« Urs Fischer - Faux Amis »: entretien avec Massimiliano Gioni

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Le commissaire italien de l’exposition-événement au MAH s’explique sur ses choix

Pouvez-vous nous en dire plus au sujet du titre Urs Fischer – Faux Amis?

L’idée à l’origine de l’exposition est assez inhabituelle: il s’agit d’une présentation de la collection Dakis Joannou, à laquelle se mêle un accrochage monographique des œuvres d’Urs Fischer. Nous réfléchissions à la manière de raconter l’histoire de la collection Joannou, aussi vaste que variée, de ses principes de base et ses correspondances internes. Nous avons cherché une expression pour décrire aussi bien les relations personnelles et formelles, les ressemblances et les différences. À titre exemple, nous avons organisé une exposition en Grèce qui empruntait son titre à Marcel Duchamp – « A Guest + a Host = a Ghost » – signal immédiat de cette coexistence entre ressemblances et différences.
À Genève, la barre est placée plus haut, car il s’agit d’une exposition monographique au sein d’une exposition de groupe et vice-versa. L’idée de Faux Amis découle de cette expression décrivant un même mot utilisé dans plusieurs langues, mais dont la signification change d’une langue à l’autre. Un concept bien connu en Suisse, pays multilingue, et qui décrit parfaitement les relations entre les œuvres présentées. Au premier abord, cette exposition pourrait presque paraître comme l’œuvre d’un seul artiste. Mais, si l’on y prête une plus grande attention, les ressemblances entre elles reposent en effet sur des oppositions. C’est aussi le principe des affinités électives: si A aime B, que B aime C, alors A aimera C. Le Musée d’art et d’histoire encourage ce genre de jeu d’identification: comme tous les musées, il classe les œuvres selon des catégories imposées, au gré des ressemblances et des différences.

Massimiliano Gioni ©Marco De Scalzi
Massimiliano Gioni ©Marco De Scalzi

Pourriez-vous nous donner un exemple précis de dialogue entre deux œuvres?

Je peux vous donner un exemple avec trois œuvres. Tout d’abord, le Concert/Cornichon (2011) d’Urs Fischer, qui consiste en quatre grandes boîtes de miroirs, sur lesquels sont appliqués des sérigraphies d’objets agrandis comme un Pinocchio en cristal – Concerto était d’ailleurs un titre auquel nous avions pensé au départ, car il fait référence à l’idée de plusieurs instruments jouant ensemble. Cette œuvre joue sur l’idée du reflet, tout comme Hanging Heart (1995-1998) de Jeff Koons, un tableau dans lequel la surface réfléchissante d’un grand cœur métallique est simulé par la peinture. Vient ensuite Memorial of the Good Old Time (1987) de Martin Kippenberger, qui est une grande structure gonflable. Cet objet noir parfaitement opaque est gonflé d’air tout comme semble l’être le cœur de Hanging Heart. D’une oeuvre à l’autre, les matériaux changent comme s’ils déteignaient ou se contaminaient entre eux. La sculpture en caoutchouc ressemble au Hanging Heart de Jeff Koons, qui lui-même ressemble aux sculptures-miroirs d’Urs Fischer. En passant d’une œuvre à l’autre, la qualité même du matériau change. C’est pourquoi nous avons décidé de ne pas diviser l’espace d’exposition, afin de renforcer ce sentiment d’accumulation avec des objets directement en contact les uns avec les autres.

Vue de "Concerto/Cornichon " d'Urs Fischer et de "Hanging Heart" de Jeff Koons ©MAH, photo: F. Bevilacqua
Vue de Concerto/Cornichon d’Urs Fischer et Hanging Heart de Jeff Koons ©MAH, photo: F. Bevilacqua

Vous connaissez la collection Joannou par cœur. Était-ce difficile de faire une sélection? Comment gardez-vous un œil neuf?

Cette collection a cela de formidable qu’elle ne change pas au même rythme que les autres. C’est d’autant plus vrai pour les 10-15 dernières années: l’époque est aux achats et aux ventes effrénés. La collection de Dakis Joannou n’évolue pas aussi rapidement, mais elle n’est pas dépassée ou figée pour autant. Chaque fois qu’une nouvelle pièce fait son entrée, les parties évoluent mais leur somme reste identique. Il est intéressant de souligner que son premier achat fut One Ball Total Equilibrium Tank (1985) de Jeff Koons, un système homéostatique sous forme d’aquarium; une œuvre dont l’équilibre est maintenu malgré les variations. Ce système peut définir l’esprit de cette collection: il reste identique malgré son évolution. C’est vrai que je connais très bien la collection, mais de nouveaux acteurs entrent tout le temps en jeu, et le défi est de découvrir de nouveaux angles pour en parler. C’est la première fois que nous mettons un seul artiste face à plusieurs de ses aînés. Urs Fischer est l’un des plus jeunes artistes de la collection, en particulier par rapport aux autres sélectionnés pour l’exposition. Il devrait être intéressant de voir comment les créations de ses pairs conservent ou non leur intégrité à son contact, et comment l’ensemble reflète les préoccupations propres à Dakis Joannou, telle la représentation des corps.

Les œuvres d'Urs Fischer, Robert Gober et Maurizio Cattelan ©MAH, photo : M. Sommer
Les œuvres d’Urs Fischer, Robert Gober et Maurizio Cattelan dans l’exposition Urs Fischer-Faux Amis
©MAH, photo : M. Sommer

Nous avons débuté la sélection en regardant toutes les œuvres d’Urs Fischer. Ensuite, nous avons fait une liste réduite d’artistes, en examinant toutes leurs œuvres. Le «Picasso en puissance» est une expression que Dakis Joannou utilise au sujet des jeunes artistes, pour tenter d’identifier qui pourrait être les Picasso de demain. Lorsque Dakis Joannou a commencé à acheter les œuvres d’Urs Fischer, celui-ci était loin d’être l’artiste influent qu’il est aujourd’hui. Il a pris ce risque car il lui semblait qu’Urs Fischer pouvait très bien être un Picasso du futur. Je ne sais pas si les autres artistes sélectionnés (Jeff Koons, Cindy Sherman, Maurizio Cattelan, Robert Gober…) sont des vieux Picasso, mais ils jouissent certainement d’un statut plus important. La logique était d’instaurer un dialogue entre Urs et des artistes plus établis. À ce titre, le musée, où les œuvres sont sacralisées, offrira un contexte intéressant. Comment le travail de Fischer répondra-t-il à ce contexte? S’il parait radical, il s’apparente à celui de Jeff Koons et des autres, dans la manière dont ils sont tous très conscients de l’histoire qui les précède. Tel était notre critère de sélection avec Koons par exemple: nous avons choisi les pièces les plus classiques, voire néo-classiques.

Que souhaiteriez-vous que le public retienne de cette exposition?

J’aimerais que le public peu familier avec l’art contemporain profite de l’occasion pour être surpris, voire déstabilisé par les similitudes et les différences entre les œuvres – c’est ainsi que l’on apprend, en art et dans la vie en général. Il serait intéressant de visiter les espaces permanents du musée avant de se rendre à l’exposition, pour garder en tête que beaucoup d’objets aujourd’hui exposés avaient, à l’époque de leur création, un statut très semblable à celui des œuvres de Faux Amis. Ils ne jouissaient ni de la même reconnaissance et n’avaient pas la même valeur qu’aujourd’hui. L’art a toujours été contemporain: à leur époque, même les œuvres d’art les plus précieuses et les plus respectées étaient contemporaines…

L’exposition Urs Fischer-Faux Amis se tient au Musée d’art et d’histoire jusqu’au 17 juillet 2016

Cet entretien est paru dans une version abrégée dans le MAHG de mai-septembre 2016, disponible au Musée d’art et d’histoire.

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