Martin Disler graveur

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De l’importance des collaborations

Entre 1968 et 1980, Martin Disler ne pratique l’estampe que sporadiquement, alors même qu’il explore toutes formes d’expression – écriture, peinture, dessin, objet, performance, musique. La proposition que lui fait Peter Blum en 1981 de produire et d’éditer un portfolio de gravures initie une pratique qu’il poursuivra jusqu’à son décès en 1996. L’exposition du Cabinet d’arts graphiques lève aujourd’hui le voile sur les dernières années de sa production gravée.

D’origine helvétique, né à New York et formé à la galerie Beyeler de Bâle, Peter Blum fonde sa propre maison d’édition à New York en 1980. Il privilégie les portfolios («portefeuilles»), soit une série d’estampes réunies dans un emboîtage, qu’il considère comme un concentré de l’expression d’un artiste, une forme «d’exposition» originale, complète et portative, à l’image de la Boîte en valise de Marcel Duchamp. Blum prône un travail de haute qualité, favorisé par des conditions de production particulières à chaque artiste. Après une période dominée par l’art minimal et conceptuel, pendant laquelle l’estampe a connu une certaine disgrâce, Blum renouvelle la tradition de grands éditeurs tels qu’Amboise Vollard, avec qui Picasso réalise les cent eaux-fortes de sa Suite Vollard entre 1930 et 1937 ou Gérald Cramer, qui présidera notamment à la création du livre À toute épreuve, associant les poèmes de Paul Éluard aux gravures de Joan Miró.
De la collaboration de Peter Blum et Martin Disler naît Endless Modern Licking of Crashing Globe by Black Doggie Time-Bomb: huit gravures imprimées par l’atelier new-yorkais AeroPress Inc., réunies dans une boîte comprenant également un couteau de poche et un enregistrement sur cassette de textes et de musique de l’artiste.

Martin Disler (1949 – 1996), Peter Blum Edition, éditeur, AeroPress Inc., imprimeur
Endless Modern Licking of Crashing Globe by Black Doggie Time-Bomb (planche 8), 1981
Aquatinte et héliogravure; cuvette : 528 x 730 mm
©Estate of M. Disler/IG, photo A. Longchamp, inv. E 89-0221-008

À la suite de cette expérience, Disler poursuit son exploration des possibilités de l’estampe auprès des meilleurs imprimeurs de l’époque. Parmi eux, les frères Crommelynck, célèbres notamment pour avoir réalisé la Suite 347 de Picasso. Réputé pour sa virtuosité, Aldo Crommelynck est également connu pour sa rigueur et sa méticulosité, notamment dans la tenue de son atelier – une qualité peu compatible avec le tempérament spontané et imprévisible de Disler! Bien qu’a priori improbable, leur collaboration se poursuit de 1982 à 1988, engendrant notamment de grandes feuilles d’une importante complexité technique, aux subtils jeux de transparences, éditées par la galerie genevoise d’Eric Franck.

Martin Disler (1949 – 1996), Galerie Eric Franck, éditeur, Aldo Crommelynck, imprimeur
Gravure 021, 1988. Aquatinte, en rouge, vert foncé et jaune; cuvette: 770 x 480 mm, état unique ©Estate of M. Disler/IG, photo A. Longchamp, inv. E 88-0045

La collaboration avec le galeriste permet également à Disler de fréquenter le Centre genevois de la gravure qui avait accueilli, entre autres artistes prestigieux, Antonio Saura et Pierre Alechinsky.

Martin Disler (1949 – 1996), Galerie Eric Franck, éditeur, Centre genevois de gravure contemporaine, imprimeur, Sans titre, 1988 Pierre lithographique, 600 x 765 x 70 mm
©Estate of M. Disler/IG, photo A. Longchamp, inv. E 2016-2385

En parallèle, il travaille dans l’atelier de taille-douce de Peter Kneubühler (Zurich, 1944-1999), dont le tempérament souple et volontiers expérimentateur encourage Disler à s’aventurer dans les techniques traditionnelles. Dans l’atelier jurassien de Nik Haussmann (*1940), il se confronte à la pierre lithographique, qu’il perçoit froide et dure comme la mort: il lui appliquera la même énergie physique qu’au linoleum ou au bois, n’hésitant pas à gratter la pierre avec ses ongles pour lui insuffler vie et émotion. Dans les années 1990, il se lie plus particulièrement à Urban Stoob, donnant lieu à quelques-unes de ses dernières grandes œuvres sur papier, des lithographies très largement «sur-dessinées», visibles dans l’exposition du Cabinet d’arts graphiques.

Martin Disler (1949 – 1996), Urban Stoob Steindruck, imprimeur, Sans titre, vers 1992
Gouache en blanc, jaune, rouge et noir sur lithographie ; feuille: 800 x 1213 mm
©Estate of M. Disler/IG, photo A. Longchamp, inv. E 2002-0654

Sans prétendre à l’exhaustivité, cette exposition tend ainsi à montrer l’évolution, la diversité et la richesse du travail imprimé de Martin Disler. Son ouverture d’esprit et sa curiosité lui ont permis de mettre à profit les propositions et les expertises externes qui ont alimenté son inspiration et sa pratique. Disler admettra rétrospectivement qu’au début des années 1980 la gravure l’intimidait et que son assurance technique n’est venue que peu à peu dans la décennie suivante. Il finira par voir dans l’expérimentation des différentes méthodes de l’estampe une forme de «quête» dans laquelle le processus de travail, qu’il mène en collaboration avec des partenaires aussi talentueux qu’innovants, prendra une importance aussi grande que son résultat.

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