En 2013, le Musée d’art et d’histoire accueille un cycle de musique de chambre sur le thème du voyage en Europe, orchestré par le Quatuor de Genève. La première escale nous entraîne à Paris, le 24 février…
Les différentes étapes de ce périple invitent à s’interroger sur la tradition artistique, l’influence du folklore ou encore sur les relations entre art, nationalité et nationalisme. La première escale se fait dans le Paris de la Belle Epoque, sur les pas de Maurice Ravel (1875-1937), César Frank (1822-1890) et Félix Vallotton (1865-1925). Nous entendrons ainsi deux compositeurs qui, fort de l’héritage de la musique française, s’enrichissent d’influences étrangères et ne céderont jamais à la tentation de ce «nationalisme artistique» qui émerge avec le conflit franco-prussien de 1870, puis lors de la Première Guerre mondiale. Nous partirons aussi à la rencontre du peintre Vallotton, parisien d’adoption, qui fait partie du mouvement nabi, avant de développer un style personnel qui s’affranchit de toute référence proprement française.
Maurice Ravel, l’inspiration universelle
Si Maurice Ravel est français, sa musique, profondément originale, ne saurait se limiter à sa nationalité. Certes, il s’inscrit dans le lointain prolongement d’un classicisme né au XVIIIe siècle avec Rameau et Couperin (Le Tombeau de Couperin), n’abandonnant pas la musique tonale et n’usant de la dissonance qu’avec parcimonie. Mais Ravel, admirateur de Mozart comme du groupe des cinq, boit à toutes les influences, de la musique noire américaine (blues dans le deuxième mouvement de la Sonate pour violon) à la musique espagnole (le célébrissime Boléro mais aussi Rapsodie espagnole), sans jamais s’en réclamer.
Admirateur de ses compatriotes – Chabrier, Satie, Saint-Saëns et Debussy –, c’est du Quatuor en sol (1893) de ce dernier qu’il s’inspire pour son Quatuor en fa majeur qui sera joué le 24 février. Datée de 1903, cette pièce de chambre, dédiée à Gabriel Fauré, son professeur de composition, est déjà l’œuvre de la maturité artistique: il cherche moins à innover qu’à illustrer son savoir-faire et sa «digestion» des formes traditionnelles.
Équilibre subtile, presque paradoxal, entre originalité certaine et respect de la tradition, entre références françaises et inspirations étrangères, l’œuvre de Ravel est résolument universelle.
Son refus de prendre part à la Ligue nationale de la défense de la musique française est révélateur. Constituée en 1916, elle avait pour but de faire interdire en France la musique allemande et austro-hongroise. Ce refus exposa Ravel – pour qui les échanges sont essentiels, l’enfermement conduisant à la sclérose artistique – au risque de n’être plus joué dans son propre pays.
César Frank, le post-romantique
Natif de Liège, César Franck effectue l’essentiel de sa carrière en France. Il est naturalisé français pour pouvoir enseigner au conservatoire de Paris.
Dans une veine post-romantique, ces compositions sont très personnelles et reconnaissables. Il développe la notion de construction cyclique, où quelques motifs de base servent d’éléments unificateurs et structuraux à l’ensemble de l’œuvre.
Franck est cependant indéniablement marqué par Liszt – qu’il admirait beaucoup et dont il avait récolté les louanges dans ses exhibitions de jeunesse – et par les compositions tardives de Wagner (modulations rapides, changement d’harmonies).
Le Quintette avec piano en fa mineur joué dimanche 24 février, date de 1879 et marque le début d’une période d’intensité créatrice. Il est dédié à Saint-Saëns qui, bien qu’il tint la partie de piano lors de la création, rejeta la dédicace tant il désapprouvait son langage musical.
Ce premier grand quintette français est archétypal de l’œuvre de Franck par ses mélanges d’éléments paradoxaux: sérénité absolue peinant à voiler un courant d’inquiétude, changement de tempo comme à la fin du premier mouvement où, les archets dialoguant avec le piano molto moderato, celui-ci passe soudain allegro.
La création du quintette a lieu à la Société nationale de musique, fondée en 1871 au lendemain de la défaite contre la Prusse, dans le but de promouvoir la musique française. Saint-Saëns, premier co-président, avait poussé Frank à y adhérer. Cependant, les deux compositeurs s’opposaient sur la question de la promotion de la musique étrangère. Quand le très ouvert César Franck accède en 1886 à la présidence, le réactionnaire Saint-Saëns démissionne.
Félix Vallotton, «le parisien étranger»
Quand, à l’âge de dix-sept ans, Félix Vallotton, natif de Lausanne, s’installe à Paris, c’est pour suivre les cours de l’Académie Jullian. Il y a notamment pour camarades Sérusier et Bonnard, qui formeront bientôt le groupe des Nabis auquel il adhère en 1892. S’il y reçoit le surnom de «Nabi étranger», c’est moins en raison de son origine helvétique que de son style déjà un peu en marge.
En moins de dix ans, le jeune Suisse parvient à se faire un nom auprès de l’avant-garde parisienne. Sa renommée devient internationale grâce à ses gravures sur bois et à ses illustrations en noir et blanc qui font sensation. Elles sont publiées à l’origine dans la fameuse Revue blanche, fondée par les frères Natanson, profond soutien des Nabis, et dont Vallotton sera le principal illustrateur. L’arrêt de la parution en 1903 marquera aussi la dissolution du mouvement.
À partir de 1899, année de son mariage avec la fille du marchand d’art Alexandre Bernheim, Vallotton se consacre essentiellement à la peinture, abordant tous les genres. Il expose régulièrement à Paris, en Suisse et dans d’autres villes (Vienne, Munich, Moscou). Son frère Paul – qui dirige la succursale lausannoise de Bernheim – contribue, par son soutien, à la diffusion de son œuvre dans son pays d’origine.
Son style singulier se nourrit des trouvailles de ses xylographies, des maîtres japonais – source d’inspiration commune aux Nabis – sans rompre pour autant avec la tradition (Ingres, Rembrandt, la mythologie gréco-romaine), qu’il retravaille en profondeur dans une palette contrastée, parfois dissonante.
Il n’en continue pas moins à fréquenter les Natanson. Le vingt minutes, une œuvre, qui précédera le concert du 24 février, sera consacré au Gilet rouge, daté de 1913, portrait de Marthe Mellot (1870-1947), comédienne et épouse de Louis-Alfred Natanson qu’il avait déjà représenté en 1898 et en 1906. Vallotton a aussi réalisé des portraits d’Alexandre et de Thadée Natanson ainsi que de Misia, la femme de ce dernier. Egérie de nombreux peintres et musiciens, pianiste, élève (comme Ravel) de Gabriel Fauré, la jeune femme est aussi la dédicataire de plusieurs œuvres de Maurice Ravel.
Dimanche 24 fécvrier à 11h
Musée d’art et d’histoire
Quatuor de Genève
Quatuor en fa majeur opus 35 de Maurice Ravel et Quintette avec piano en fa mineur de César Franck
Prix: CHF 20.- et CHF 15.-, libre jusqu’à 18 ans
Réservation: Espace Ville de Genève, Maison des arts du Grütli, Cité Seniors, Genève Tourisme et sur place une heure avant le concert