Le Musée d’art et d’histoire renferme quelques trésors dont ces statuettes cycladiques en marbre blanc, aux lignes épurées, datant de l’extrême fin du IVe millénaire et du IIIe millénaire avant notre ère. Si celles-ci sont d’une grande beauté et d’une surprenante modernité, elles s’inscrivent dans une tradition venant du fond des âges où, il y a plus de 30’000 ans avant le présent [soit avant 1950, NDLR], les premières figurines féminines en ronde-bosse sur pierre, ivoire ou encore modelées dans l’argile, sont apparues sur le continent eurasiatique. Cette tradition va se poursuivre durant toute la Préhistoire et un peu au-delà avec ces statuettes cycladiques. Ce sont en très grande majorité des femmes qui sont dépeintes, ou plutôt certains canons de femmes. Au Paléolithique, il s’agit notamment de représentations aux formes très généreuses, comme les Vénus de Lespugue ou de Willendorf, dont l’ampleur des seins, du ventre et des fesses paraît presque exagérée. Néanmoins, la plupart présente des caractères sexués moins développés.
Par la suite, certaines pièces afficheront des femmes bien en chair, comme la Dame aux Fauves de Çatal Höyük en Anatolie ou encore la Dame endormie découverte à Malte et peu ou prou contemporaine des statuettes cycladiques. Au contraire, sur d’autres, seuls les caractères sexués principaux, comme les seins, le pubis ou les hanches arrondies sont façonnés sur des supports plutôt minces. C’est le cas des statuettes cycladiques féminines qui se distinguent également par leurs bras croisés sous la poitrine.
Célébration de la féminité? Culte religieux?
Que nous disent ces représentations sur les femmes de la Préhistoire?
Selon une interprétation courante, il s’agirait de statuettes destinées à célébrer la féminité, la fécondité et la capacité des femmes à procréer. On serait tenté de voir, dans la foule d’images féminines évoquant la procréation, l’indice d’une prédominance sociale des femmes et d’une grande estime envers elles. Mais le lien entre la représentation féminine et sa considération dans la société ne va jamais de soi, comme le montrent, par exemple, les observations ethnographiques effectuées sur des peuples de chasseurs-cueilleurs ou d’agriculteurs subactuels : même si les figurines féminines sont nombreuses, la domination masculine s’y exerce à divers degrés, tout comme dans nos sociétés industrielles où les représentations visuelles du corps des femmes restent encore une forme de contrôle à leur égard. Aussi, l’abondance de ces statuettes ne saurait être interprétée comme le signe d’une prééminence des femmes ou d’une égalité entre les sexes.
Peut-on alors envisager que ces figurines traduisent une religion honorant une déesse féminine? C’est une hypothèse qui eut un certain succès, lorsque certains voyaient dans le culte de cette «Déesse Mère » ou «Grande Déesse » la preuve de sociétés matriarcales ou matristiques, c’est-à-dire dirigées par les femmes ou avec elles. Cette théorie n’a aucun fondement ni archéologique ni ethnologique : le matriarcat n’existe pas et n’a jamais été observé et seules quelques sociétés, minoritaires, ont développé des systèmes matrilinéaires (filiation maternelle) ou matrilocaux (résidence du couple marié dans le village de l’épouse). De plus, les indications recueillies par l’archéologie du genre montrent au contraire que la domination masculine pourrait avoir été une réalité dès la Préhistoire.