Pour la galerie. Mode et portrait

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Entre pouvoir, soif d’évasion et foire aux vanités

Le portrait est l’un des points forts des collections de peinture du Musée d’art et d’histoire: avec le paysage, il sert de fil rouge au nouvel accrochage des salles permanentes, qui déroule une histoire de l’art occidental depuis la Renaissance, au prisme du goût des collectionneurs genevois qui les ont réunies. L’exposition du musée Pour la galerie. Mode et portrait propose un autre point de vue sur ce genre clé de la période moderne et contemporaine, jadis réservé à une élite, mais qui a fait irruption dans nos vies par le biais de la photographie, des téléphones portables et des réseaux sociaux. Rompant avec la chronologie pour confronter les époques, l’exposition propose d’en explorer les codes, les continuités et les ruptures, en mettant en avant l’un de ses principaux accessoires: le vêtement.

Vue de l’exposition, section « Pouvoir est ses codes », septembre 2021, © MAH, photo : M. Sommer

Pour ce faire, nous avons puisé dans une autre collection à visée encyclopédique, celle d’histoire de la mode de la Fondation Alexandre Vassiliev. Nous avons également emprunté les œuvres chez les autres préteurs privés et institutionnels. Ont ainsi été sélectionnées près de deux cents œuvres: peintures suisses et européennes du musée, d’Hyacinthe Rigaud à Alice Bailly, mais aussi vidéos ou installations, de Sylvie Fleury à Ali Kazma; et robes, costumes et accessoires de créatrices et créateurs anonymes ou célèbres du XVIIIe siècle à nos jours, de Worth à Dior. Dans une scénographie de l’Atelier Oï qui tire parti de l’architecture majestueuse des salles palatines du musée en évoquant tour à tour galerie de portraits, boudoir, salle de bal ou palais des glaces –sans oublier les coulisses de ces lieux dédiés à l’apparence–, l’exposition propose de constants allers retours entre les époques, autour de quatre thématiques principales: le pouvoir, l’évasion, la séduction et la vanité.

Vue de l’exposition, section «Au bal de la séduction», septembre 2021 ©MAH, photo: M. Sommer

Le pouvoir, entre codes et soif d’évasion

Sur le plan symbolique, le vêtement s’affirme d’abord comme une marque de distinction sociale. Étoffes, couleurs, coupes ou parements sont autant de signes conventionnels: dès la fin du XIIIe siècle, des lois somptuaires déterminent ce que doit porter l’une ou l’autre classe sociale. Pour affirmer leur pouvoir, rois et princes se réservent des codes vestimentaires qui évoluent avec les innovations techniques ou commerciales. Ainsi au XVe siècle le noir, obtenu grâce à d’onéreux pigments importés, devient la couleur princière, notamment privilégiée par Charles VI, puis celle des milieux dirigeants jusqu’au XVIIe siècle. Le XXe siècle reproduit ces codes en les transposant souvent: par exemple, un attribut militaire comme l’armure, encore présente au XVIIIe siècle dans un portrait de Nattier, est réinterprété par Paco Rabanne dans ses iconiques «robes importables en matériaux contemporains» destinées aux femmes émancipées des années 1960. Instruments et expression du pouvoir, ces codes sont de véritables sources d’inspiration pour la haute couture, mais aussi la culture populaire du bling bling au XXe siècle.

Jupe, soie, plastique, Italie, vers 1967-1969 © Fondation Alexandre Vassiliev, inv. 2019.6.9.23.CW.SK.C1967.IT
Jean-Marc Nattier, Portrait de Daniel-François de Gélos de Voisins d’Ambres, comte de Lautrec (1683-1762), entre 1744 et 1750.
Huile sur toile, 81,5 x 92 cm, don de Jean-Vincent Capponier de Gauffecourt, 1751.
©MAH, photo: J.-M. Yersin, inv. 1908-0005
Robe du soir, Maison Paco Rabanne, Paris, vers 1966. plastique, métal.
©Fondation Alexandre Vassiliev, inv. 2019.6.7.7.CW.DR.C1966.FR

Cependant le vêtement répond aussi à un besoin d’évasion, d’échappée provisoire du carcan des conventions. Avec son masque évocateur de la comédie et des bals vénitiens, le portrait en costume turc de Félicita Sartori peint par Rosalba Carriera est emblématique de cette démarche. Loin d’un regard objectif, c’est l’Occident lui-même qui se rêve drapé d’Orient: entre précision ethnographique et fantasmes exotiques, les créateurs s’inspirent aussi des récits de voyageurs et des contes merveilleux, puis des expositions universelles ou des Ballets Russes. Cet exotisme teinte également le vestiaire de l’intimité, où s’initie dès le XIXe siècle la libération du corps féminin, avec par exemple les robes de thé –seul vêtement de la litanie des tenues quotidiennes des femmes du monde à échapper au corset. Dans les années 1990, le thème de l’oiseau de paradis inspire encore à Antony Price sa minirobe Chicken, entièrement réalisée en plumes. Dans un mélange des genres caractéristique de l’époque, elle sera portée aussi bien lors d’une fête donnée par la Princesse Margaret que dans une publicité pour les bouillons de poulet Bovril…

Rosalba Carriera, Portrait de Felicita Sartori en costume turc, avant 1740.
Pastel sur papier, 640 x 525 mm, dépôt de la Fondation Jean-Louis Prevost, 2004.
©MAH, photo: B. Jacot-Descombes, inv. BA 2004-0003-D
Vue de l’exposition, section « Exotisme et évasion », octobre 2021 © MAH, photo: F. Bevilacqua

Entre bal de la séduction et foire aux vanités

Si les oiseaux peuvent aussi évoquer une parade nuptiale, les fleurs sont un élément clé des codes de la séduction, tout comme les couleurs éclatantes, bien présentes dans le grand bal des modes destinées aux femmes nubiles ou jeunes mariées. Dans un jeu concurrentiel mêlant retenue et provocation, les apparences mènent la danse dans une société devenue spectacle, où l’enjeu est de conquérir un sourire, voire une alliance, comme dans la tradition aristocratique d’envois de portraits de jeunes filles à marier. Les stratégies de la séduction déclinent à foison vêtements, matières, couleurs, motifs, accessoires, gestes et regards selon des codes sociaux et esthétiques variables, reconnaissables dans les portraits.

Outils par excellence de la projection et de la fabrication de l’image de soi, entre conformisme et quête d’originalité, mode et portrait sont, à l’ère des selfies, de TikTok et des visio-conférences, plus que jamais au cœur de nos interactions sociales. À la suite d’Yves Saint Laurent réinterprétant Piet Mondrian, art et mode ne cessent de se répondre, dans un vertige de réappropriations où s’instaure un grand jeu de miroirs. Un public toujours plus large paraît sommé d’y participer, entre affirmation de soi et inquiétude, griserie et ironie –comme dans le Mirror Cover d’Olaf Nicolai, un miroir reproduisant en sérigraphie la mise en page d’une couverture du magazine Vogue.

Vue de l’exposition, section «Foire aux vanités », octobre 2021 ©MAH, photo: F. Bevilacqua

Fleurs et miroirs font après tout aussi partie du répertoire d’un autre genre pictural, celui de la vanité. Alors que nous ne nous sommes jamais autant regardés et préoccupés de notre apparence, l’expression mélancolique du modèle impeccablement vêtu du Chandail rouge de Félix Vallotton semble nous inviter à nous déconnecter pour nous retrouver face à nous-même.

Félix Vallotton, Le Chandail rouge, 1913.
Huile sur toile, 89 x 116 cm, achat avec l’aide de Clarisse Gagnebin et du Fonds Wilson, 2002.
©MAH, photo: B. Jacot-Descombes, inv. BA 2002-0002
Vue de l’exposition, section «Foire aux vanités », octobre 2021 ©MAH, photo: F. Bevilacqua

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