«Bach était un poète et ce poète était, en même temps, un peintre.» Tirée de l’essai d’Albert Schweitzer, J. S. Bach, le musicien-poète, cette phrase à l’allure de manifeste débute un chapitre consacré au symbolisme de Bach. Elle résume à elle seule l’esprit des balades brandebourgeoises qui seront jouées mi-mars au Musée d’art et d’histoire grâce au Geneva Camerata.
Loin de céder à la facilité d’un concert traditionnel à la salle des Armures, c’est une véritable invitation au voyage qui est proposée les 14 et 16 mars, avec l’intégrale des concertos brandebourgeois en deux concerts itinérants. Chaque concerto sera joué dans une autre salle, une autre atmosphère, avec d’autres œuvres en toile de fond. Le parcours sera ponctué par des lectures de textes en vers ou en prose qui, tous, interrogent la perméabilité entre les arts et l’intimité des relations entre peinture, poésie et musique.
Rare intégrale d’une véritable encyclopédie du concerto
Les concertos brandebourgeois sont de véritables «tubes» de la musique baroque, mais sont rarement joués en intégrale. Ne serait-ce que pour avoir la chance d’entendre cette somme musicale in extenso, la raison est toute trouvée de réserver des places!
C’est le 24 mars 1721 que Johann Sebastian Bach signe ses «six concertos pour plusieurs instruments», ainsi qu’il les intitule. On les connait sous l’épithète de «brandebourgeois» en référence à leur dédicataire, le margrave Christian Ludwig de Brandebourg. Alors Kapellmeister de la Cour du Prince d’Anhalt-Coethen – qui s’est remarié avec une femme peu férue d’art et encore moins de musique –, Bach cherche sans doute à préparer le terrain d’un nouvel engagement. La dédicace nous apprend que, deux ans auparavant, le compositeur avait eu l’occasion de se produire devant l’oncle du roi de Prusse et que celui-ci avait fort apprécié son talent. Il lui avait alors suggéré de lui faire parvenir quelques pièces de sa composition.
Cela ne signifie nullement que les six pièces aient été composées spécialement dans ce but. La diversité des orchestrations laisse plutôt pencher pour une forme de compilation destinée à montrer le talent du maître du contrepoint, démonstration de son «art du concerto». Synthèse des influences italiennes et françaises, tantôt concerto grosso tantôt soliste, les brandebourgeois sont à la fois la quintessence de l’art musical de leur temps et de l’art musical de Bach. Bach qui puise ici dans sa propre œuvre, notamment dans certaines cantates, pour livrer cette véritable encyclopédie du concerto.
Avec le Geneva Camerata, GECA pour les intimes, c’est la fine fleur des jeunes musiciens européens qui servira ce monument musical baroque.
Les meilleures places: debout!
Si pour profiter de la balade il vaut mieux être bien campé sur ses deux pieds, des pliants seront toutefois mis à disposition pour prévenir tout fléchissement des guiboles! Les concerts ne seront guère plus longs qu’une visite commentée, mais l’émotion peut couper les jambes. Personne n’en sera à l’abri.
Le vendredi soir, à la nuit tombante, ce sont les concertos n°1, 2 et 5 qui résonneront du péristyle des beaux-arts jusqu’à la salle néoclassique, ponctués de texte de Paul Verlaine, Jacques Brel et Georg Wilhelm Friedrich Hegel. Le dimanche, la balade se fera dans l’autre sens, pour s’achever devant le célèbre Canova, avec les concertos n° 3, 4 et 6 mis en regard de Germaine de Staël, Charles Baudelaire et Sully Prudhomme.
Alors écoutez de tous vos yeux, voyez cette musique sublime peindre des alexandrins au parfum de colophane et baladez-vous, à contrepied, à contrepoint….