Un Âge de glace propre à réchauffer les esprits
Il y a les habitués, qui savent qu’il faut arriver avant la foule. Les mordus, qui ont décidé encore une fois de ne pas en perdre une miette. Les curieux, appâtés par le bouche-à-oreille. Les étonnés, qui ont fait confiance à leurs amis et n’en reviennent pas qu’une telle énergie puisse se dégager d’un endroit d’ordinaire si sage. Les enthousiastes, qui se démènent pour passer le mot sur les réseaux sociaux. Ils sont tous là, dans le hall d’accueil du Musée d’art et d’histoire, dans l’attente du lancement de la quatrième soirée Afterwork, intitulée L’Âge de glace.
«La première fois, je m’étais contentée de rester dans la Salle des Armures pour siroter un verre», avoue cette Genevoise d’une vingtaine d’années. Encadrée de deux amies qui découvrent le concept, elle a cette fois sauté le pas en suivant le programme à la lettre: «Nous en sommes à notre troisième visite!», annonce-t-elle fièrement. Il y en a en effet pour tous les goûts, et le programme a été étudié pour que les visiteurs puissent assister à toutes les activités –speed dating, improvisation théâtrale, contes, sculpture sur glace dans la cour… Le musée s’est rempli à vue d’œil, le rendez-vous est désormais installé: «Quel plaisir de sortir à Genève en semaine!», confie une trentenaire tout juste échappée du bureau, passionnée par la mythologie grecque et séduite par la formule qu’elle a découverte via Facebook.
Le speed-dating : la formule gagnante
Pierre angulaire de ces soirées thématiques, le speed dating, ou visites éclairs centrées sur une œuvre, fait le bonheur des visiteurs. Loin de se borner à une simple description, ces rendez-vous construits sur de solides bases scientifiques ouvrent le champ des connaissances. Ce soir, le public découvre la hiérarchie des genres en peinture devant l’Intérieur de boutique (dernier tiers du XVIIe siècle) de Giacomo Legi; la construction du paysage devant Le Mont-Blanc vu de Sallanches au coucher de soleil (1802) de Pierre-Louis De La Rive, véritable portrait du toit de l’Europe et contre-exemple de la tradition; la notion de beauté indissociable de la santé devant l’Apollon saurochtone d’après Praxitèle…

Ce menu à picorer selon les envies a ses adeptes: «La vision de saint Pierre avec son hachoir à travers le crâne m’a vraiment marqué», glisse Philippe, 36, photographe, qui se souvient de la Déploration du Chris et saints de Luigi ou Alvise de Donati (v. 1508-1510), présentée lors de la Nuit de l’Horreur, troisième Afterwork organisé en octobre dernier. «Le format court et intense est convaincant car il évite la surcharge d’information», renchérit Diana, 42 ans, enseignante, qui partage le même enthousiasme pour cette approche aussi décontractée que sérieuse de l’art.
Improvisations, contes et sculpture sur glace
Les applaudissements retentissent à intervalles réguliers dans les salles, saluant le travail des médiateurs mais aussi les facéties improvisées de la compagnie lesArts, et l’interprétation incarnée de la conteuse Casilda Regueiro. Chez les comédiens, le public est sollicité pour choisir une œuvre à partir de laquelle le duo formé par Françoise Préfumo et Fausto Borghini invente une saynète – la pomme du Péché originel (v. 1580) devient, par exemple, motif de divorce.

La salle des contes, installée dans l’une des chambres reconstituées du château de Zizers, affiche complet à chaque séance. À travers les contes inuits tirés du recueil Femmes qui courent avec les loups de Clarissa Pinkola Estès, Casilda Regueiro transporte les visiteurs bien loin du brouhaha du reste du musée.

Le public, parfois très nombreux, fait preuve d’une attention soutenue que rien ne saurait perturber, hormis peut-être de vagues échos d’une tronçonneuse… Certes, lorsque l’idée d’inviter un sculpteur sur glace dans la cour a été lancée, la date du 28 janvier à Genève laissait augurer des températures polaires! Le thermomètre affichant 12 degrés, Nicolas Gombert parviendra-t-il à terminer son interprétation d’une statue antique avant que les blocs de glace ne s’évanouissent entre ses mains? Oui, et le résultat rétro-éclairé en fascine plus d’un. Le lendemain matin, il n’en restait plus grand-chose. Heureusement que les photographies sont là pour en témoigner!