Des femmes « qui tantost valent gens de guerre»
Sans véritable impact sur l’issue des combats, le geste de la Mère Royaume, pour anecdotique qu’il puisse paraître, n’en constitue pas moins une image forte, celle de la lutte de l’ensemble d’une communauté pour la préservation de sa liberté politique et confessionnelle. Cet acte symbolique s’inscrit dans la continuité du rôle actif joué depuis toujours par les femmes lors d’épisodes de siège. Car si en Occident, dans une société fondée sur la distinction des rôles masculin et féminin, les femmes sont en principe exclues de l’exercice de la guerre, l’état de siège – auquel se rattache l’attaque par surprise, comme à Genève – est l’un des rares cas de force majeure où elles peuvent, à titre exceptionnel, assumer une fonction qui les place à égalité avec les hommes dans la défense de la cité. Mettant en péril leur espace domestique, leur famille et leur intégrité physique, le siège permet aux femmes d’outrepasser temporairement les normes de genre au nom de l’intérêt collectif.
La relation du siège de Montauban faite par Hector Joly, ancien ministre du culte et témoin oculaire de l’événement, permet de prendre la mesure de l’étendue du périmètre d’action des femmes lors de ce type d’épisodes guerriers. D’août à novembre 1621, Louis XIII tente vainement de s’emparer de ce bastion du calvinisme, parfois appelé « la petite Genève ». L’auteur souligne la résistance acharnée de la population montalbanaise, et plus encore, celle des femmes : « Que ne feront elles pas, quand parmi l’apprehension naturelle de la perte de leurs biens, de leur honneur, de leurs maris & enfans, se mesle l’interest de la Religion ? en telles occasions il les faut conter pour autant de soldats, & des plus hardis. »
Sous sa plume, on voit les femmes contribuer aux pénibles travaux de consolidation et de réparation des fortifications, s’accoutumant « à la gresle des mosquetades, qui y tomboit bien dru », mais également aller à la rencontre de l’ennemi, lui jetant des pierresou faisant usage des armes qui leur tombent sous la main, et n’hésitant pas à s’aventurer hors de l’enceinte protectrice des remparts pour descendre dans les tranchées adverses incendier les gabions et saboter les canons : « Le Regiment de Navarre va faire la retraicte au moulin de l’Abbadie de peur de la rencontre de ces lutins qui vont ainsi de nuict troublans le repos des soldats fatigués, & nous laisse tellement maistres de ces tranchees & gabionnades que les femmes eurent loisir d’y venir mettre le feu, & une d’entre elles monter sur l’un des canons & l’encloüer. »