Découverte du fonds Rodolphe Piguet
Riche de quelque 700 planches, le fonds de l’œuvre gravé de Rodolphe Piguet (1840-1915) a récemment fait l’objet d’une campagne d’inventaire et de numérisation qui a non seulement permis de redécouvrir le travail de cet artiste très apprécié de son vivant, mais aussi de mettre en lumière certains aspects de l’histoire des collections à Genève au tournant du XXe siècle.
Le fonds
Le fonds Piguet actuellement conservé au MAH provient du Musée des arts décoratifs qui, dès 1890 environ, achète et reçoit en donation des œuvres de l’artiste. Aussi la majeure partie de cet ensemble provient-elle d’une donation faite en 1921 par Frédéric Raisin. Selon le registre d’acquisition, ce don comprenait «l’œuvre presque complet» de l’artiste.
Avocat de formation, homme politique, bibliophile, collectionneur, Frédéric Raisin est un personnage important de l’histoire des musées à Genève – il est membre de plusieurs commissions artistiques et fait des dons réguliers jusqu’à son décès en 1923. Proche de George Hantz (1846-1920), alors directeur du Musée des arts décoratifs, Frédéric Raisin joue le rôle de conseiller auprès de l’institution. Il aiguille Hantz dans ses choix d’acquisitions et lui fait très certainement part de son fort intérêt pour le travail de Marcel Desboutins, Evert van Muyden et… Rodolphe Piguet. Le rôle de Raisin est donc déterminant dans la constitution du présent fonds, à ce jour le plus important conservé en institution.
Rodolphe Piguet, artiste au parcours international
Piguet débute sa carrière à Genève comme peintre sur émail. Après quelque temps passé dans l’atelier de Barthélemy Menn, il part à New York en 1863 où il se consacre pendant une année environ au développement de la peinture sur émail. Il y fait la connaissance d’Alfred Cadart (1828-1875), fondateur de la Société des Aquafortistes, qui l’initie à la technique de l’eau-forte que Piguet utilise presque exclusivement, dès 1871, au début de sa carrière de graveur. Il reste quelques temps aux États-Unis où il travaille en tant que professeur de dessin en Caroline du Nord et en tant qu’illustrateur pour diverses revues américaines. Ce n’est que quelques années plus tard, alors installé à Paris, que Piguet découvre la pointe sèche: il s’en sert dans un premier temps comme complément à l’eau-forte, mais il ne tarde pas à l’utiliser seule. Récompensé à l’Exposition universelle en 1889 et 1890, il reste proche de Genève, où il revient fréquemment pour des séjours plus ou moins longs, avant de s’y réinstaller définitivement autour de 1910.
Piguet et l’art du portrait
Dès le début de sa carrière, Piguet manifeste un intérêt marqué pour le genre du paysage, lequel devient vite son sujet de prédilection. Il réalise aussi cartons d’invitation, menus de fêtes, programmes de soirées littéraires et cartes de vœux. De plus, proche du milieu bibliophile, il exécute bon nombre d’ex-libris. Le fonds du MAH compte également quelques natures mortes et gravures de reproductions d’œuvres observées à Genève et dans les galeries du musée du Louvre. Le portrait domine néanmoins l’œuvre gravé de Piguet, pour lequel l’artiste est très sollicité dès son séjour parisien et qui lui vaut des «suffrages flatteurs»1. Outre ses portraits majoritairement masculins, Piguet est connu et reconnu pour ses représentations féminines, en particulier celle de la Parisienne, l’un de ses sujets phares dont il devient, d’après John Dubouloz, «l’interprète par excellence»2.
Inspiration et expérimentation
S’il est aujourd’hui méconnu, faute d’avoir fait l’objet d’une étude aussi complète que celle menée récemment au MAH, Piguet, durant sa carrière, fait l’objet de plusieurs articles de presse (en Suisse, en France et aux États-Unis) dans lesquels les critiques soulignent notamment son talent de portraitiste et de séchiste. En effet, l’une de ses particularités reste sa grande maîtrise de la pointe sèche qu’il utilise pour la majorité de ses planches.
L’opacité, l’intensité et l’uniformité des zones d’ombres, créées par plusieurs niveaux de hachures croisées, contrastent avec des zones de papier laissées claires, faisant ressortir les figures et leur donnant toute leur expressivité. Ces noirs profonds sont aussi obtenus grâce aux barbes (résidus) laissées par le passage de la pointe sur la plaque, conférant à la planche cet aspect duveteux caractéristique de la technique.
Afin d’obtenir d’autres effets et textures, Piguet mêle parfois à la pointe sèche d’autres techniques telles l’eau-forte, l’aquatinte, le vernis mou ou encore la roulette. Il s’essaie aussi à différents encrages en couleur. Comptant de nombreux dessins préparatoires, d’états et de variantes, le fonds reflète pleinement le cheminement de la pensée créative de l’artiste. Enfin, Piguet réalise certains portraits d’après des photographies ou s’en inspirant.
Notes
1. Jules Cougnard, «Rodolphe Piguet», in Pages d’Art, Revue mensuelle suisse illustrée, Novembre 1919, p. 373
2. «Rodolphe Piguet», in L’Art, 3e série, tome II, 1902, p. 241