Parcours musical de l’exposition Hodler//Parallélisme
Depuis plusieurs années, le Musée d’art et d’histoire propose des parcours audioguidés de ses collections et de ses expositions temporaires dans lesquels un grand soin est apporté à l’accompagnement musical. Pour l’exposition Hodler//Parallélisme, la visite audioguidée se double d’une proposition strictement musicale qui invite à contempler les tableaux de Ferdinand Hodler en écoutant des morceaux choisis de Debussy, Webern ou encore Brahms.
Une démarche contemplative
Le souhait des commissaires d’exposition était d’offrir une expérience de visite basée sur la contemplation: les textes sont rares, la scénographie immersive. Dans ce contexte, offrir cette possibilité de déambulation en écoutant de la musique prenait tout son sens, d’autant plus que la peinture de Hodler est empreinte de rythme et de musicalité. Son concept compositionnel de parallélisme, défini comme la répétition d’un motif ni tout-à-fait semblable ni tout-à-fait autre, visant à donner du rythme, à créer une impression d’ensemble et à provoquer l’émotion du spectateur évoque par ailleurs la forme cyclique en musique. Celle-ci repose sur la répétition d’une cellule mélodique qui traverse les différents mouvements d’une même œuvre, lui conférant une unité d’ensemble transcendant les tempi, les tonalités et les couleurs sonores.

Huile sur toile, 55 x 70 cm
Fondation pour l’art, la culture et l’histoire, Winterthour © SIK-ISEA, Zürich Inv. 462
Langsamer Satz et parallélisme de la nature
Dans la section consacrée au parallélisme de la nature, le visiteur peut entendre une superbe œuvre de jeunesse d’Anton Webern (1883-1945). Entouré par les troncs entremêlés des boulots du Bois des frères ou contemplant les nuages ponctuant le ciel au-dessus de vues du lac de Thoune, en se rafraîchissant à la vue d’un ruisseau de montagne ou en cueillant du regard les fleurs blanches parsemant une prairie, il écoute Langsamer Satz pour quatuor à cordes, pièce de 1905, inspirée à son auteur par une randonnée en montagne avec sa fiancée. Webern entendait à l’origine composer un quatuor complet mais abandonna son projet après en avoir achevé cet unique «mouvement lent». Connu comme l’un des membres fondateurs de la seconde école de Vienne et du dodécaphonisme, le compositeur, alors âgé de vingt-trois ans, livre cette œuvre tonale encore très empreinte d’un romantisme derrière lequel plane l’ombre de Brahms. Bien que court, ce mouvement est traversé par des émotions puissantes – passant de l’aspiration timide au bouleversement dramatique puis à la paix retrouvée – qui dialoguent magnifiquement avec les tableaux de la section. Par ailleurs, les phrases musicales réitérées qui passent d’un instrument à l’autre et les enchaînements de pizzicati, font échos à la répétition des nuages, des troncs d’arbres ou des fleurs peints.
La Nuit, Le Jour et La Nuit transfigurée
En 1891, la grande toile symboliste La Nuit fait scandale à Genève, où elle est jugée indécente. Mais elle est ensuite admirée à Paris, ce qui valut à Hodler son premier succès international; un tournant dans sa carrière. Présenté à l’étage inférieur du parcours de l’exposition, cette vision cauchemardesque à la palette aussi réduite que sombre, met en scène des nus, pour la plupart endormis, dont le réalisme cru contraste avec le paysage onirique. Un tableau archétypal de la relation que l’artiste entretient avec la mort qui le poursuit toute sa vie d’un peu trop près.

Huile sur toile, 116 x 299 cm
Kunstmuseum Bern © Kunstmuseum Bern, Inv. G 0248
Peint quelques années plus tard, Le Jour est présenté en regard de La Nuit lors de l’exposition universelle de Paris de 1900, valant à Hodler une médaille d’or. L’opposition ne réside pas que dans le titre. La palette est très claire, les corps sont toujours nus mais assis dans une prairie riante et s’éveillent, bustes et bras s’étirant dans une sorte de danse cultuelle.

Huile sur toile, 160 x 352 cm
Kunstmuseum Bern © Kunstmuseum Bern, Inv. G 0251
Face à ses deux pendants puissants, le visiteur peut entendre La Nuit transfigurée, sextuor à cordes d’Arnold Schoenberg (1874-1951), dont le titre seul suffirait à justifier le choix. Le futur chef de file de la seconde école de Vienne, chantre du dodécaphonisme, proche de la Sécession viennoise à laquelle Hodler adhéra, est âgé de vingt-cinq ans quand il compose pour sa fiancée cette pièce empreinte de romantisme. Elle est inspirée par un poème de Richard Dehmel qui raconte la promenade nocturne d’un couple dans un bois. Dans une atmosphère très sombre, la femme trouve le courage de révéler à l’homme qu’elle porte un enfant qui n’est pas de lui. Contre toute attente, l’homme pardonne, assure sa compagne de son amour et promet d’élever l’enfant. La lumière s’invite peu à peu et la pièce s’achève dans un feu d’artifice dont les enchaînements harmoniques rappellent Tristan et Iseult. Comme La Nuit à Genève, l’ouvrage de Dehmel fit scandale, et le sextuor lumineux de Schoenberg fut aussi très controversé lors de sa création en 1902, pour la richesse de son langage chromatique et pour ses écarts, parfois grands, avec la tonalité de ré mineur.
À l’horizon de Thoune avec Brahms et Hodler
Deux toiles se répondent dans la section consacrée à la construction horizontale: le Portrait d’Augustine Dupin morte (1909) et Le Lac de Thoune et la chaîne du Stockhorn (1905). La première montre la maîtresse du peintre sur son lit de mort, chétive figure presque noire gisant sur un drap blanc, occupant le tiers inférieur d’un tableau au fond orange comme un coucher de soleil artificiel, marqué dans la partie supérieure de trois lignes bleues superposées. La tête et les pieds de la défunte touchent les extrémités de la toile qui se fait ainsi cercueil. Le second tableau représente le bleu massif du Stockhorn embrumé de voiles bleus à l’arrière-plan d’un lac de Thoune orangé dans lequel se retrouve une superposition régulière de lignes bleues claires rappelant celles qui surplombent la dépouille de l’ancienne compagne de Hodler.

Huile sur toile, 80,5 x 90,5 cm
Collection Christoph Blocher © SIK-ISEA, Zürich (Philipp Hitz)
Le peintre est précisément au bord du lac de Thoune quand il apprend de leur fils Hector que la fin d’Augustine est proche. C’est sur la rive de ce même lac que Johannes Brahms (1833-1897) compose en 1886 la sonate pour violon et piano en la majeur opus 100 dont on peut entendre le troisième mouvement allegretto grazioso, un rondo au thème marqué mais velouté. Datée de l’année où Hodler peint le Bon Samaritain, exposé dans la même section, la pièce à la fois lyrique et virtuose semble toujours un peu hésiter entre énergie et mélancolie. Si Hodler s’abreuve au bord du lac de sa jeunesse de ce qu’il appelle «la substance de la nature», Brahms y laisse sa veine créatrice se ressourcer; il en trouve le paysage «si plein de mélodies qu’il faut prendre garde à ne pas marcher dessus ».
Debussy, l’essentiel
La dernière partie de l’exposition, intitulée «l’essentiel» où s’admirent les paysages qui font la gloire du peintre, des lacs de Thoune aux reflets symétriques aux variations sur le thème de la rade de Genève, se visite au son du premier mouvement titré Pastorale de la sonate pour flûte, harpe et alto de Claude Debussy (1862-1918). L’atmosphère douce et mélancolique, aux parfums parfois orientaux de cette pièce de 1915, l’une des dernières du compositeur, s’accorde à merveille avec les paysages des dernières années qui confinent peu à peu à l’abstraction. Avec Debussy et Hodler, musique et peinture ouvrent le XXe siècle de la modernité.