Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, des artistes genevois comme Wolfgang-Adam Töpffer, père de Rodolphe, développent un véritable talent satirique, influencés notamment par les caricaturistes anglais. À travers son exposition Satires! Caricatures genevoises et anglaises du XVIIIe siècle, le Cabinet d’arts graphiques du Musée d’art et d’histoire invite à découvrir ces œuvres, tantôt aimablement ironiques tantôt férocement polémiques. Retour en des temps politiquement troublés.
Le XVIIIe siècle est celui de l’expansion économique, démographique et culturelle de Genève. Il est également celui d’une intense agitation civile et politique. Au cœur de ces «révolutions genevoises» successives, la mise en cause de l’oligarchie par la petite et moyenne bourgeoisie. Dès 1762 et «l’Affaire Rousseau», la polarisation s’accroît entre les «Négatifs» et les «Représentants», soit l’aristocratie dirigeante, occupant de manière quasi héréditaire tous les postes du Petit Conseil, et les artisans, citoyens et habitants revendiquant un accroissement de leurs droits politiques et économiques.
Le soulèvement des Représentants en 1781 aboutit à l’Édit de pacification négocié par la France, Zurich et Berne à l’avantage des Négatifs. Sans surprise, le conflit reprend avec vigueur suite au déclenchement de la Révolution française et la «Révolution genevoise» éclate en décembre 1792. Elle sonne ainsi le glas de l’Ancien régime en instaurant le suffrage universel, l’égalité politique et civile, la séparation des pouvoirs et la libre élection des magistrats. En 1798, Genève est annexée à la République française, et devient la préfecture et chef-lieu du département du Léman.
C’est dans cette atmosphère que Wolfgang-Adam Töpffer réalise ses premières grandes aquarelles satiriques, et rédige plusieurs lettres où il fait allusion aux «bruits de bottes» des troupes du Directoire. Grâce à l’intervention des troupes autrichiennes, Genève regagne son indépendance le 31 décembre 1813. L’intégration à la Confédération helvétique, désormais inévitable, nécessite deux conditions préalables: le rattachement territorial à la Suisse et une constitution propre à apaiser les craintes des cantons catholiques. Le désenclavement de la France sera négocié de haute lutte par Pictet de Rochemont, et les congrès de Vienne et Paris fixeront les nouveaux contours du territoire. Quant à la constitution, elle est rédigée par un conseil de sept membres et votée par le peuple le 14 août 1814. Le 19 mai 1815, Genève quitte son statut d’allié historique de la Confédération pour devenir son vingt-deuxième canton.
Cette première constitution genevoise sera au cœur des plus acerbes caricatures de Wolfgang-Adam Töpffer. Esprit libéral épris de démocratie, il ne peut accepter le caractère réactionnaire du texte, en particulier son article numéro huit, qui rétablit une partie des pouvoirs de l’ancienne oligarchie. Il fustigera en particulier l’un de ses rédacteurs, le syndic Joseph des Arts, à qui il fait subir les derniers outrages dans des feuilles d’une violence que n’aurait pas reniée le Londonien Gillray. Mais signe que l’esprit de la République genevoise n’est pas aussi ouvert que celui du Royaume britannique, Töpffer réservera ses caricatures politiques à un cercle d’intimes avertis, craignant sans doute les représailles dans une cité tenant également du village.