Mont-Blanc ou Jungfrau?

Énigme autour d’un célèbre massif

L’exposition La montagne en perspective au MAH fait dialoguer des œuvres autour du thème de la montagne, dont une soulève encore des interrogations.

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Les peintres à la montagne

Fort prisé par les peintres, le paysage de montagne est très souvent le fruit d’une expérience. Apparu au cours de la seconde moitié du XVIe siècle, ce genre pictural s’appuie en effet principalement sur l’observation: sommets, massifs, vallées ou encore cours d’eau sont scrutés méticuleusement et rendus avec précision. La pratique de ce type de peinture se fait ainsi le plus souvent en plein air, en particulier au XIXe siècle, avec reprise en atelier. Mais l’observation n’est pas seule en jeu. Le choix d’une atmosphère ou d’un angle de vue ainsi que des modifications en atelier peuvent troubler la perception que l’on a d’une montagne.

Portant un lourd matériel, les peintres du XIXe siècle ne doivent pas être effrayés par la montée éprouvante jusqu’aux points de vue élevés. Certains sont d’ailleurs de bons alpinistes et n’hésitent pas à s’aventurer sur des terrains dangereux. Juchés sur des éminences, ils peignent les cimes, leur chevalet installé à leur pied. Leur peinture reflète une certaine réalité des choses, donne une certaine image d’un massif, résultat de l’angle de vue choisi. Si peindre reste une question de point de vue, c’est certainement encore plus vrai pour le paysage de montagne: on sait combien un massif n’est pas uniforme et présente un aspect fort différent selon qu’il est vu d’un endroit ou d’un autre. L’image même de ce massif peut s’en trouver modifiée et sa compréhension perturbée.

Variation sur le thème du Mont-Blanc

Mont-Blanc

Fig. 1 Pierre-Louis De la Rive (1753-1817), Le Mont-Blanc vu de Sallanches au coucher du soleil, 1802.
Huile sur toile. Achat, 1969 ©MAH, photo: Y. Siza, inv. 1969-0022

Le meilleur exemple en est le Mont-Blanc, représenté à la façon du Genevois Pierre Louis De la Rive depuis la vallée de Sallanches en 1802 (fig. 1) ou à la façon des dessinateurs anglais qui ont parcouru au XIXe siècle les régions environnantes pour en rendre des vues fort variées, tel Edward Backhouse (fig. 2, 3 et 4). Sans le titre donné par ce peintre, nous hésiterions parfois à reconnaître le Mont-Blanc, tellement ses images diffèrent de celle de De la Rive, qui reste l’image du Mont-Blanc par excellence!

Ce phénomène peut être amplifié par la volonté d’un artiste de souligner tel ou tel autre élément, de modifier quelque peu les hauteurs ou dimensions d’un massif ou d’ajouter certains détails imaginaires à son premier dessin pris sur le motif. En conséquence, un sommet devient parfois difficilement identifiable.

Mont-Blanc

Fig. 2 Edward Backhouse (1808-1879), Le Mont-Blanc, 1829.
Gouache et lavis sur papier beige. Achat, 1979 ©MAH, inv. 1979-0112

Le Mont-Blanc vu du sommet du Brévent

Fig. 3 Edward Backhouse (1808-1879), Le Mont-Blanc vu du sommet du Brévent, 1829.
Aquarelle, gouache et encre sur papier gris. Achat, 1979 ©MAH, inv. 1979-0101

Le Mont-Blanc vu du pont de Pélissier, 1829.

Fig. 4 Edward Backhouse (1808-1879), Le Mont-Blanc vu du pont de Pélissier, 1829.
Encre brune, aquarelle, gouache, et crayon de graphite sur papier gris. Achat, 1979 ©MAH, inv. 1979-0140

Enquête sur un dessin

C’est le cas précisément d’un dessin de François Louis Fritz de Niederhäusern qui est présenté actuellement dans l’exposition La montagne en perspective et qui a nécessité une enquête (fig. 5). Il est entré dans les collections du musée en 1992 sans titre particulier, sinon une vague dénomination donnée lors de l’acquisition et certainement pas par l’artiste («Gravure noir et blanc "Montagne" (signé) NIDERHAUSERN»). Lors de l’enregistrement de l’œuvre dans la base de données du musée, le sommet représenté à l’arrière-plan a été considéré comme le Mont-Blanc.

Mais le titre de ce dessin – Le Mont-Blanc vu de l’Aiguille du Midi – a récemment été remis en question par un observateur attentif. Après enquête, les experts consultés sont partagés. D’aucuns préfèrent ne pas se prononcer définitivement et relèvent combien la fantaisie des artistes et leur interprétation subjective du paysage rendent compliquée l’identification de certains massifs, même des plus célèbres. Quelques spécialistes y voient bien le Mont-Blanc, mais sans déterminer le point de vue et le mont au premier plan.

La majorité d’entre eux reconnaissent en revanche la Jungfrau. Mais ils constatent que les proportions ne correspondent pas et s’interrogent sur le point de vue ainsi que sur la présence de la montagne rocheuse où sont figurés deux petits personnages. En comparant certaines vues du XIXe siècle, il apparaît que la part d’imagination ou d’éléments fictifs dans la composition est récurrente, même si l’ensemble résulte d’observations précises sur le motif. Ces ajouts en atelier participent pleinement du processus artistique et révèlent une intention particulière du peintre. Aussi Niederhäusern a-t-il vraisemblablement modifié les proportions de la Jungfrau pour créer un effet dramatique. Probablement dans le même esprit, il introduit au premier plan des rochers et des personnages comme faire-valoir. Minuscules et disposées au premier plan, ces figures permettent d’ailleurs, grâce à un jeu de proportions, de donner une image grandiose du massif.

Fig. 5 François Louis Fritz de Niederhäusern (1828-1888), La Jungfrau

Fig. 5 François Louis Fritz de Niederhäusern (1828-1888), La Jungfrau [Ancien titre: Le Mont-Blanc vu de l’Aiguille du Midi], 1855.
Crayon gras sur carton. Legs Henriette Cartier, 1992 ©MAH, photo: F. Bevilacqua, inv. 1996-53

Le Mont-Blanc de tous côtés

Ce dessin est à voir dans l’exposition La montagne en perspective qui propose un dialogue entre des œuvres iconiques et insolites autour du thème de la montagne, en particulier des Alpes, observées par d’illustres artistes sous des angles de vue fort différents, de loin, de près, de dessus, de dessous et de tous côtés (23 septembre 2022-12 février 2023). En fonction de son titre, le dessin de Niederhäusern a été placé dans une des vitrines du secteur De tous côtés. Le Mont-Blanc. Bien qu’il représente en toute vraisemblance la Jungfrau, il a été décidé de l’y laisser avec une explication évoquant la difficulté de reconnaître parfois un sommet dans le travail artistique d’un peintre ou dessinateur.

Bonne visite dans La montagne perspective ! Et si vous constatez que certains lieux sont faussement identifiés, vous pouvez contacter le musée, une nouvelle enquête sera entreprise!

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