Quand les caprices des princes influencent la facture instrumentale
Dans sa collection cachée d’instruments de musique, le MAH conserve de précieux témoignages des mœurs aristocratiques françaises du XVIIIe siècle. Les nobles se piquent alors de vie champêtre, jouent aux bergers d’Arcadie au son de la vielle à roue et de la musette. Dans le même temps, ils refusent la pratique du violon jugé trop populaire et contribuent par ce «snobisme» au développement du pardessus de viole qui permet d’en jouer le répertoire sans perdre de sa superbe.
Le goût de la pastorale ou quand vielle à roue et musette entrent à la Cour
Durant quarante ans, de 1725 à 1765 environ, l’aristocratie française, sous le règne de Louis XV, manifeste un engouement notable pour la vielle à roue. La reine Marie Leszczynska elle-même la pratique et le phénomène donne lieu à une abondante production musicale. Des traités et de nombreuses partitions, où la vielle est souvent associée à la musette, sont publiés. La facture de l’instrument connaît parallèlement des transformations radicales, permettant la «baroquisation» de la musique. Les facteurs parisiens, comme Jean-Nicolas Lambert et François Feury, représentés dans la collection du MAH, rivalisent de raffinement pour produire ces désormais très aristocratiques instruments.
Si on la trouve à la Cour des Ducs de Bourgogne à la fin du Moyen Âge, la vielle à roue est d’abord un instrument d’église appelé organistrum. Elle gagne peu à peu les villages mais aussi les tripots. Instrument paysan, associé à la mendicité, il conquiert ses lettres noblesse à travers la vision idéalisée de la vie pastorale – perçue comme innocente et préservée du pêcher – développée par l’aristocratie française au XVIIIe siècle. Comtes et duchesses se plaisent alors à jouer au berger et à la bergère dans le cadre de fêtes champêtres associant chorégraphies, musique et déguisements; on les connaît aujourd’hui grâce aux tableaux de Jacques-Antoine Watteau sous le nom de «fêtes galantes». Les vielles à roue et les musettes y tiennent une place importante.
Bourdon et mélodie
La vielle à roue est un instrument à cordes frottées par une roue, actionnée de la main droite à l’aide d’une manivelle. Parfois fabriquée à partir de caisses de guitares ou de luth, elle comporte six cordes. Quatre de ces cordes sont des «bourdons» qui font entendre un accord de base quand la manivelle est actionnée. Les deux autres cordes sont mélodiques. Les musiciens varient leur longueur vibrante, pour modifier les notes, en appuyant sur les touches du clavier. Les touches actionnent des «tangentes», des plaques métalliques qui viennent frapper la corde. La tessiture de l’instrument est de deux octaves.
La musette est une petite cornemuse dont le sac en peau, recouvert de velours, de soie, ou de brocart comme l’exemplaire du musée, est gonflé non par le souffle du musicien mais au moyen d’un petit soufflet, attaché sous le bras droit. Il sert de réserve d’air, le débit étant réglé par le bras gauche pesant sur le sac.
Comme la vielle à roue, la musette produit un accord de base, le «bourdon» en fa ou en sol. Il est obtenu grâce à un petit cylindre d’ivoire, percé de plusieurs tuyaux dans lesquels se trouvent des anches doubles. Les anches sont des petits sifflets de roseaux semblables à ceux dont se servent les joueurs de hautbois. C’est le passage de l’air dans les anches qui produit le son.
Le musette possède également deux «chalumeaux», c’est-à-dire deux tubes à perce conique qui comme les hautbois, sont terminés par une anche double, et dont les trous peuvent être en partie bouchés par des clefs. C’est sur ces deux chalumeaux que le musicien joue la mélodie.
Le pardessus de viole ou la noble résistance au violon
Si l’aristocratie française est friande d’instruments champêtres, elle manifeste une réserve un peu paradoxale pour le violon, assimilé à un instrument populaire ou cantonné à la musique de danse, alors même que musiciens professionnels et virtuoses l’ont adopté depuis longtemps.
Les nobles amateurs rechignant à apprivoiser l’instrument, les facteurs français vont développer le pardessus de viole, permettant de jouer le répertoire du violon en gardant la technique de jeu de la viole, facilité par la présence de frettes. Un répertoire spécifique voit même le jour. Fait révélateur de ce rôle de substitut du violon, le pardessus se jouait sur les genoux comme les autres violes ou à l’épaule comme le violon.
Le pardessus sonne une quarte plus haut que le dessus de viole, qui tenait le registre aigu de la famille avant l’invention de son petit frère. La caisse du pardessus est un peu plus petite que celle du dessus qui a perdu sa corde la plus grave pour en gagner une dans l’aigu et devenir le «pardessus». Il est accordé en quarte avec une tierce au milieu comme les autres violes. La corde grave est peu à peu supprimée, donnant naissance au pardessus à cinq cordes comme cet exemplaire signé Antoine Saint-Paul, fournisseur de la Comédie française, et daté de 1774.
L’instrument évolue aussi dans sa forme, adoptant certaines caractéristiques du violon, comme le dos bombé observable dans cet exemplaire daté de 1745 et dû à Andrea Castegnari, dont le père, originaire de Crémone, était déjà établi comme luthier à Paris. Dernière mutation, le pardessus à cinq cordes changera d’accord, pour être accordé en quarte et quinte, prenant le nom de quinton.
Le quinton n’étant toujours pas un violon, la noblesse française pourra conserver encore quelques temps ses petites manies instrumentales!