LES PÉTARDS DU MUSÉE D’ART ET D’HISTOIRE

UN ENSEMBLE DÉTONANT !

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Pièces emblématiques des souvenirs de l’Escalade, les quinze pétards conservés au Musée d’art et d’histoire (MAH) forment un ensemble exceptionnel à plus d’un titre. En effet, peu nombreux sont les exemplaires de cet engin explosif parvenus jusqu’à nous – qu’ils aient été détruits lors de leur utilisation1 ou fondus une fois hors d’usage –, et plus rares encore les modèles remontant au tournant du XVIIe siècle. À l’exception d’une pièce trouvée dans le Rhône en 1887, tous proviennent, comme les madriers qui les accompagnent, du fonds de l’ancien Arsenal2 (fig. 1 et 2).

Pétard de l'Escalade

Fig. 1. Pétard et madrier, Piémont ?, Genève ?, vers 1602 (montage moderne). Alliage de cuivre, long 25,3 cm (pétard), chêne et acier, 45,3 x 38,8 x 4 cm (madrier), poids total 14,960 kg. Fonds de l’ancien Arsenal de Genève © MAH, photo : Bettina Jacot-Descombes, inv. K 32 et K 49.

Fig. 2. Madrier pour pétard, Genève ?, début du XVIIe siècle. Chêne et acier, 39,3 x 33,7 x 3,8 cm, poids 4,270 kg. Fonds de l’ancien Arsenal de Genève © MAH, photo : Flora Bevilacqua, inv. K 37.

UN « ARTIFICE DE FEU » ISSU DES GUERRES DE RELIGION

Les pétards du MAH ont fait l’objet de plusieurs études très complètes3. Nous nous proposons ici d’approfondir les débuts de cet « artifice de feu » qui faillit coûter son indépendance à la Cité de Calvin4 à la lumière du témoignage de protagonistes des guerres de Religion et de celles opposant Genève à la maison de Savoie au tournant du XVIIe siècle.

Principalement utilisé pour détruire les portes d’une place forte et autres obstacles (pont-levis, barrière, herse, muraille, palissade, …) ainsi que pour éventer les mines, le pétard répond aux modes de combat caractéristiques des guerres de Religion (1562-1598), longue suite de conflits civils visant avant tout à s’emparer de places fortes maintes fois prises et reprises. Aux batailles rangées, l’art militaire privilégie alors les sièges et surtout les « surprises », coups de mains généralement nocturnes où échelles et pétards jouent un rôle de premier plan, à l’image de l’Escalade genevoise de 1602. « Anciennement les principales actions de guerre se démesloyent en pleine campagne. A ceste heure elles consistent à surprendre, assaillir, & defendre places », constate en 1587 l’un des grands capitaines réformés, François de La Nouë. C’est faire la guerre « plus en renard qu’en lion », déplore pour sa part le duc Henri II de Rohan, inhumé à la cathédrale Saint-Pierre de Genève5 (fig. 3).

Portrait du duc Henri de Rohan

Fig. 3. Baltazar Moncornet (1598-1668), Henri II de Rohan (1579-1638), vers 1630. Gravure, 15,3 x 11 cm © Bibliothèque de Genève, inv. Icon p 2008 75.

La mise au point du pétard est souvent attribuée aux huguenots, réputés pour leurs innovations techniques dans le domaine de l’artillerie. Le fait est indirectement étayé par Théodore Agrippa d’Aubigné (fig. 4), le fameux écrivain-soldat retiré à Genève en 1620, qui rapporte avoir eu l’occasion de s’entretenir personnellement avec les inventeurs de la nouvelle « machine6 ». Quoiqu’il en soit, le terme pétard (dérivé du verbe péter dans le sens « éclater, exploser »), repris dans les principales langues européennes7, témoigne en faveur d’une origine hexagonale, par ailleurs revendiquée par Antoine de Ville et les ingénieurs militaires français à sa suite : « L’invention du Petard est la plus moderne de toutes celles que nous avons, lesquelles par le moyen du feu rompent & font promptement ouverture. Elle a esté premièrement treuvée & mise en œuvre en nostre France ; du depuis elle a passé en plusieurs autres païs, de façon que maintenant elle reste cogneuë à tous8 ».

Portrait de Théodore Agrippa d’Aubigné

Fig. 4. Bartholomäus Sarburgh (Trèves, vers 1590 – La Haye, après 1637), Portrait de Théodore Agrippa d’Aubigné (1552-1630), Berne, 1622. Huile sur toile, 109,5 x 77,5 cm © Kunstmuseum Basel, inv. 538.

Riche en détails et anecdotes trahissant l’homme de guerre expérimenté, l’Histoire universelle de d’Aubigné constitue un précieux complément aux écrits des ingénieurs militaires du temps. Couvrant les années 1553 à 1602, elle reflète l’apparition du pétard au cours des années 1570 et sa diffusion dans les décennies suivantes. La première mention du nouvel artifice y apparaît à la fin de l’année 1576, avec la prise de Calvinet (Puycapel, dans le Cantal) par Henri de La Tour d’Auvergne, vicomte de Turenne et duc de Bouillon9. Si son emploi se généralise rapidement en France, l’auteur relate la façon dont les forteresses de Luserne (Luserna) et de Mirebouc dans le val Pellice (Piémont), attaquées en 1592 par les troupes de François de Bonne de Lesdiguières, « capitulerent à la veuë du petard, apprehendans ceste artillerie, peu cogneuë vers eux en ce temps-là ». Puis, six ans plus tard, comment le gentilhomme lorrain qui entreprend, après le siège infructueux mené par l’armée impériale, de s’emparer de la ville de Javarin (Györ) en Hongrie à l’aide d’une centaine de soldats et du pétard, suscite l’hilarité des occupants turcs qui n’en connaissent pas encore l’usage : « Ceux-là voyans qu’un homme seul, suivi de si petite troupe, vouloit prendre Javarin et mesme n’ayant qu’un si petit canon, firent une huee de rire10 ».

Selon d’Aubigné toujours, c’est Henri de Navarre « qui en a faict le premier coup de marque » lors la prise de Cahors à la fin du mois de mai 158011. En préambule à sa relation du siège de la ville, l’auteur s’attarde sur l’invention « de ces petards qui ont tant faict parler d’eux », et dont le capitaine huguenot Matthieu Merle avait fait usage peu auparavant pour s’emparer de la place forte de Chanac (Lozère). L’un des engins utilisés était fait « d’une sonnaille de vache » : car comme le rappelle l’ingénieur Antoine de Ville, « nécessité est mère des arts », et « au besoin le fond d’un chapeau bien lié de cordes peut servir de Petard, & tout ce qui peut estre capable d’enfermer la poudre avec quelque resistance, fera effort pour rompre les corps opposez12. »

Indice supplémentaire de la nouveauté de l’engin, d’Aubigné a « ouy dire aux premiers petardiers qu’ils avoyent inventé cette machine en contemplant des tapisseries, où ils voyoyent des petites artilleries r’accourcies, bandées de cercles de fer [c’est-à-dire des bombardes], comme de faict les premiers que nous eusmes estoyent ainsi faicts13(fig. 5a-b) ». Le pétard dit de l’Escalade (voir fig. 8), renforcé par trois bandes en saillie à la bouche, au centre et à la culasse, conserve le souvenir de ce mode de fabrication.

poudre à canon

Fig. 5a-b. Jan Collaert I (Anvers, vers 1530 – 1581), d’après Jan van der Straet, dit Stradanus (Bruges, 1523 – Florence, 1605), Nova Reperta, planche 3, L’invention de la poudre à canon, édité à Anvers par Philips Galle (Haarlem, 1537 – Anvers, 1612), vers 1575-1581, et détail. Burin, 27 x 20 cm à la feuille © New York, The Metropolitan Museum of Art, Harris Brisbane Dick Fund, 1934, inv. 34.30(4).

PÉTARDS ET PÉTARDIERS À GENÈVE AU TEMPS DE L’ESCALADE

Qu’en est-il de l’usage du nouvel engin explosif à Genève ? Il semble que son introduction, sans doute favorisée par les liens étroits unissant les religionnaires français et la Cité de Calvin, y ait suivi de près son essor dans le royaume de France. Il faut attendre 1589, lorsque Genève, exsangue après plusieurs années de blocus économique et profitant d’un contexte international favorable, prend l’initiative de déclarer la guerre au duc Charles-Emmanuel Ier de Savoie, pour qu’apparaissent les premières mentions du pétard. Déjà familier des Genevois comme de leurs adversaires, il ne suscite alors aucun commentaire chez les annalistes, qui se bornent à signaler l’issue de l’assaut entrepris par l’un ou l’autre parti. Le conflit, dans lequel Genève s’engage avec le secours intermittent des Bernois et des Français, débute le 2 avril par deux années de guerre ouverte, suivies de 1591 à 1593 par une série d’escarmouches autour de la ville et de « picorées » (expéditions de pillage).

La prise du château de Montouz (Vétraz-Monthoux) par les troupes genevoises dans la nuit du 2 au 3 avril 1589 paraît être le premier engagement où l’emploi du pétard soit attesté ; parmi les héros du jour figure le pétardier Jean Du Pont, dûment récompensé le lendemain14. Peu après, une première tentative de s’emparer du fort de la Cluse (Fort l’Écluse) contrôlant le défilé du même nom, passage obligé vers la France, tourne au fiasco faute de préparation. Les Genevois sont contraints de se retirer, « un de leurs pétards aïant été rendu inutile pour avoir été mouillé, & aïant mal pourvû à en avoir d’autres prêts15 ». Le 25 mai, ce sont les Savoyards qui échouent devant le fort d’Arve et se replient « avec leurs petardz et eschelles sans que nul des nostres aye esté blessé, Dieu mercis16 ».

Fort de Versoix

Fig. 6. Michel Bénard (documenté en 1590), La Prise du fort de Versoix (8 novembre 1589), 1590. Gravure sur cuivre, 376 x 395 mm à la feuille © Bibliothèque de Genève, inv. 46M 1589 06.

En G, la porte de Coppet où est appliqué le pétard.

La prise de Versoix, le 8 novembre 1589 (fig. 6), nécessite pour sa part «sept à huit cents hommes garnis de petards, d’eschelles noicies et autres esquipages17» : c’est l’un des hauts faits genevois de cette première année de guerre. Arrivés sur place vers deux heures du matin, les assaillants se partagent en quatre groupes, « Le gros des gens de pied [tirant] hors la Porte qui tend au Païs de Vau [porte de Coppet], pour y appliquer le Pétard18 ». Le pétardier est un certain Guiloiseau ou Gilleseau, maître d’épée, qui obtient lui aussi une récompense pécuniaire19. Au cours des années suivantes, l’engin explosif est mentionné notamment lors de la prise de la Roche-sur-Foron (29 mars 1590), dûment pillée, mais après laquelle « Ceux de Boringe, éveillés par le pétard de La Roche, ne se laissent pas surprendre. Nos piétons rentrent la bourse vide […] », tandis que le 5 novembre, une expédition plus lointaine à « Arban [Arbois ?], petite bourgade appartenant au Duc sur la frontière entre le Comté et la Savoie », permet aux Genevois de faire un riche butin en composant avec les assiégés, « sans avoir à faire jouer les trois ou quatre pétards qu’ils avaient emportés20. »

L’un des derniers faits d’armes de cette guerre où l’usage de pétards soit mentionné est la prise de Cruseilles, le 30 octobre 1593. Ayant investi la ville par escalade et par pétard, le commandant des troupes genevoises renonce prudemment à donner l’assaut au château où les ennemis se sont réfugiés ; les Genevois se contentent de piller et d’incendier le bourg « sans prendre aucun prisonnier. Car […] l’on étoit plus content aussi de les laisser là étendus, que de les amener ès prisons de Geneve, lesquelles étoient ja pleines21»…

Cet aperçu de l’utilisation du pétard lors des événements de 1589-1593 permet de constater que le conflit savoyardo-genevois ne se distingue pas à cet égard des guerres de Religion contemporaines. Du point de vue tactique, l’Escalade de 1602 s’inscrit dans une longue série d’entreprises similaires, dont elle ne se différencie guère que par l’ampleur et le retentissement international. Si le soin apporté par Charles-Emmanuel Ier à la mise sur pied de son dessein et les précautions prises pour en conserver le secret détonnent parmi les nombreuses attaques par surprise contemporaines plus ou moins improvisées, les moyens mis en œuvre dans ce genre de coup de main, échelles et pétards, sont familiers aux Genevois du début du XVIIe siècle.

Rien de surprenant donc si le pétard est l’un des éléments-clé du plan d’attaque conçu par Charles de Simiane, seigneur d’Albigny, commandant des troupes ducales à l’Escalade, et François Brunaulieu, gouverneur de Bonne. De combien de ces engins les Savoyards ont-ils jugé bon de se pourvoir ? Si les sources, à l’instar du Vray discours, s’accordent à parler de « plusieurs petards », François de Chapeaurouge (1555-1615), colonel dans la milice et ambassadeur de la Seigneurie, fait mention, dans le discours qu’il tient le 18 décembre devant le Petit Conseil bernois22, de « deulx pettardiers23 avec cincq pettards », dont trois, selon un autre témoignage rédigé peu après les faits, auraient été destinés à la porte Neuve24. Celle-ci constitue l’objectif prioritaire, car son ouverture doit permettre au gros de l’armée savoyarde, stationné à Plainpalais, d’investir la ville. Placée sous les ordres de Brunaulieu, la troupe chargée de cette opération gravit les échelles dressées à la Corraterie avec son matériel, puis, une fois l’alarme donnée, se dirige vers la porte, qu’il s’agit de prendre à revers. On sait que l’échec de la manœuvre est dû à la présence d’esprit de l’un des soldats du corps de garde, Isaac Mercier (1573-1636) : en faisant tomber la herse, il empêche la mise à feu de l’engin déjà fixé à la porte par l’ennemi, lequel a été provisoirement mis en fuite par la première contre-attaque genevoise.

Pétard de l'Escalade

Fig. 7. François Diodati (Genève, 1647-1690), gravure dite de la « Vraie représentation de l’Escalade », vers 1667, détail : un soldat abbat la herse, et tue le petardier. Eau-forte et burin, 233 x 397 mm au trait carré © Bibliothèque de Genève, inv. 46P 1602 20 w.

Le pétardier et son engin, non fixé au madrier, gisent à terre, donnant l’impression que la grille va s’abattre sur eux. Le pétard présente une silhouette très proche de l’exemplaire ci-contre.

Fig. 8. Pétard dit de l’Escalade, Piémont ?, Genève ?, vers 1602. Cuivre ou alliage de cuivre, long 39,5 cm, 26,800 kg. Fonds de l’ancien Arsenal de Genève © MAH, photo : Flora Bevilacqua, inv. K 24.

Ainsi, lorsque les Savoyards parviennent à reprendre la porte, l’engin leur reste inaccessible, tandis que le pétardier Picot est tué d’un coup d’arquebuse ou de mousquet dans la tête avant d’avoir eu la possibilité de faire jouer un autre pétard (fig. 7 et 8). Désorganisés par la mort prématurée de leur chef et dans l’incapacité d’ouvrir la porte Neuve aux troupes massées à l’extérieur de la ville, les quelque trois cents assaillants qui se sont introduits dans la ville se retrouvent bientôt acculés au rempart… Genève est sauvée.

Mais de rudes combats sont encore nécessaires pour déloger les ennemis retranchés dans les maisons faisant face au lieu de l’escalade, qui forment une sorte de muraille intérieure (fig. 9a-b). Au début de l’attaque, un groupe avait été chargé d’en pétarder les portes pour créer un passage vers la Cité. Les témoignages concordent sur le choix de la demeure du marchand de soie Julien Piaget (vers 1546-1609), où un repérage avait été effectué la veille, ainsi que dans d’autres maisons environnantes25. Un pétard y est apposé à la porte de l’écurie (fig. 10), tandis qu’un autre fait sauter « celle du paticier quy la joinct26», connu sous le nom d’Aguiton.

Pétard de l'Escalade

Fig. 9a-b. Michel Bénard (documenté en 1590), Genève, vue dite du « Vray Discours », 1603, et détail. Burin sur papier, 146 x 326 mm au trait carré © Bibliothèque de Genève, inv. 46P 1602 10.

En K, « La porte de Iuillien Peaget [Julien Piaget] bourgeois de la ville, qui fut petardee esperans de se saisir de ceste maison, & de celles qui lui sont voisines pour se ietter dans la ville, & interrompre le secours des citoyens. »

En Q, « La maison d’Aguiton pastissier, en laquelle entra bon nombre de Savoyards comme en celle de Peaget, dont ils furent repoussez, ausquelles toutesfois furent pris aucuns Savoyards vivans, pour tascher tirer d’eux d’où & comment procedoit ceste entreprise. »

Fig. 10. Pétard, Piémont ?, Genève ?, vers 1602. Alliage de cuivre, long 36,3 cm, poids 38,400 kg. Fonds de l’ancien Arsenal de Genève © MAH, photo : Flora Bevilacqua, inv. K 25.

Dans le registre d’entrée manuscrit de la Salle des Armures, cet exemplaire, bien qu’encore rempli de poudre, est considéré comme celui appliqué a l’écurie de Julien Piaget. Il a été déchargé à la caserne le 10 décembre 1867.

L’assaut manqué du duc de Savoie sur Genève rallume la guerre, laquelle ne prendra fin qu’à l’été 1603 avec la signature du traité de Saint-Julien (11 juillet). Le journal du médecin Esaïe Colladon, qui couvre la première décennie du XVIIe siècle, documente ainsi entre février et avril 1603 quelques entreprises genevoises à l’aide du pétard, dont deux, infructueuses, contre le château d’Étrembières27 ; lors de la seconde, le capitaine enseigne, s’étant approché trop près, voit sa jambe droite emportée par l’explosion de l’engin. Entre-temps, les Genevois avaient échoué à pétarder le château de La Perrière à Viry, mais étaient parvenus à s’emparer de Saint-Genis d’Aoste (Saint-Genix-sur-Guiers), expédition pour laquelle ils avaient emporté « vivres, petars et autres munition de guerre28 ».

Enfin, Colladon fait état d’un usage plus festif du pétard, qu’on emploie également pour les salves tirées en l’honneur de visiteurs éminents. Lesdiguières est ainsi accueilli au son du canon et du pétard le 10 février 1601, puis le 4 septembre de l’année suivante, alors qu’il arrive par bateau de son château de Coppet avec plusieurs de ses gentilshommes. Le 2 mai 1603, l’entrée de Méry de Vic, ambassadeur de France auprès de la Confédération, est saluée de la même manière29.

Pétard de l'Escalade

Fig. 11 et 12. Pétard, Savoie ?, Genève ?, fin du XVIe siècle. Alliage de cuivre, long 16,9 et 17,4 cm, poids 4,150 et 6,250 kg. Fonds de l’ancien Arsenal de Genève © MAH, photo : Flora Bevilacqua, inv. K 30 et K 33.

Pétard de l'Escalade

Fig. 13 et 14. Pétard, Savoie ?, Genève ?, vers 1602. Alliage de cuivre, long 18 cm, poids 5,320 et 6,700 kg. Fonds de l’ancien Arsenal de Genève © MAH, photo : Flora Bevilacqua, inv. K 35 et K 31.

DE PRÉCIEUX AUXILIAIRES DE L’INDÉPENDANCE GENEVOISE

Lors de l’Escalade de 1602, les troupes de Charles-Emmanuel Ier étaient donc munies de plusieurs pétards, tout ou partie abandonnés lors de leur retraite. Les quatorze exemplaires issus du fonds ancien de l’Arsenal conservés au MAH sont traditionnellement considérés comme le butin des combats menés cette nuit-là, bien qu’en 1683 seul le « Petard de lescalade tout chargé avec son madrier » soit explicitement rattaché à l’événement dans l’inventaire de la « Chambre des boulets » aménagée au rez-de-chaussée de la « maison basse » de la Treille30. Les sources documentant l’usage du pétard par les deux camps depuis la dernière décennie du XVIe siècle au moins, il possible que parmi ceux parvenus jusqu’à nous figurent des pièces genevoises ou savoyardes remontant à cette époque.

L’un des exemplaires les plus anciens, simplement percé d’une lumière au ras de la culasse (fig. 11), témoigne de l’utilisation d’une mèche amovible ; celle-ci pouvait être en papier, à l’instar du système décrit par d’Agrippa d’Aubigné, où une bandelette-témoin du même papier que la mèche, allumée simultanément à celle-ci, permet d’en suivre la combustion31. À ce système de mise à feu ingénieux mais fragile, on a rapidement préféré – même si l’évolution technique est rarement linéaire – un tube de bois dur ou de métal enfoncé ou vissé dans la lumière (fig. 12), puis forgé d’une seule pièce avec le pétard, comme dans les autres pièces du musée32 (fig. 13 et 14).

Quoi qu’il en soit de ces nuances, cet exceptionnel ensemble d’engins explosifs de la fin du XVIe siècle et du début du siècle suivant témoigne d’une période cruciale de l’histoire de la jeune république réformée, fermement décidée à défendre les armes à la main son indépendance politique et sa liberté confessionnelle face aux ambitions du duc de Savoie.

Notes

  • 1.

    L’un des nombreux dangers auxquels s’exposait le pétardier était l’explosion de son engin, laquelle n’était heureusement pas systématique.

  • 2.

    Inv. K 22-K 26, K 28-K 36, K 327 (pétards) et K 37-K 51, K 64 (madriers). Le madrier est une épaisse planche de bois dur, généralement renforcée par des bandes de fer, sur laquelle le pétard est fixé afin d’étendre son effet sur une plus grande surface.

  • 3.

    José-A. Godoy, L’Escalade et ses souvenirs, Genève 1980, pl. 3 et p. 28-29, José-A. Godoy, Armes à feu XVe-XVIIe siècle. Catalogue du Musée d’art et d’histoire, Genève, Genève 1993, nos 318 à 347, p. 114-119, et José-A. Godoy, « L’attaque d’une ville par surprise au XVIIe siècle. Pétards et pétardiers », Genava, n.s., tome L, 2002, p. 99-154 (pour la bibliographie antérieure, voir p. 154).

  • 4.

    Sur l’invention du pétard et son utilisation lors les conflits entre Genève et la Savoie aux XVIe et XVIIe siècles, voir Corinne Borel, « Un artifice de feu issu des guerres de Religion. Le pétard lors les conflits entre Genève et la Savoie au tournant du XVIIe siècle », Recueil de l’Escalade, 2024, pp. 18-43.

  • 5.

    François de La Nouë, Discours politiques et militaires du Seigneur de La Nouë […], Bâle 1587, p. 261, et Henri de Rohan, Le parfait capitaine, ou abregé des guerres des commentaires de César, Paris 1642, p. 280.

  • 6.

    André Thierry (éd.), Théodore Agrippa d’Aubigné, Histoire universelle, tomes I à XI, Paris – Genève 1981-2000, tome VI, p. 15.

  • 7.

    Allemand et danois Petarde, italien, espagnol et portugais petardo, anglais, néerlandais et suédois petard.

  • 8.

    Antoine de Ville, Les Fortifications du chevalier Antoine de Ville tholosain, avec l’ataque et la defence des places, Lyon 1628, p. 243.

  • 9.

    Histoire universelle, op. cit., tome V, p. 210. Sir Roger Williams (1540 ?-1595), mercenaire anglais au service du duc d’Albe, mentionne pour sa part la présence de « petardes, ladders, and such Engines of warre » (pétard, échelles et instruments de guerre similaires) lors de la prise de la place forte de Geertruidenberg aux Pays-Bas (13 août 1573), orchestrée par un lieutenant et un capitaine huguenots (Roger Williams, The Actions of the Lowe Countries, Londres 1618, p. 107-108).

  • 10.

    Histoire universelle, op. cit., tome IX, p. 147 et 339.

  • 11.

    Pour les citations relatives à la prise de Cahors, voir Histoire universelle, op. cit., tome VI, p. 15-23.

  • 12.

    Antoine de Ville, op. cit., p. 247.

  • 13.

    Histoire universelle, op. cit., tome VI, p. 15.

  • 14.

    Albert Choisy (éd.), « Journal du syndic Jean du Villard pour l’année 1589 », dans : Mémoires et documents publiés par la Société d’histoire et d’archéologie de Genève, tome XXXII, Genève 1912-1922, p. 264 et 310.

  • 15.

    [Simon Goulart], Mémoires de la Ligue […], tomes I à VI, Amsterdam 1758, tome III, p. 701

  • 16.

    « Journal du syndic Jean du Villard », op. cit., p. 270.

  • 17.

    Histoire universelle, op. cit., tome VIII, p. 317. Les échelles savoyardes de 1602 présentent la même particularité.

  • 18.

    Mémoires de la Ligue, op. cit., tome IV, p. 693.

  • 19.

    « Journal du syndic Jean du Villard », op. cit., p. 297, 298 et 313.

  • 20.

    Gabriel Schmutz (éd.), « Les guerres de Genève. Le journal de l’année 1590 du pasteur Simon Goulart », Bulletin de la Compagnie de 1602, partie I, no 278, décembre 1990, p. 208, et partie III, [no 288], décembre 1992, p. 388.

  • 21.

    Mémoires de la Ligue, op. cit., tome V, p. 807.

  • 22.

    StASH Correspondenzen 1602, Faszikel 2, p. 3-8 (traduction allemande et version française, utilisée ici). Nous remercions chaleureusement Patrice Delpin d’avoir porté ce document à notre attention.

  • 23.

    Selon Delpin, qui s’appuie sur le témoignage de l’historien français Pierre Victor Palma Cayet (1525-1610), Brunaulieu, mort lors de la première contre-attaque genevoise, aurait pu être, à côté du pétardier Picot connu par la tradition, ce second artificier (Delpin, à paraître) – que la chose ait été prévue ou improvisée : « le premier coup qui fut tiré Brignolet [Brunaulieu], lequel faisoit l’office de petardier, pensant accommoder son petard, fut tué » (Pierre Victor Palma Cayet, Chronologie septenaire de l’histoire de la paix entre les roys de France et d’Espagne […]. II. partie, Paris 1605, p. 354 et 365).

  • 24.

    Émile Duval (éd.), Trois relations de l’Escalade tirées des manuscrits de la Bibliothèque nationale de Paris, Genève 1885, p. 15.

  • 25.

    Vray discours, op. cit., p. 21, Histoire universelle, op. cit., tome IX, p. 333.

  • 26.

    Trois relations de l’Escalade, op. cit., p. 14.

  • 27.

    Patrice Delpin (éd.), Esaïe Colladon, Journal (1600-1609), Genève 2022, p. 303 et 316-317.

  • 28.

    Nuit du 2 au 3 mars 1603 et 15-20 mars 1603 (Esaïe Colladon, op. cit., p. 305 et 307-308).

  • 29.

    Esaïe Colladon, op. cit., p. 187, 237 et 317.

  • 30.

    AEG, Mil. Q 1, reproduit dans José-A. Godoy, « Les souvenirs de l’Escalade », dans : C’était en 1602. Genève et l’Escalade, Genava, n.s., tome L, album, 2002, p. 90-111, fig. 40. L’origine des dix-huit autres exemplaires recensés cette année-là n’est pas précisée. Par la suite, les pétards conservés à l’Arsenal deviennent tous anonymes. Il faut attendre 1831 pour que les quinze exemplaires alors inventoriés soient considérés dans leur ensemble comme « venant de l'Escalade » (AEG, Mil. Pbis 7, onglet 7), attribution conservée en 1867 dans le registre d’entrée de la Salle des Armures.

  • 31.

    D’Aubigné attribue cette invention au « capitaine Chanson, Lieutenant de l’artillerie en Poictou » (Histoire universelle, op. cit., tome VI, p. 15-16).

  • 32.

    À partir de la seconde moitié du XVIIe siècle, la lumière est généralement percée au centre de la culasse, dont la forme tend à s’arrondir.

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