Entretien avec Hortense Belhôte

S’échapper pour mieux appréhender l’histoire de l’art et son héritage

Hortense Belhôte, performeuse et historienne de l’art, nous invite à repenser notre rapport aux musées et à l’héritage culturel. À travers ses Escape Game, organisés dans le cadre du festival Les Créatives, elle brouille les frontières entre spectacle, jeu, pédagogie et critique sociale. Dans cet entretien, elle revient sur son parcours, ses inspirations et ses projets, et son escape game au musée, conçu pour démocratiser l’histoire de l’art tout en la rendant ludique et accessible. Un dialogue riche qui questionne le narratif historique, où il est question de féminisme, de liberté créative et de la place des musées dans les débats contemporains.

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MAH : Pourriez-vous nous présenter votre parcours qui mêle à la fois l’académique et l’artistique ?
Hortense Belhôte : J’ai fait des études d’histoire de l’art et de théâtre en parallèle. J’ai un master en histoire de l’art de l’université de Nanterre, où je me suis spécialisée dans la théorie de l’art au XVIIe siècle français. Pendant une dizaine d’années, j’ai enseigné des sujets très variés, comme l’histoire de l’architecture contemporaine, du design ou de la mode, ce qui m’a donné une vision très généraliste de l’histoire de l’art tout en continuant de faire des performances artistiques plus underground. Il y a quelques années, j’ai rassemblé ces pratiques en créant ce que j’appelle des « conférences spectaculaires » : une forme hybride entre spectacle, cours, pop culture et autobiographie. Ces performances prennent souvent la forme de solos, avec des sujets allant de l’histoire de l’art classique à des questions sociétales plus larges. Par exemple, un projet réalisé pour un festival de cinéma à Paris a été adapté pour Arte Web.

MAH : Comment s’est articulée la dimension théâtrale dans votre parcours ?
HB : C’était très instinctif. À 18 ans, ma première performance consistait déjà en un cours d’histoire de l’art qui dérivait en tableau vivant. Cela reflétait ma réalité intérieure. Pendant mes études, je prenais des notes académiques d’un côté, et de l’autre, des notes créatives pour mes spectacles inspirées par mes lectures. L’histoire de l’art, très liée à l’oralité, se prête bien à cette approche performative.

Hortense Belhôte dans une salle du musée

Escape Game d'Hortense Belhôte dans le cadre du Festival Les Créatives 2024
Photo: Irina Popa

MAH : Comment vous est venu l’idée de l’escape game ?
HB : Parce que cela me faisait rire, tout simplement. Il y a quelques temps, le musée d’Orsay à Paris m’a proposé une carte blanche et j’ai eu cette idée. Ce n’est pas que je sois une grande pratiquante des escape games, mais j’aime bien leur concept, qui dépasse le simple jeu. Philosophiquement, l’idée d’échapper à quelque chose résonne beaucoup avec ma manière d’aborder l’histoire de l’art. Cet héritage culturel que nous portons est à la fois fascinant et très lourd, parfois pesant. Il y a une injonction implicite à respecter cet héritage tel qu’il est, sans le questionner. Avec un escape game, on propose une forme d’évasion : non pas pour fuir cet héritage, mais pour s’en libérer, le réinterroger, et mieux le réintégrer dans nos vies aujourd’hui. Ce jeu devient un moyen d’explorer l’histoire de l’art de façon active, en s’amusant, en brisant les barrières traditionnelles.

MAH : Et comment insuffle-t-on de l’histoire de l’art dans un escape game ?
HB : On mélange plusieurs éléments : des moments de jeu, des instants de spectacle et des contenus d’histoire de l’art, le tout sans hiérarchie. Au MAH, j’ai passé trois jours à explorer les collections, seule ou avec la médiation, pour identifier ce qui m’intéressait et ce que j’avais envie de transmettre, tout en respectant le travail des conservateurs et la raison d’être de l’institution. Ma formation me permet d’instaurer un climat de confiance : les musées savent que je partage leur passion et que je connais ce monde. Cela me permet d’ouvrir des portes et de questionner certaines règles, sans jamais compromettre les enjeux de conservation. En fait, il faut savoir utiliser la voix qu'on peut avoir pour passer les messages qu'on cherche à faire passer.

Hortense Belhôte dans une salle du musée

Escape Game d'Hortense Belhôte dans le cadre du Festival Les Créatives 2024
Photo: Irina Popa

MAH : Et pourquoi faire cela dans un musée ?

HB : C’est aussi une façon de déconstruire l’image un peu austère des musées et de leur fonctionnement. Les musées, malgré leur beauté et leur richesse, restent souvent perçus comme des lieux figés, où les règles de comportement – ne pas toucher, ne pas courir, ne pas parler trop fort – peuvent décourager ou intimider. L’escape game, au contraire, invite à explorer ces lieux de manière vivante et immersive, à expérimenter, et même à transgresser les interdits habituels. C’est une porte d’entrée dans l’histoire de l’art, mais par la sortie. Ce que j’aime particulièrement dans ce format, c’est qu’il efface les rapports de hiérarchie. Les musées sont souvent perçus comme des lieux d’élite, difficiles d’accès socialement ou culturellement. Un escape game, avec son approche ludique, fait tomber ces barrières et permet d’explorer les œuvres autrement. On ne se trouve pas dans un contexte traditionnel de visite guidée, avec souvent un discours descendant. L’escape game permet aux participants de devenir eux-mêmes acteurs de leur découverte. Ils jouent, interagissent avec les tableaux et se les réapproprient. Cela correspond bien à mon objectif : rendre l’art accessible et joyeux, tout en valorisant la liberté d’explorer à son rythme.

MAH : Pourquoi s’intéresser à l’histoire de l’art aujourd’hui ? Quel héritage nous transmet-elle ?
HB : Certaines franges réactionnaires de la société utilisent l’histoire de l’art comme argument d’autorité pour justifier des thèses conservatrices, comme la supériorité des hommes sur les femmes. Cela donne l’impression que ces idées ont toujours existé, ce qui est faux. On peut aussi puiser dans l’histoire de l’art des éléments d’émancipation. Mon travail consiste à revisiter cet héritage pour montrer ce qu’il a de beau, d’intéressant et d’utile pour penser le présent.

Hortense Belhôte dans une salle du musée

Escape Game d'Hortense Belhôte dans le cadre du Festival Les Créatives 2024
Photo: Irina Popa

MAH : Justement, vous traitez dans votre performance de sujets comme le féminisme ou l’anti-colonialisme, quel rôle le musée peut-il jouer dans les questions de narratif historique ?
HB : Les musées reflètent les choix narratifs de la société. Aujourd’hui, ils ont un rôle clé à jouer pour intégrer des questions comme le féminisme ou l’anti-colonialisme, ça passe par des choses aussi simples que les cartels, qu’au renouvellement des équipes. Quand des femmes, des personnes racisées ou queers accèdent à des postes de conservateurs ou médiateurs, cela transforme les programmations et les récits. Cela dit, le musée reste une structure lourde à faire évoluer. Il est plus facile d’intégrer des performances éphémères que de modifier les collections permanentes. Mais des progrès existent, notamment sur la place des femmes, qu’il s’agisse des artistes, des visiteuses de musées ou des professionnelles dans les institutions. En tant qu’artiste, je profite aussi de la liberté qu’offre la performance pour dire ce que le musée ne peut pas toujours exprimer directement, afin d’ouvrir des pistes de réflexion tout en respectant l’institution.

MAH : Quels messages souhaitez-vous transmettre à travers vos performances ?
HB : Je crois que ce que je transmets, ce ne sont pas tant des connaissances qu'une méthodologie. Une méthodologie foutraque, foireuse, bordélique. Une méthodologie libertaire dans le rapport à la connaissance. Je veux aussi outiller le regard. J'ai envie de donner des outils à la personne et ensuite, l'idée, c'est qu'elle puisse se sentir en capacité et en légitimité d'aller affronter tout un tas d'autres parcours, d'autres visites, d'autres choses, d'autres événements.

Hortense Belhôte dans une salle du musée

Escape Game d'Hortense Belhôte dans le cadre du Festival Les Créatives 2024
Photo: Irina Popa

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