L’exposition d’art contemporain au MAH présente une sélection d’œuvres appartenant au collectionneur grec
Pourquoi avez-vous choisi Genève pour créer la Fondation DESTE en 1983?
À l’époque, collectionner ne m’intéressait pas. Je voulais prendre part au dialogue sur l’art, organiser des expositions. Un jour, alors que je déjeunais avec le philosophe français Pierre Restany à Athènes, je lui faisais part de mes préoccupations, de ma volonté de participer au monde de l’art, il m’a suggéré l’idée de créer une fondation. En ce temps-là, je voyageais très souvent à Genève pour mes affaires, et j’y ai rencontré Adelina von Fürstenberg, fondatrice du Centre d’Art Contemporain (CAC). J’ai ensuite pensé qu’y établir la Fondation DESTE à Genève serait idéal pour soutenir les expositions et les projets organisés par le Centre [Joseph Kosuth: Recent works 1981-1985, Ancien Palais des expositions (1985); Promenades, Parc Lullin, Genthod (1985); Gilberto Zorio, Ancien Palais des expositions (1986); Marina Abramovic & Ulay: Der Mond, Die Sonne, Palais Wilson, 1987…]. C’est en 1985, lorsque j’ai rencontré Jeff Koons, que je me suis mis à collectionner. La première exposition de la collection, Cultural Geometry, s’est tenue à la House of Cyprus, à Athènes, en 1988.
Votre collection est rarement visible en dehors de la Grèce. Pourquoi cette exposition à Genève?
Plusieurs sélections ont été exposées à Paris [Translation, Palais de Tokyo (2005)], Vienne [Dream & Trauma, Kunsthalle Wien & Mumok, 2007] et New York [Skin Fruit, New Museum of Contemporary Art (2010)]. Venir à Genève est une manière de boucler la boucle. Cela faisait quelque temps que je pensais monter un projet en dehors de la Grèce, et le moment m’a semblé opportun. En parlant avec Adelina, nous sommes arrivés à l’idée d’une collaboration avec le Musée d’art et d’histoire. Ensuite, j’ai pensé mettre l’accent sur un grand artiste Suisse. Urs Fischer est un ami très cher, et je voulais instaurer un dialogue entre lui et quelques grands artistes de notre époque, qui sont eux aussi bien représentés dans ma collection et sont aussi mes amis. Urs Fischer-Faux Amis s’apparente à des retrouvailles entre proches.
Comment décririez-vous Urs Fischer?
C’est difficile à dire, en ce qui me concerne, car tout cela est très personnel et compliqué à expliquer – je ne sais même si je serais moi-même capable de comprendre! Il est sans aucun doute l’un des plus artistes les plus importants de sa génération et de notre époque. J’ai également le sentiment que, en tant qu’individu, il est très ouvert et très généreux d’esprit. Encore une fois, tout est une question de liens et de ce que l’on ressent au sujet d’une personne.
Pouvez-vous nous en dire plus au sujet du commissaire Massimiliano Gioni?
Nous nous connaissons depuis plus de vingt ans. Nous sommes des amis très proches, nous nous voyons très régulièrement, aussi il prend part à chaque exposition que nous organisons. La première était 2·0·0·2 (2002-2003) au Neo Psychiko, à Athènes, suivie de Yesterday begins tomorrow (2003). Il est conservateur en chef au New Museum of Contemporary Art, New York, où je siège au conseil d’administration et où il a organisé une rétrospective du travail d’Urs Fischer en 2009. Ce choix a donc été quasiment automatique. Massimiliano est un commissaire formidable, il a cette grande capacité à développer des axes très précis pour les expositions qui sont toujours inattendus et ouvrent de nouvelles perspectives. De l’attendu, il crée l’inattendu. Il connait également très bien Urs Fischer. Les réunir tombait sous le sens, tout simplement.
Vous avez écrit que les projets de la fondation sont devenus plus expérimentaux. De quelle manière cette exposition est-elle expérimentale?
Elle est expérimentale car il est tout à fait inhabituel de faire dialoguer un artiste vivant et 6 ou 7 autres de ses confrères. Ce genre d’exposition a certainement déjà été montée mais, personnellement, je n’en connais aucune en art contemporain – contrairement à l’art classique où l’on confronte régulièrement un artiste à ses sources d’inspirations ou à ses suiveurs. Je me suis dit que ce modèle pouvait être intéressant à créer car je trouve très important de provoquer un échange, et non une confrontation, entre mes amis et de montrer le respect qu’ils ont les uns pour les autres. C’est ainsi que j’ai établi les liens avec les artistes à la Fondation DESTE, dans un esprit de communauté. Cette exposition exprime très bien ce sentiment que nous avons tenté de transmettre dans l’ouvrage qui retrace l’histoire de la fondation de 1983 à 2015, Deste 33 years.
La première exposition du CAC intégralement soutenue financièrement par la Fondation DESTE à Genève était Joseph Kosuth à l’ancien Palais des expositions. Quels souvenirs gardez-vous de cette époque?
J’ai d’excellents souvenirs avec Joseph, nous sommes restés amis. Ensemble, nous avons eu de longues discussions sur l’art, sur le pouvoir de l’image qui, pour moi, est extrêmement important. Selon Joseph, le pouvoir du sens aurait plus de poids. Personnellement, je pense qu’ils sont tout aussi importants l’un que l’autre, chose qui se reflète dans ma collection. Ces expositions et ces projets avec le CAC à Genève m’ont donné la chance de rencontrer et de me rapprocher de nombreux artistes et de commissaires d’expositions: Alighiero Boetti, Mario Merz, Marina Abramović, Germano Celant et Jeffrey Deitch pour ne citer qu’eux.
En 2007, Urs Fischer est arrivé deux jours avant le vernissage de l’exposition de Fractured figure à Nea Ionia (Athènes), et il a intégralement revu l’accrochage. Est-ce quelque chose qui pourrait arriver pour Faux Amis?
Qui sait!
L’exposition Urs Fischer-Faux Amis se tient au Musée d’art et d’histoire jusqu’au 17 juillet 2016
Cet entretien est paru dans une version abrégée dans le MAHG de mai-septembre 2016, disponible au Musée d’art et d’histoire.
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