Outings project ou l'école buissonnière

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Quand les enfants invitent les œuvres du MAH à prendre l’air

L’idée est simple et jolie. Qui en visitant un musée n’a jamais été frappé par un détail et eu envie de le conserver? Qui n’a jamais photographié l’œillet de poète au bas d’une tapisserie, le putto dans un coin du tableau, ou la sphinge songeuse sur le col d’un vase grec? Outings project, né sous l’impulsion de l’artiste Julien de Casabianca, se construit sur cette envie.

Des fragments d’œuvres dans la rue

Un fragment d’œuvre, le plus souvent un personnage d’un tableau, photographié dans le musée est ensuite agrandi à taille humaine et collé sur les murs de la ville: après Paris, Asunción, Islamabad et bien d’autres cités internationales, Genève accueille ces drôles de silhouettes depuis le mois d’octobre et jusqu’au 10 janvier 2016. L’artiste guide sur les œuvres du musée le regard des participants – des classes de 8P dans le volet genevois –, qui collent ensuite avec lui leur sélection dans les rues. Sorties de leur cadres, ces figures partent à la rencontre de la population dans ses quartiers de vie ou de travail. Elles se découvrent par hasard, au détour d’une déambulation, ou se repèrent grâce au plan élaboré par le MAH. Le Portrait de Madame Jean-Gabriel Eynard par Firmin Massot, les soldats assistant impuissants à la délivrance de saint Pierre par un ange sur le retable de Konrad Witz ou encore la tête du général Holopherne sortie d’un tableau de Marco Palmezzano se retrouvent ainsi à la Jonction, aux Eaux-Vives ou aux Grottes, suscitant la curiosité des passants, comme en témoignent les nombreuses photos postées sur Instagram.

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Outings Project dans les rues de Genève. ©Photo: Julien de Casabianca

L’impact du changement de contexte

Si le passant s’intrigue, s’enthousiaste ou s’insurge, celui qui est familier des œuvres dont sont extraites les Outings en retire aussi beaucoup. Outre le sentiment de croiser des amis à chaque coin de rue, le changement de contexte suscite de nombreuses réflexions.
Ainsi, à l’angle des rues Jean-Violette et Prévôt-Martin, un dogue et un cygne s’affrontent. Ils sortent d’une toile datée de 1731 de Jean-Baptiste Oudry (1686-1755) et sont quasi à l’échelle du tableau d’origine. Sur un mur clair du bâtiment, la blancheur du cygne frappe moins que sur le fond relativement sombre de la toile. Dans la rue, tout indice sur les causes de la lutte a disparu alors qu’à la gauche de la composition, le col et la tête d’un autre palmipède dépassant des roseaux, laisse supposer la présence d’un nid, objet de la convoitise du chien. Le rapport de force est aussi renversé. Si la lumière et la position centrale du cygne sur le tableau en font le dominant, sur le mur, l’issue de l’affrontement paraît moins certaine.
Un peu plus loin, au passage de la Tour, on retrouve Jean-Etienne Liotard (1702-1789), sorti de son Autoportrait à la longue barbe. Le «peintre de la vérité» plaçait ses modèles sur un fond neutre pour faire ressortir visages et expression. Sur le mur blanc où il se situe, cet effet de fond neutre est respecté, donnant à la figure de l’artiste, représenté dans l’exercice de son art un pastel à la main, un côté très vivant comme s’il était sur le point d’interpeller le passant. En revanche, son découpage fait que le contraste du dessin d’origine entre les parties très travaillées comme le visage et la barbe, la main qui tient le pastel, le rendu de la peau et des étoffes, et les zones esquissées comme la chaise ou la main reposant sur la cuisse disparaissent. Si le côté hyper réaliste est renforcé, paradoxalement, la maîtrise extraordinaire du pastel frappe moins.
De l’autre côté du mur, les lutteurs ont quitté le pâturage alpestre de La lutte suisse d’Auguste Baud-Bovy (1848-1899), les cimes enneigées, le pré, les vaches, le petit garçon qui les regarde assis sur un rocher, ainsi que leur vestes, besaces et chapeaux abandonnés au premier plan. À peine plus grands que sur l’immense composition dont ils sont issus, ils s’affrontent à présent sur un mur complètement blanc, à côté d’une porte grillagée . Bagarre de rue? Étreinte virile? Leur position est ambiguë. Il faut remarquer leurs prises sur le pantalon de l’adversaire pour faire le lien avec la lutte à la culotte. C’est Julien de Casabianca qui a choisi cet Outings MAH. Il raconte qu’il n’a pas éprouvé le besoin de leur adjoindre le petit garçon assistant tranquillement à la lutte, le menton appuyé sur la main. Un élève d’une des classes participantes a, lui, retenu l’enfant, estimant qu’il n’avait pas besoin des lutteurs ! Pourtant, c’est la présence du garçon, dans sa position et son attitude, qui atteste que ces hommes ne sont pas réellement en train de se battre.

Des prolongements

Outings project sème à tous vents et dans le monde entier. Ainsi, à Genève, les ramifications sont multiples. N’ayant pu participer au projet avec l’artiste, une classe est par exemple venue au musée faire un Cluedo géant dans les collections, a choisi son propre personnage et puis l’a collé dans son quartier. Lors de cette sortie, les élèves ont pu découvrir les autres Outings installés à proximité de l’école, avec une remise en contexte des œuvres. Après une chasse aux Outings dans la rue, un autre groupe d’enfants de la Maison de Quartier de la Jonction est venu retrouver les personnages dans les tableaux du musée. Les réjouissances ne faisaient que commencer…

Une exposition de photographies de Julien de Casabianca, qui partage une sélection de clichés d’Outings pris à travers le monde, est à découvrir dans la cour intérieure du MAH jusqu’au 29 novembre.

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