L’art de l’autoportrait selon Hodler
Hodler cultive l’art de jouer avec son image sous toutes ses formes, qu’on le voie ouvrir la marche dans La Retraite de Marignan, présenter son dos au spectateur dans Les Buveurs du cycle de la Taverne du Crocodile ou encore exposer sa nudité dans La Nuit.
Cent-quinze autoportraits jalonnent sa vie et sa carrière, et marquent des étapes décisives, artistiques comme personnelles. Cette série débute avec une première tentative maladroite dans le cours de Barthélémy Menn, et culmine avec un portrait en buste dans lequel Hodler se fait montagne, habitant de sa masse triangulaire la largeur du cadre, travaillant sa barbe comme une paroi rocheuse.
L’Autoportrait parisien, peint en 1891 alors que Hodler vient de rencontrer le succès dans la capitale française avec La Nuit qui avait tant fait scandale à Genève, est un bel exemple de ce rôle de pierre blanche joué par l’autoportrait. Pour la première fois, l’artiste se place sur un fond clair, lumineux, plein de l’éclat de sa réussite, tournant la tête en direction du spectateur et le toisant, sûr de lui.
Mais le jeu de miroir le plus intéressant réside peut-être dans une toile qui, si elle relève par son sujet de la peinture d’histoire, constitue une véritable allégorie de la position de Hodler à une période de sa carrière, tout en reflétant son état d’esprit. Le Guerrier furieux de 1884 nous montre un lansquenet vêtu de rouge, fièrement campé sur ses jambes écartées, dont le regard perdu au loin semble paradoxalement défier le monde. Il se trouve dans un paysage à l’horizontalité marquée par une ligne d’embrasement. Au sol, des cadavres, probables victimes du guerrier, et, tranchant avec ce carnage, des marguerites rythmant le champ de bataille de leur candide pureté.
Le titre du tableau rappelle un autoportrait, Le Furieux, peint trois ans auparavant. Soldat et peintre partagent ainsi la même émotion, Hodler s’identifiant clairement à cette figure dont il dira : «Je donne libre carrière à ma fureur: je peins un guerrier en rage. Je me sens dans mon assiette. Tremblez, misérables, tremblez! Cette fois-ci, le spectateur quittera le sol terrestre.» Nul besoin de lui donner ses traits pour faire de ce soldat l’incarnation de l’artiste vainqueur d’une critique aveugle.
Et si Hodler avait pu se peindre sur son propre lit de mort, sans doute l’aurait-il fait…
Ce texte est tiré de l’ouvrage Hodler, lignes de vie, premier numéro de la série « Promenades » publiée par le Musée d’art et d’histoire de la Ville de Genève