À la suite de la guerre de Sécession (1861-1865), les États-Unis entrèrent dans une période difficile de reconstruction. Face aux énormes dégâts, ces derniers accusèrent la Grande-Bretagne d’avoir violé sa neutralité en fournissant certains renforts douteux aux États confédérés. Ils l’incriminèrent notamment d’avoir construit, dans les chantiers navals anglais, le navire corsaire sudiste Alabama. Ce croiseur bouleversa le commerce nordiste en faisant couler soixante-deux bateaux, avant d’être lui-même détruit, le 18 juin 1864, par un vaisseau de guerre fédéral, le Kearsage, au large de Cherbourg. Cette victoire nordiste accrut l’hostilité entre les deux pays.
Après des années de négociations, le conflit fut finalement soumis au Tribunal arbitral, qui siégea à Genève, en 1871-1872. La Grande-Bretagne fut condamnée au paiement de quinze millions et demi de dollars. Grâce à Jakob Stæmpfli, ancien président de la Confédération et arbitre nommé par la Suisse dans le cadre de cette médiation internationale, ce différend fut réglé pacifiquement.
En témoignage de reconnaissance, le Gouvernement américain lui offrit un important présent en argent composé principalement d’un candélabre, d’une paire de rafraîchissoirs et d’un bol à punch. Cet ensemble, au décor inspiré du mythe de Dionysos, reflète parfaitement la production prestigieuse de la plus grande manufacture des États-Unis, la Maison Tiffany & Co.

Après le décès de Jakob Stæmpfli survenu en 1881, ces objets furent offerts à la Ville de Genève, rachetés grâce à une souscription ouverte par le conseiller national M. Arthur Chenevière. Ce dernier justifiait ainsi cette acquisition:
«À une époque telle que la nôtre où le droit est le seul rempart des faibles, il me semble qu’il est d’une haute convenance que Genève conserve ce souvenir visible d’un mémorable événement où deux des premières puissances du monde ont confié à de simples citoyens le privilège de prononcer à l’amiable sur leurs différents et ont ainsi, à leur éternel honneur, épargné leurs ressortissants, comme à l’univers, le fléau d’une nouvelle guerre!»
Présenté initialement au Musée des arts décoratifs, ce service de table au décor antiquisant fut transféré ultérieurement, en 1910, au Musée d’art et d’histoire, où il fut exposé dans la salle des métaux ouvrés. Toutefois, ces pièces furent alors jugées «pesantes et lourdes», voire «dépourvues de tout caractère artistique». Leur style pompeux convenait davantage aux espaces conçus par Gustave Revilliod, aussi gagnèrent-elles une année plus tard le Musée Ariana. En 1940, cet ensemble reprit définitivement le chemin de la maison mère, témoignant bien par ses constants déplacements de l’évolution du goût.
Texte rédigé en collaboration avec Gaël Bonzon