La collection de sceaux byzantins du MAH, un fonds exceptionnel

Du vide… plein de sens

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Depuis son entrée dans la collection numismatique du MAH en 2004, grâce à la prestigieuse donation de Janet Zakos, nous avons souvent eu l’occasion de souligner l’importance de ce bel ensemble de 450 objets, par des entretiens intra et extra muros, des articles dans des revues spécialisées ou dans le blog du musée1, ou des communications lors de congrès scientifiques. Par ailleurs, la publication du catalogue raisonné dont elle a fait l’objet en 20162 lui a valu une visibilité internationale appréciée, ainsi qu’ une réputation méritée.

Certes, moins vaste que les collections du Dumbarton Oaks à Washington (16 000 pièces), de l’Hermitage de Saint-Petersbourg (environ 12 500 pièces), ou encore du Musée archéologique d’Istanbul (1 516 pièces), la collection de Genève peut se vanter d’un remarquable boullotèrion (fig. 1) – un des treize outils à frapper les bulles qui sont parvenus jusqu’à nous de toute la période byzantine – ainsi que des exemples en bon état de conservation de presque toutes les catégories connues de sceaux byzantins. Elle offre ainsi un aperçu bien représentatif des aspects de la sigillographie byzantine autant comme pratique que comme domaine scientifique, couvrant une période de dix siècles d’usage et d’histoire.

Marteau

Fig. 1
Boullôtèrion de l’évêque de Méloè, 11e siècle.
Fer, long : 31,26 cm ; MAH CdN 2004-374. Donation de la Fondation Migore, legs Janet Zakos
Photo : Bettina Jacot-Descombes

Les bulles byzantines : des objets à double usage

Rappelons que les bulles byzantines, le terme correct pour désigner ces objets bifaces en plomb – ou en or mais seulement pour l’empereur –, ont été utilisées par les Byzantins à grande échelle au sein de l’administration, dès le Ve siècle, pour assurer l’authentification et la confidentialité des actes officiels ou des marchandises de l’Etat. Plus solides que les empreintes en cire, il s’agit aussi d’une technique plus raffinée allant de pair avec le prestige et la puissance de l’Empire millénaire. Par ailleurs, les bulles en plomb ont été utilisées aussi pour sceller la correspondance privée, voire des coffres ou des objets dont les propriétaires voulaient marquer l’appartenance.

Le sens d’une nouvelle acquisition du MAH

Soucieux de mettre en valeur cette collection remarquable, le Cabinet de numismatique a cherché à l’enrichir par l’acquisition, en vente publique3, de deux flans vierges en très bon état de conservation (fig. 2) : des rondelles en plomb destinées à recevoir par frappe, sur leurs deux faces, l’empreinte du motif et/ou de la légende gravés sur les mâchoires intérieures du boullôtèrion. Cette acquisition a augmenté la représentativité de l’ensemble sigillographique genevois, et offre désormais un aperçu plus complet de l’aspect matériel et technique de la chaîne de fabrication des bulles.

Moins rares que les boullôtèria – qui devaient être détruits à la mort de leur propriétaire pour éviter les falsifications – les flans vierges ne sont pas non plus courants sur le marché ou parmi les trouvailles archéologiques. C’est pourquoi ils sont peu présents dans les différentes collections, autant publiques que privées. Ils sont aussi moins « cotés » auprès des collectionneurs du fait même qu’ils sont vierges, à savoir vides de toute information. Nos deux flans faisaient partie d’un lot indéterminé de dix sceaux au total, de période chronologique et de qualité de conservation diverses et inégales (CdN 2019 -24 à 33).

Néanmoins, il n’est pas rare que le manque d’information constitue une information en soi. Celle transmise par ces rondelles et la valeur qui en découle résident précisément en leur état vierge, qui donne à voir la forme d’origine du produit final tout en éclairant le procédé de leur fabrication.

Plomb

Fig. 2 a et b
Flans vierges, 6e -13e siècles
Plomb, 18 mm (a) ; 26 mm (b) ; MAH CdN 2019-32 et 33. Achat, 2019
Photo : Flora Bevilacqua

L’art de sceller

Des moules à flans (de métal…) mis au jour lors de fouilles archéologiques menées à Corinthe par l’Ecole américaine d’Athènes permettent de savoir que ces disques sont obtenus par du plomb fondu et coulé dans des coupelles. Comme on peut le voir sur la photo n° 34 qui montre une des deux parties constituant un moule, une rigole est creusée au centre des coupelles pour y placer un fil de métal afin de créer un canal. Celui-ci, qui, à l’état final, se présente comme une protubérance plus ou moins prononcée (voir fig. 2), était nécessaire pour faire passer la cordelette par laquelle la bulle était appendue sur le document.

Métal malléable et par conséquent facile à frapper par une matrice mobile, tel que le boullôtèrion, le plomb était facilement disponible en tant que sous-produit du traitement de minéraux argentifères, ou par récupération du métal des bulles en plomb jetées une fois qu’elles avaient accompli leur fonction d’authentification.

Moule à pièce byzantin

Fig.3
Moule à flans byzantin, 6e-13e s.
Pierre, 49 x 65 cm. ASCSA, Corinth Excavations, MF 3274
Photo : Ecole américaine d’études classiques d’Athènes

A l’exception des bulles du tribunal de Sainte-Sophie, d’une taille moyenne entre 42 et 62 mm (fig. 4), la taille moyenne des bulles en plomb s’élève entre 20 et 30 mm. Aucun rapport ne semble exister entre la taille de la bulle et l’importance de la fonction exercée par le titulaire du sceau. En revanche, la disponibilité de la matière première pouvait avoir une incidence sur le diamètre des flans. On constate en effet une réduction de la taille des bulles au XIe siècle, période d’où date la grande majorité des bulles conservées. Le XIe siècle est une période charnière pour l’empire byzantin sous plusieurs aspects. L'Empire byzantin a connu une croissance de son territoire, ce qui a nécessité la création de nouveaux postes administratifs et, par conséquent, une augmentation du nombre de documents à sceller. Simultanément, la perte du plateau anatolien au profit des Turcs Seldjoukides dès 1071 a entraîné la perte de mines argentifères, privant l'Empire d'une source importante de plomb.

Une fois la cordelette insérée dans le canal du flan et appendue en bas du document à sceller, le flan vierge était fermement pris entre les mâchoires du boullôtèrion, appuyé de toute évidence sur une surface stable (fig. 5) ; par un coup - ou sans doute plusieurs pour les motifs plus travaillés - asséné sur une des têtes de la pince, les deux faces du flan recevaient l’empreinte des données gravées sur les faces intérieures des mâchoires de la pince. D’après le Livre du Préfet, un recueil de règlements qui concernent l’exercice des métiers à Constantinople, compilé au début du Xe siècle, sous le règne de l’empereur Léon VI, dit le le Sage, l’éparque ou préfet de la Ville, alias le maire de Constantinople, disposait d’un employé « spécialisé », le boullôtès, pour s’acquitter de la tâche d’apposer son sceau sur les marchandises issus des ateliers de la capitale5. Bien que cela ne soit pas documenté, il est possible que d'autres hauts fonctionnaires aient eu recours à cette pratique, ce qui expliquerait la qualité de la frappe de certains exemplaires.

La saillie du canal étant ainsi écrasée, la cordelette se trouvait stabilisée dans la bulle et sur le document. Après l’ouverture de ce dernier et une fois sa validité périmée, les bulles étaient tout simplement jetées, pour resurgir des siècles après lors de fouilles archéologiques ou de découvertes fortuites, ou bien fondues, pour récupérer le métal qui devait servir à la fabrication de nouveaux flans.

Marteau

Fig. 4
Simulation de frappe
Photo : Bettina Jacot-Descombes

Pièce de monnaie antique

Fig.5
Sceau du tribunal de Sainte-Sophie, seconde moitié du 12e siècle
Plomb, 76,5 mm ; MAH CdN 2004-595. Donation de la Fondation Migore, legs Janet Zakos
Photo : Flora Bevilacqua

Objets personnels à usage éphémère, les sceaux byzantins fournissent par leurs légendes et les motifs iconographiques dont ils sont ornés des informations précieuses pour l’étude de l’histoire et de la civilisation byzantines. Mais ils constituent aussi de témoins de la culture matérielle byzantine autant par la technique de leur fabrication que par leur fonction d’authentification des documents.

A noter qu’en Occident l’usage des sceaux en plomb (fig. 6) ne s’est pas répandu avant le 12e siècle !

Pièce de monnaie antique

Fig. 6
Bulle du pape Innocent IV (1243-1254)
Plomb, 38,5 mm ; MAH CdN 2004-610. Donation de la Fondation Migore, legs Janet Zakos
Photo : Flora Bevilacqua

Notes

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