L’Art et l’Intelligence Artificielle

Réinventer le Regard sur les Collections

Fidèle à sa vision d’un musée multifréquence, le MAH s’attache à exister sous différente forme et à conjuguer tradition et innovation, notamment à travers son calendrier de l’avent numérique, un rendez-vous sur les réseaux sociaux devenu incontournable dans la vie digitale du musée. Cette année, le musée a invité Mathieu Tonetti à imaginer 24 créations qui rythmeront nos pages Instagram et Facebook avec un ton joyeusement irrévérencieux qui caractérise le MAH.

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L’artiste et réalisateur français, connu pour son travail multidisciplinaire qui mêle cinéma, photographie et arts numériques, a choisi de composer avec l’intelligence artificielle (IA) pour animer certaines œuvres emblématiques de la collection. Ces courtes animations, à la fois surprenantes, étranges et poétiques, réinventent le rapport du public à ces pièces patrimoniales, invitant à les explorer sous un nouveau jour.

« L'IA ne connaît aucune limite dans son interprétation du monde réel », explique Tonetti. « Ce qui est intéressant c’est que l'IA générative est nourrie par les millions d'images ou de textes que l'humanité poste tous les jours, les résultats qu'elle produit ne sont en réalité qu'un reflet, bien souvent délirant et fiévreux, de l'inconscient collectif, libéré des contraintes liées à la réalité physique. Elle permet de produire des images absurdes, insensées, elle fixe les images furtives qui peuplent nos rêves ou nos cauchemars, ces images qu'on a souvent du mal à cerner ou à appréhender au réveil parce qu'elles sont trop absurdes.»

Ces derniers temps, l’utilisation de l’IA dans l’art ne cesse de bousculer les frontières entre création, innovation et technique. Il y a quelques semaines, le MAH organisait avec les Bibliothèques municipales de Genève, un week-end explorant les IA visuelles et les liens entre mots et images, dont des tables rondes autour de la place de l’IA dans l’art et au sein des musées. L’an dernier, le Museum of Modern Art (MOMA) à New York, exposait Unsupervised Machine Hallucinations une œuvre de l’artist Refik Anadol. En s’appuyant sur l’IA, l’œuvre interprétait les données de la collection et intégrait des éléments en temps réel (lumière, acoustique, météo) pour créer une projection d’une œuvre qui explorait la fantaisie, l'hallucination et l'irrationalité. L’artiste ira même jusqu’à diriger le premier musée consacré à l’art généré par intelligence artificielle qui ouvrira ses portes en 2025 à Los Angeles.

Si l'IA peut donner naissance à de nouvelles œuvres d'art, elle peut également insuffler une nouvelle vie à celles du passé. « C’est un peu comme visiter le musée sous hallucinogène, » dit Tonetti à qui l’IA ne fait pas peur. Il la voit comme un outil encore en développement, un stylo innovant dont il peut se servir pour créer. L’artiste a choisi ce nouveau medium pour interagir avec ces œuvres historiques et jouer avec les codes.

« J’adore le clash entre la rigidité et l'académisme des tableaux et la liberté que permet cet outil révolutionnaire naissant, totalement disruptif même s'il est encore imparfait, » explique l’artiste pour qui la création avec l’IA demande aussi un peu de patience pour obtenir ce qu’on recherche créativement. « Bien souvent, l'IA n'en fait qu'à sa tête ; elle peut être désobéissante, voire récalcitrante. Arriver à un résultat satisfaisant peut prendre du temps. Elle pousse à creuser son propre imaginaire, trouver des moyens de formuler correctement ses attentes et délires. Ce processus exhorte finalement à se libérer de sa propre prison mentale et à explorer des nouvelles pistes mystérieuses insoupçonnées. »

Dans le calendrier de l’avent 2024 du MAH, l’IA agit donc comme une extension qui révèle des dimensions narratives ou esthétiques souvent insoupçonnées. Ces expérimentations numériques offrent ainsi une médiation originale, conciliant innovation et préservation. En mêlant histoire de l’art et technologie contemporaine, le musée interroge les potentialités des institutions culturelles dans l’ère numérique. L’objectif n’est pas seulement de surprendre mais aussi de questionner : comment l’IA peut-elle contribuer à renouveler le regard porté sur la collection ? Peut-elle ouvrir l’imaginaire ?

Avant tout, l’IA sert ici à étonner et s’amuser. La Fontaine personnifiée émane du girl power, une œuvre de Louis Patru se transforme en clip de Beyoncé, la duchesse d'Orléans se lâche, les estampes japonaises éclaboussent : le mois de décembre va vous surprendre.

« L'IA est comme une amie imaginaire complètement folle qui permet de voir les choses derrière les choses, » dit Tonetti. « Elle remet en question l'approche traditionnelle de la représentation de la réalité. Paradoxalement, elle permet de voir la réalité derrière le voile des apparences, pétries de convenances et de règles. L’image paraît familière, et pourtant on ne l’a jamais vu auparavant. »

Ce calendrier de l’avent, à travers ses animations ludiques et inattendues, illustre parfaitement la vocation du musée : rendre ses collections accessibles, vivantes et inspirantes pour toutes et tous. Il rappelle également que l’art, qu’il soit ancien ou numérique, reste avant tout une invitation à dialoguer avec le temps, les cultures et les imaginaires.

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