd'hui n'ont pas encore fêté leur bicentenaire.
Les musées n'ont donc pas toujours existé et ils n'existeront demain que si nos sociétés futures distinguent en eux l'utilité et la pertinence de leur perpétuation et qu'elles disposent des moyens techniques et financiers de la mettre en œuvre. A l'heure des transformations profondes que nous connaissons en termes environnementaux, culturels, démographiques ou encore numériques, cette question n'est pas sans enjeu. Elle implique pour une part une dimension référentielle qui exige une continuation des récits hérités de l'histoire et une préservation des patrimoines qui en sont issus. Elle nécessite pour une autre part une relecture, une évolution et un complément de ces narratifs comme l'illustrent aujourd'hui, par exemple, les thèmes de la décolonisation des collections ou encore de la présence des artistes femmes dans les fonds muséaux.
Cette écriture continuée ne rompt donc ni avec la vocation ni avec l'ADN du musée et ne peut intervenir qu'au prix d'une connaissance experte de la collection et de l'histoire de l'institution. Dans le cas de l'objet muséal particulier qu'est le MAH, cette nécessité scientifique offre d'ailleurs la potentialité d'une étonnante modernité.
Le Musée d'art et d'histoire est en effet souvent qualifié de musée encyclopédique bien que sa collection soit "pleine de trous", de lacunes et d’oublis qui résultent des partis pris, des opportunités et des hasards de sa constitution. Dans le même temps, cette collection est à ce point diverse qu'elle compte aussi bien des fragments archéologiques, des toiles, des armes, des meubles, des médailles que des montres et des pièces d'argenterie. Cette diversité, réunie au sein d’une même collection en 1910, constitue une unité qui raconte l'Histoire (et notamment celle de Genève), ainsi qu'une Histoire de l'art racontée par domaines. Mais ces mêmes objets, s'ils sont rapprochés et examinés à l'aune d'autres regards plus horizontaux, anthropologiques, techniques ou encore culturels... ouvrent de nouveaux champs d'analyse. Ils donnent alors à voir des Zeitgeists, enrichissent l'Histoire officielle de contrepoints et interrogent aussi l’étrange frontière traditionnellement établie entre la valeur artistique et la valeur d'usage des pièces de collection.
Le MAH, comme nombre de musées, bénéficie donc de la potentialité d’articuler sa profonde mémoire et l’épaisseur de ses savoirs avec des problématiques émergentes. Il est à même d’offrir des repères nouveaux, d’alimenter la création contemporaine et de nourrir des réflexions utiles à notre temps et à ceux à venir.