Lorsque Burhan Doğançay fait ce voyage en Israël, cela fait déjà 10 ans qu'il se consacre entièrement à sa pratique artistique. Mais c'est ce voyage qui marque le début de la grande œuvre de sa vie. Que s'est-il passé ?
Angela Doğançay (AD) Burhan s’est rendu en Israël sur invitation d’un ancien collègue du service diplomatique, qui connaissait sa passion pour les murs urbains. Burhan a immédiatement pensé que cette invitation était provoquée par le destin, auquel il croyait fermement. Il faut dire que de nombreuses années auparavant, il avait assisté à une conférence à Las Vegas dont l’organisateur était israélien. Ce dernier, pour le remercier, lui a remis un certificat attestant de la plantation d’un arbre à son nom sur le Mont Galilée. Cela faisait longtemps que Burhan était attiré par ce pays. Il a été fasciné par la richesse des murs en Israël, en particulier à Tel Aviv. C’est ce qui a déclenché la production d’un grand nombre d’œuvres qui forment la série Walls of Israel.
Burhan Doğançay a été formé par son père et par le peintre Arif Kaptan. Que reste-t-il de cet héritage dans son œuvre ? Pensez-vous que sa carrière diplomatique a également influencé son œuvre et si oui, de quelle façon ?
AD Le père de Burhan, Adil Doğançay, un paysagiste, et Arif Kaptan lui ont enseigné la discipline et l'importance du «bon dessin » comme la base fondamentale d'une bonne œuvre d’art. Cette habileté du dessin se manifeste dans l'art de Burhan. Chaque fois qu'il n'était pas satisfait du résultat de l'une de ses œuvres, il la détruisait.
Sa carrière diplomatique a façonné Burhan en ce sens qu'elle l'a amené à regarder la portée plus large de son environnement et l'a rendu ouvert d'esprit. Son service gouvernemental a donné à sa vie une structure et un esprit raisonné, une pensée claire et construite. La vie de diplomate (il travaillait dans le département du tourisme) a accru sa curiosité pour les pays et les cultures différentes et l’a motivé à voyager énormément, y compris dans des pays qui n'étaient pas considérés comme sûrs à l'époque. C'est le cas de l'Argentine où, alors qu'il photographiait les murs de Buenos Aires en 1989, il a été dépouillé dans la rue de tous ses appareils photo. Un autre incident comme celui-ci s'est produit à Johannesburg, en Afrique du Sud, en 1991, lorsqu'il a été retenu sous la menace d'un couteau.
Sa carrière diplomatique a également favorisé un vif intérêt pour la politique. Il lisait régulièrement les quotidiens et tout en travaillant dans son studio, il écoutait les nouvelles à la radio. Il était toujours bien informé sur les événements, sur n’importe quel sujet. Cela se reflète dans ses collages dont certains incluent des fragments d'affiches politiques et d'autres genres de publicités et de commentaires laissés par les passants.
Pourquoi ce don très important au Musée d'art et d'histoire de Genève ? Quel regard portez-vous sur le MAH et comment s'y inscrit l'œuvre de votre mari ?
AD Comme la plupart des artistes, Burhan souhaitait que son œuvre soit présente dans autant de collections de musées que possible à travers le monde. La Suisse a joué un rôle important dans sa carrière artistique car il y a tenu plusieurs expositions à Bienne (Collage – Décollage Dogançay – Villeglé, Centre Pasquart, 2009) et à Zurich (Burhan Dogançay New York, Galerie Kunstsalon Wolfsberg, 1977), où il a également produit une portefeuille de lithographies. Puis, en 1983, ses premières sculptures d'ombre ont été développées au centre de recherche d'Alusuisse, à Neuhausen. Genève étant une ville internationale et le siège des Nations Unies, le MAH est à la hauteur d'un artiste d'envergure internationale comme Burhan. Par conséquent, je suis particulièrement reconnaissante au MAH d'avoir jugé l'art de Burhan digne de sa collection. Je suis heureuse que ce corpus d’œuvres ai été accueilli dans la collection permanente du musée où il sera apprécié et préservé pour les générations à venir. Je suis extrêmement reconnaissante pour cela, comme Burhan le serait aussi.