Résidence d'artistes au MAH
Le MAH souhaite soutenir et encourager les artistes, dont l’activité a été suspendue à cause de la pandémie, en les accueillant le temps d’un projet. Dans les pas de Brigitte Rosset, Joséphine de Weck et Perrine Berger, le groupe genevois Elvett était dans les salles à la mi-avril. Au cours de cette résidence d’une semaine, le duo Lyn M. et Alain Frey a réalisé une série de cinq compositions à retrouver bientôt sur les réseaux sociaux du musée.
Comment est né ce projet au MAH?
Lyn M: Nous avons accepté l’invitation du MAH car il n’est pas courant pour les musées dits «classiques» d’ouvrir leurs portes à des musiques contemporaines; de la même manière, rares sont les musiciens de la scène électro à se sentir appartenir à ce genre d’institutions patrimoniales. Nous avons adoré tenter cette expérience, car elle a fait germer des choses assez inattendues.
Alain Frey: L’idée de la carte blanche nous a vraiment intéressés. Bénéficiant d’une liberté totale, nous nous sommes tout de suite décidés à faire un morceau par jour, dans une salle différente. Et nous laissions le lieu nous guider dans notre création.
Comment avez-vous procédé?
LM: Nous nous sommes baladés dans les salles avec notre mini studio installé sur une table à roulettes…
AF: Chaque matin, Isabelle Burkhalter [responsable de la Médiation culturelle] nous faisait un topo historique de la salle où nous étions installés. Et Lyn se mettait à écrire, consignait plein d’idées qu’elle a ensuite récitées ou chantées.
LM: Je n’ai pas cherché à reproduire l’histoire de la pièce. Le résultat est très intuitif et personnel.
A. F. Nous avons pu sortir de nos codes habituels, en nous laissant guider par les bruits ambiants, les gens qui passaient, qui parlaient… En général, nos enregistrements se font en studio, dans un cadre parfaitement isolé. Mais là, c’était tout le contraire : nous avons joué avec l’atmosphère, les réverbérations… Et puis nous avons essayé d’intégrer l’histoire de la salle au morceau.
LM: Il y a ce cliché du musée silencieux, où l’on parle à voix basse, où l’on se déplace discrètement. Mais c’est tout le contraire! C’est justement lorsque l’on a besoin de calme, que l’on se rend compte à quel point ce musée est vivant, bruyant. Au début, nous avons été très surpris par tous ces passages, ces voix, ces planchers qui craquent… Et puis, on nous observait; les gens se demandaient ce que nous faisions là. Hier, un monsieur est venu nous parler assez longtemps de musique, d’art, de peinture et nous en avons profité pour, discrètement, enregistrer sa voix. Au bout d’un moment, nous sommes parvenus assez facilement à créer notre propre bulle, à nous concentrer sur notre travail.
AF: Nous avons cherché des sons, créé des rythmiques avec les bruits du musée. En tapant avec un balai sur une bouche de ventilation en métal, par exemple.
LM: Nous avons même demandé à une dame qui portait des talons hauts d’enregistrer ses pas!
Chaque jour donne donc lieu à une composition. Vous étiez-vous imposés un format? Une durée?
AF: Le résultat dure entre une minute trente et deux minutes et vient habiller des capsules vidéo, des sortes de clichés animés. Chaque salle a été filmée en plan fixe, ou bougeant à peine, et la musique sert de fond sonore.
LM: Au départ, la commande ne concernait que la musique, mais les usages des réseaux sociaux sont tels qu’il s’est révélé indispensable d’avoir un support visuel, animé de préférence, pour diffuser ces morceaux. Il fallait pouvoir faire le lien entre l’image et le son, que ces plans reflètent la personnalité musicale que ces salles nous ont inspirée.
AF: Sans l’image, la musique ne perd pas de son intérêt, mais elle perd son contexte. L’idéal serait même d’écouter ces morceaux à l’endroit où ils ont été créés.
Quelles sont justement ces salles où vous avez posé votre studio?
LM: Lundi, au premier étage, à côté de Vénus et Adonis de Canova; mardi, aux Beaux-Arts, devant Le Triomphe de David d’Andrea Vaccaro; mercredi, à côté du clavecin de Jacob Stirnemann (AA 2016-0003-dt), dans la salle du Conseil d’État; jeudi, dans un coin de la Salle des armures ; et vendredi, dans la salle Égypte.
De quel type de matériel disposiez-vous?
AF: Nous nous sommes imposé une petite contrainte, car notre ordinateur recèle de sons préenregistrés que nous aurions pu utiliser. Le but était de se limiter et d’enregistrer de nouvelles choses sur place. Pour les rythmes, nous avons utilisé les bruits du musée, joué des percussions à la main, tout en les mélangeant avec notre banque de sons. Pour ce qui concerne les harmoniques, nous avons une réplique d’un vieux synthétiseur analogique. Enfin, il y a les voix.
LM: Selon les morceaux, il y a du chant, du langage parlé, et même du rap.
Vous étiez-vous préparé avant de venir ? Aviez-vous déjà une idée de ce que vous vouliez faire?
LM: Pas du tout! Nous avions seulement préparé l’installation, pour assurer son bon fonctionnement technique. Mais sur le fond, nous sommes partis de zéro. Nous avons vraiment voulu jouer la carte de la performance, travailler en toute spontanéité en un temps limité. Le résultat aurait été tout à fait différent si nous avions préparé des sons en amont.
Quel bilan tirez-vous de cette expérience?
LM: Ce genre de résidence devrait pouvoir se tenir hors-période COVID et pas que dans les musées. Il faut savoir que dans tous les domaines artistiques, l’acte de création est rémunéré sauf dans la musique. Que la composition soit un travail bénévole est de notoriété publique. Et le fait de financer des auteurs de musiques actuelles change la donne : la création prend un autre aspect, en devenant un laboratoire de recherche, sans la pression de rencontrer le succès public pour subvenir à ses besoins. Cela se fait beaucoup dans le monde du théâtre par exemple. Bénéficier d’un soutien pour la création pure est fantastique.
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