Les stèles d’Ioupout II et de Nâbastet
La collection égyptienne du Musée d’art et d’histoire compte un bon nombre de stèles. Parmi celles qui sont exposées dans le parcours permanent, deux présentent des caractéristiques particulières en matière d’écriture: la stèle d’loupout II et la stèle de Nâbastet.
La stèle d’Ioupout II
La stèle d’Ioupout II provient de la ville de Mendès, au nord-est du delta du Nil (fig. 1). Datée de l’an 21 de Ioupout II, obscur pharaon de la XXIIIe dynastie (2e moitié du VIIIe siècle av. J.-C.), elle est le témoin immuable d’une donation… en hiératique!
Dans le cintre, en partie détruit, une scène montre le roi (encore visible à droite) présentant le signe hiéroglyphique de la «campagne» (fig. 2) à la triade divine de la ville de Mendès: de gauche à droite, Banebdjed, divinité masculine à tête de bélier, Isis, ici son épouse dans le rôle de mère divine et de nourrice, et Harpocrate, dieu-enfant. Figuré en plus petit devant lui, se tient le prêtre horaire Gemenefhorbak, un bâton horoscopique dans la main.
Le texte gravé sur la partie inférieure de la stèle, dont la fin est très endommagée, nous raconte l’histoire d’un chef de tribu libyenne, Nesbanebdjed fils de Hornakht. À cette époque, les chefs de tribu détiennent le pouvoir effectif, alors que Pharaon n’a qu’un rôle symbolique et religieux.
«L’an 21 du pharaon Ioupout. Accomplir une donation pour Harpocrate qui réside à Mendès de la part du grand chef des Mâ et commandant Nesbanebdjedet, fils du grand chef des Mâ et commandant Hornakht, laquelle est remise au supérieur des prêtres horaires d’Harpocrate Gemenefhorbak. (Il s’agit du) champ de cinq aroures, (qui est) à l’intérieur de la campagne du “Clos du Nègre”, (qui est elle-même) à l’intérieur de la terre alluvionnaire de l’“Eau pure”.
Quant à celui qui viendrait à voler cette donation à son possesseur, la peste (—) s’abattra (sur lui) (—)! On ne transmettra pas ses fonctions à (ses enfants)! (—) biens (?)! Il ne possédera plus d’eau!»
Ces lignes prennent acte de l’offrande d’un terrain fertile de cinq aroures (env. 1,36 hectares) au dieu Harpocrate. Mais contrairement à d’autres stèles, le but de la donation (fournir l’huile d’une lampe par exemple) n’est ici pas indiqué. Nesbanebdjed, pourtant généreux donateur, n’est pas présent dans le cintre. C’est en effet le roi qui, à sa place, tend le signe hiéroglyphique de la campagne, symbole du terrain. Le prêtre horaire, quant à lui, en assurera la gestion et vivra de la prébende de celui-ci. Et gare à ceux qui pourraient y porter atteinte!
Si les signes qui composent le texte semblent être des hiéroglyphes quelques peu exotiques, c’est qu’il s’agit de signes hiératiques (du grec hieros, «sacré»). Cette écriture cursive de la langue égyptienne est une simplification des hiéroglyphes apparue au Xe siècle av. J.-C. Elle est, dans un premier temps (jusqu’au VIIe siècle av. J.-C.), utilisée pour les documents de type administratif… comme celui-ci! Bien que l’aspect religieux soit très présent à travers le bénéficiaire du don, la stèle n’en est pas moins un texte juridique et était, par ailleurs, sûrement utilisée comme borne pour limiter le terrain en question.
La stèle de Nâbastet
Entre 1874 et 1877, Félix Paponot (1835-1897), ingénieur de la Compagnie de Suez, est chargé de reprendre les travaux de l’Ismaïlieh, canal d’eau douce reliant le Caire à la ville d’Ismaïliah. Il trouve alors dans le jardin de sa villa à Tell el-Maskhouta plusieurs statues, documents pharaoniques et la stèle d’une femme nommée Nâbastet… Il ne se doutait alors pas qu’il s’était établi sur les ruines du temple d’Atoum, dieu démiurge et symbole du soleil couchant à Pithom, que fouillerait plus tard l’égyptologue genevois Édouard Naville.
Datée d’époque romaine (Ier s. ap. J.-C.), la stèle, cintrée et inscrite en relief dans le creux, se divise en deux parties. Dans le tiers supérieur, est gravée une scène figurée. Elle est encadrée par le signe du ciel épousant la forme du cintre, soutenu par deux piliers, ainsi que par une bande de terre sur laquelle reposent ces derniers. À droite se tient la défunte, Nâbastet «qu’a mise au monde Ounher», les bras levés en signe d’adoration. Devant elle, est assis Osiris, reconnaissable à la couronne-atef, composée d’une mitre centrale surmontée d’un disque solaire et encadrée de deux plumes, et à sa barbe postiche. Derrière lui sa parèdre, Isis, porte sur la tête une coiffe en forme de vautour, insigne des déesses-mères, et le hiéroglyphe du trône servant à écrire son nom. Entre les divinités et la défunte, des pains, des fleurs de lotus et une aiguière, déversant une libation en direction des dieux, sont posés sur un guéridon d’offrandes.
Si les hiéroglyphes de la stèle de Ioupout II semblaient déjà étranges, ceux-ci le paraîtront plus encore. C’est en effet un texte en écriture démotique qui recouvre la partie inférieure de l’œuvre. Cette écriture «populaire» (du grec dèmos «peuple»), apparue au VIIe s. av. J.-C., est une simplification des hiéroglyphes réservée primitivement aux documents profanes. Il s’agit ici d’une invocation à l’âme-ba de Nâbastet (manifestation du défunt qui lui permet de tisser des liens entre le monde des dieux et celui des hommes), et du seul exemplaire d’écriture démotique sur pierre du Musée d’art et d’histoire. Voici un extrait de la traduction de G. Widmer1:
«Que vive l’âme de Ta … (qu’a) mise au monde Ounher. Que son nom soit loué pour toujours et à jamais! Qu’elle puisse accéder au lieu où se trouve Osiris le grand, Ounnefer.»
1 Laurent, V., Widmer, G., Une stèle démotique anciennement découverte à Tell el-Maskhouta (Genève, Musée d’art et d’histoire, inv. A 2009-2), BSÉG 29 (2011-2013), p. 84. (titre 5)