Après la pause estivale, le Musée d’art et d’histoire accueille dimanche 29 septembre le quatrième concert du Voyage musical en Europe. Louis Schwizgebel et Lionel Cottet, invités par le Quatuor de Genève, nous emmènent en Russie.
Après Paris, la Bohème et le Nord et l’Est, le quatrième et avant dernier concert proposé par le Quatuor de Genève au musée va explorer musicalement la Russie des deux Sergeï, Rachmaninov (1873-1943) et Prokoviev (1891-1953), à travers leur sonate respective pour violoncelle et piano.
Le premier, pianiste virtuose et compositeur romantique, héritier de Tchaïkovski et de Rimski-Korsakov mais profondément marqué par les chants orthodoxes et le contrepoint chromatique médiéval, quittera sa Russie natale à la révolution pour ne jamais y revenir. Si c’est essentiellement une carrière de virtuose qu’il mène en l’exil – sa veine compositionnelle est affectée par le déracinement –, ses compositions de cette période sont cependant profondément empreintes d’inspirations russes.
Le second, pianiste, chef d’orchestre et compositeur ayant abordé tous les genres – ballet, opéra, musique symphonique, musique de film, pièces de chambre – est reconnu de son vivant comme un artiste d’avant-garde très créatif. Une «âme russe» profondément éprise de liberté artistique qui passa de nombreuses années en dehors de son pays avant de se laisser convaincre de revenir dans l’URSS de Staline où il fut à la fois honoré et persécuté.
Le vingt minutes, une œuvre qui introduit le concert invite au voyage sur les traces du peintre soleurois Cuno Amiet (1868-1961), de Pont-Aven où il découvre la couleur à Berlin où il expose avec les expressionnistes du mouvement Die Brücke. Amiet ne quitta la Suisse que sporadiquement pour mieux s’y faire un nom, développant un style propre au gré de nouvelles rencontres artistiques et s’affranchissant de l’influence de Ferdinand Hodler.
Rachmaninov, la sonate de la sérénité retrouvée
Rachmaninov, pétri des influences romantiques de ses pères, s’est toujours tenu à l’écart des innovations et de la recherche de sonorités nouvelles – c’est un contemporain de Bartok, Schoenberg et Stravinski. Grand mélodiste, son style – reconnaissable entre tous – évolue au moment de l’exil avec l’arrivée d’ornementations chromatiques.
Au catalogue de Rachmaninov, il n’y a que quelques rares pièces de musique de chambre à côté de la sonate pour violoncelle et piano en sol mineur opus 19, écrite en 1901 – notamment les deux pièces pour violoncelle et piano opus 2. L’association piano-violoncelle est privilégiée par le compositeur russe, sans doute parce que, pianiste lui-même, il était très ami avec le violoncelliste Anatoli Brandukov (1859-1930), dédicataire et premier interprète de la sonate.
Cette œuvre, composée dans la foulée du concerto pour piano n° 2, voit le jour dans une période d’intense création, marquant la fin d’une dépression nerveuse de plus de trois ans déclenchée par l’échec public de sa première symphonie. La tonalité de sol mineur évoque la sonate pour violoncelle en sol mineur opus 65 de Chopin.
Retenue, pudeur, grâce, légèreté et profondeur… Rachmaninov livre une œuvre intime où le violoncelle, noble et sombre, dialogue avec le piano plus tourmenté, sans que la sérénité dégagée par l’ensemble ne soit affectée. L’andante, particulièrement, est d’une douceur inégalée chez le compositeur. Le mouvement final, sans rien perdre de sa force émotionnelle, s’achève dans une envolée jubilatoire.
Prokoviev, la sonate à Rostropovitch
Ce n’est pas par idéologie que Prokoviev quitte son pays en 1918 – il était plutôt favorable aux idées progressistes – mais pour pouvoir composer en paix. Toutefois, durant les dix-huit ans que dureront son exil, il ne rompt jamais complétement les liens avec la Russie et s’y rend à trois reprises en tournée. Le compositeur qui a réussi en Occident y est accueilli triomphalement.
Comme Chostakovitch, Prokoviev lutte pour trouver un équilibre entre son style propre et le dictat bolchévique mais, contrairement à celui-là, il n’a pas à cœur la promotion de la culture soviétique; sa créativité, sa liberté d’artiste prédominait. Prokoviev ne s’est jamais caché de sa recherche d’originalité, de son souci de développer son propre langage musical même s’il ne put renier son «âme russe». Cette originalité, confondue par le régime stalinien avec une «influence cosmopolite», lui vaudra ses déboires mais aussi ses succès.
De facture très classique, la sonate en trois mouvements pour violoncelle et piano opus 119, avec sa multiplicité de tempos et sa sobriété, relève d’une écriture musicale quasi cinématographique – collaborateur privilégié d’Eisentstein, Prokoviev a beaucoup composé pour le cinéma.
Née de la rencontre et de l’admiration mutuelle entre le compositeur et le jeune Mstislav Rostropovitch, dédicataire et créateur de l’œuvre, la sonate date de 1949. L’andante grave développe une voluptueuse mélodie, dont le second thème en sol majeur fait mentir le compositeur lui-même qui se disait piètre mélodiste. Le moderato, dansant, conduit à l’allegro ma non troppo final qui ne cache pas l’héritage de Rachmaninov et de Tchaïkovski que Prokoviev rejeta pourtant si vivement dans sa jeunesse.
Amiet vers le développement d’un style personnel
C’est en 1910 que Cuno Amiet peint ces Deux jeunes filles nues sous la double influence de l’œuvre de Van Gogh et des expressionnistes allemands du mouvement Die Brücke.
La palette de couleur, les jaunes et verts acidulés, les bleus vif rappellent indéniablement Van Gogh, dont l’œuvre est mise en abîme dans ce tableau. En effet, derrière la jeune fille assise qui tourne le dos au spectateur, on peut voir au mur Deux fillettes, toile de Van Gogh de 1890 prêtée à Amiet par le collectionneur Richard Kisling, qui contribua à diffuser en Suisse l’œuvre de l’artiste hollandais. En 1908, Amiet visite à Zurich l’exposition rétrospective dédiée à Van Gogh. Deux ans plutôt, il avait été approché par les artistes de Die Brücke avec qui il expose de 1906 à 1913. La touche nerveuse et instinctive est révélatrice de cette collaboration artistique.
Ce tableau est un point de bascule dans le travail de ce grand coloriste. Libéré de l’emprise artistique de Hodler par ces nouvelles influences, il développe par la suite une œuvre indépendante et abondante, marquée par quatre thèmes essentiels: le jardin, la récolte de fruits, le paysage hivernal, l’autoportrait.
Dimanche 29 septembre à 11h
Musée d’art et d’histoire
Quatuor de Genève avec Louis Schwizgebel et Lionel Cottet
Sergeï Rachmaninov, Sonate pour piano et violoncelle opus 19, et Sergeï Prokoviev, Sonate pour piano et violoncelle opus 119
Prix: CHF 20.- et CHF 15.-, libre jusqu’à 18 ans
Réservation: Espace Ville de Genève, Maison des arts du Grütli, Cité Seniors, Genève Tourisme et sur place une heure avant le concert
Vingt minute, une œuvre , à 10h30
autour de Deux jeunes filles nues de Cuno Amiet
Entrée libre, sans réservation