Le nouveau pensionnaire des salles beaux-arts
Depuis quelques jours, un pianoforte a pris ses quartiers dans la salle de peintures des écoles européennes (XVIIIe-XIXe siècle). Cet instrument appartient à la Fondation de la Ménestrandie, déjà propriétaire du clavecin Stirnemann, vedette des concerts-pliants. Il vient de faire l’objet d’une restauration en profondeur qui a redonné à sa sonorité toute sa richesse et sa délicatesse. Cet automne sera l’occasion de l’entendre lors de plusieurs concerts.
Un facteur pragois
Le facteur de cet instrument, Jan Michael Weiss, est né à Pfraunfeld (Allemagne) vers 1764. À Prague, où il s’établit dans sa jeunesse, il accède à la bourgeoisie vers l’âge de trente ans. Très vite, il acquiert une réputation dépassant les frontières de la Bohème pour la qualité de ses pianos et ses nombreuses innovations. Chef de fil de la guilde pragoise durant nombreuses années, il meurt en 1838.
Le pianoforte de la Ménestrandie est signé Michael Weiss in Prag sur une plaque de porcelaine placée au-dessus du clavier. Ornée des armoiries des Habsbourg, cette plaque précise qu’il s’agit de la 1359e pièce produite par le facteur pragois, soit une réalisation qui correspond à une période assez tardive de son activité. Neuf instruments de Weiss sont arrivés jusqu’à nous, dont un pianoforte portant le numéro 432. Conservé au Musée tchèque de la musique à Prague, il a probablement été fabriqué juste avant 1800, tandis que l’exemplaire du Germanisches Nationalmuseum à Nuremberg portant le numéro 1089 est daté vers 1807. Comme le pianoforte de Genève, ce dernier porte la mention «k k priv Instrumenten Fabrik» (Kaiserliche Königliche Pivatische Instrumenten Fabrik), un label «impérial» qui n’a pu faire son apparition dans le royaume de Bohème avant 1804.
Une palette de couleurs sonores
La tessiture de l’instrument couvre six octaves et deux notes FF- a4 (fa-la) et sa mécanique est dite «viennoise», selon la facture pratiquée en Autriche-Hongrie et dans l’Allemagne du Sud. Les marteaux, inversés, sont orientés vers le clavier et recouverts d’une peau, tandis que les étouffoirs sont posés sur un carcan au-dessus des cordes. Ceci permet un toucher très léger, agréable et chantant.
Notre pianoforte est muni de jeux – permettant de modifier le timbre ou l’intensité – qui se pilotent au moyen des quatre pédales, fixées à la lyre, et des deux genouillères disposées sous le clavier. Si les genouillères sont fréquentes dans la facture viennoise, il est rare de les trouver après 1820 et surtout de les associer à un jeu de pédales. La combinaison des deux permet de multiplier les effets et d’étendre d’autant plus la palette sonore de l’instrument. Une pédale forte permet de lever les étouffoirs et de laisser vibrer toutes les cordes, tandis qu’un jeu de harpe, ainsi nommé parce qu’il évoque le son cristallin de cet instrument, est lui beaucoup plus doux. Un jeu de céleste (tissu qui vient se placer entre les marteaux et les cordes) adoucit la sonorité. Enfin, un jeu de basson vient compléter les possibilités de varier les timbres de l’instrument.
Un pianoforte au milieu des tableaux
Si les concerts-pliants sur le clavecin de Stirnemann permettent d’entendre sonner l’instrument dans des conditions très semblables à celles de la fin du XVIIIe siècle, le choix d’installer le pianoforte de Weiss dans une salle de peinture offre une autre atmosphère. Les grands portraits anglais, les paysages néoclassiques de Pierre-Louis de la Rive et surtout le très romantique Baptême du Christ (1833) de Francis Danby constituent un pendant idéal à la musique chargée d’affects et de couleurs de la fin du classique et du début du romantisme. Seul un musée permet de faire vivre une telle expérience proposée tant aux mélomanes avertis qu’aux néophytes curieux pour deux concerts gratuits cet automne.
Concerts gratuits au MAH:Le jeudi 2 novembre à 12h30
Le dimanche 19 novembre à 16h.