Mariage improbable, mais pas impossible
Dans l’exposition 10 milliards d’années, les deux silhouettes élancées se font face, sur fond d’un vitrail que le regard peut traverser jusqu’au clocher de la cathédrale Saint-Pierre. Le couple, sobre dans ses habits noirs, mâtiné d’une austérité familière, constitue ce que l’on appellera désormais la Version de Genève (fig. 1 et 3). Elle propose le rapprochement de deux pendules de la collection patrimoniale, sélectionnées par l’artiste: une horloge de parquet parisienne née vers 1750 d’un côté et, un élégant garde-temps genevois, à peine plus jeune, de l’autre.
Les deux horloges de parquet, initialement destinées à être adossées à une paroi, semblent s’être avancées l’une vers l’autre pour finalement se rejoindre au centre de l’espace. Le cabinet galbé aux courbes soulignées de dorures, sorti des mains d’un ébéniste de la fin du XVIIIe siècle, repose en miroir d’un long pilastre de poirier teinté et verni, au visage enfariné: nul ne sait si, de leur vivant, les penduliers Joseph Waltrin (né vers 1720) et Jean-Louis Grandnom (né en 1733) se sont rencontrés… la possibilité existe pourtant, puisqu’ils étaient contemporains, de même langue et de même métier.
Le premier descend de François Valtrin, connu pour avoir été Gouverneur de l’horloge d’Épinal en 1545. Originaire d’une famille du nord-est de la France comptant surtout des facteurs d’orgues, il vécut à Paris dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, où il fut reçu Maître horloger en 1746.
Le second, originaire d’Eysins au bailliage de Nyon, est porté au registre des Habitants de Genève en 1762: il a alors 29 ans et la formation de « pendulier ». Ses connaissances en mécanique le mènent à travailler sur la machine hydraulique sise en l’Île, au fil du Rhône, dont il finira par gérer seul le fonctionnement. Reçu Bourgeois de Genève en 1788, «gratis, vus ses talents», le «Directeur de la Machine des Eaux» s’éteint sur son lieu de travail à l’âge de 55 ans.