« (…) il n’y a plus de quartier, c’est une boucherie, un combat de bêtes féroces, furieuses et ivres de sang ; les blessés même se défendent jusqu’à la dernière extrémité, celui qui n’a plus d’armes saisit à la gorge son adversaire qu’il déchire avec les dents. » (Henri Dunant, Un souvenir de Solférino, 1862)1
C’est avec ces mots que l’homme d’affaires et humaniste suisse Henry Dunant (1828-1910) débute son ouvrage Un souvenir de Solférino, publié en 1862. Son but était d’émouvoir l’opinion publique sur le sort des soldats. L’ouvrage conduisit à la création du Comité international de la Croix Rouge (CICR) en 1863, puis, un an plus tard, à l’adoption de la Convention pour l'amélioration du sort des militaires blessés dans les armées en campagne. Le droit international humanitaire (DIH) était né. Pour la première fois, le principe selon lequel même la guerre a des limites était codifié dans un traité international.
La description de la bataille de Solférino par Dunant n’est pas sans évoquer les scènes Los desastres de la guerra (Les désastres de la guerre) par l’artiste espagnol Francisco de Goya (1746-1828). Un demi-siècle avant Dunant, Goya témoignait du conflit qui affectait son pays, en valorisant non les combattants glorieux, mais en mettant l’accent sur les civils, les blessés et les prisonniers. Goya montre la guerre dans toute sa bestialité. Los desastres de la guerra parlent de viol, de torture, de déplacés, d’exécutions, de famine et de mort. Les victimes sont des femmes, des enfants et des hommes qui ne participent pas ou plus aux hostilités. Ce sont précisément ces personnes que le droit humanitaire cherche à protéger.
La série de gravures ne fut jamais éditée du vivant de Goya. Ce dernier a cependant offert un exemplaire relié de cette série à son ami Juan Augustín Ceán Bermúdez (1749-1829). Conservé aujourd’hui au British Museum (1975,1025.421.1-2), on lit sur sa première page le titre manuscrit et éloquent « Fatales consequencias / de la sangrienta guerra en España / con Buonaparte. / Y otros caprichos enfaticos, en 85 estampas. / Inventadas, dibuxadas y grabadas, / por el pintor original D. Francisco de Goya y Lucientes. / En Madrid . [sic] » (Les conséquences fatales de la guerre sanglante en Espagne avec Bonaparte. Et autres caprices emphatiques, en 85 estampes. Inventées, dessinées et gravées, par l'auteur et peintre D. Francisco de Goya y Lucientes. À Madrid.).
Les dessins préparatoires aux gravures Los desastres de la guerra sont conservés au Musée du Prado, tandis que les cuivres à partir desquels les gravures ont été réalisées se trouvent à l’Académie royale des Beaux-Arts San Fernando à Madrid. En 1863, cette académie présente la première édition posthume sous le titre Los desastres de la guerra comptant 80 planches. Le MAH conserve l’ensemble des planches de cette édition de 1863 acquise par le musée en 1977, année marquant la signature des Protocoles additionnels aux quatre Conventions de 1949.
Goya a été témoin d’atrocités, comme d’autres avant lui – mentionnons Jacques Callot (1592-1635) dont Les Grandes Misères de la guerre (ill.1) ont certainement marqué l’artiste espagnol – et d’autres après lui – pensons à Pablo Picasso (1881-1973) avec Guernica.