4 œuvres passées au filtre de Tu vois le tableau?
À notre demande, Manon Bril a planté la caméra de sa websérie Tu vois le tableau? dans les salles du MAH. Présente sur Internet depuis près d’un an, cette jeune doctorante en histoire à l’Université de Toulouse décode avec énergie, rigueur et légèreté les œuvres d’art.
Comment est né le projet de Tu vois le tableau? et de votre chaîne YouTube?
J’ai commencé à m’intéresser à la vulgarisation après avoir participé à un concours intitulé «Ma thèse en 180 secondes», une manière accessible de présenter ses recherches universitaires au plus grand nombre. J’ai obtenu le prix du public à la finale régionale Midi-Pyrénées en 2015, ce qui m’a fait prendre conscience qu’il existait un intérêt pour des sujets pointus abordés sur un ton léger. Parallèlement, une vidéo que l’on avait présentée sur la ville de Toulouse, lors d’un concours de court-métrage, a eu son petit succès. Tout cela a concouru à nous conforter dans l’idée de créer une chaîne YouTube, baptisée C’est une autre histoire, pour mettre à profit nos expériences en matière de vulgarisation du savoir et de la vidéo. Le format du module Tu vois le tableau? m’a été directement inspiré par mon enfance:lorsque ma mère m’emmenait au musée, elle me racontait les histoires illustrées par les tableaux et j’adorais cela. Quand on est novice, la beauté plastique des œuvres peut nous échapper. En revanche, en savoir plus sur les sujets représentés est une manière tout aussi plaisante de découvrir l’art.
Quel est l’objectif de ces vidéos?
S’adresser à un public totalement néophyte, qui ne connait pas ou peu l’histoire de l’art, et éduquer le regard en abordant de grands sujets traditionnels, mythologiques et bibliques pour la plupart. Car ces sujets ont des codes de représentation précis qui ont perduré au fil des siècles. À partir de la reproduction d’une œuvre spécifique, Le jugement de Pâris de Pierre Paul Rubens par exemple, j’identifie les différents personnages et leurs attributs que le spectateur pourra ensuite reconnaître dans d’autres versions et interprétations. Je ne n’aborde pas du tout l’œuvre sous l’angle de l’histoire de l’art, je ne dis rien sur la composition, l’artiste, la technique ou le contexte. Je me limite à décrypter les scènes pour que le public apprenne à les identifier.
Quel est le public visé?
Le ton n’a pas été étudié ou calibré de manière précise, il m’est venu naturellement. Du coup, la tranche d’âge majoritaire est la mienne, les 18-35 ans, mais aussi les 35-50 ans. On pourrait croire avec l’ambiance légère créée par la musique pop que les vidéos s’adressent aux adolescents, mais ils ne représentent qu’une portion minime du public de la chaîne.
Comment avez-vous sélectionné les œuvres dont vous parlez au MAH?
Les collections sont immenses! J’ai donc demandé au musée de me donner des pistes. Après discussions, j’ai fait une sélection d’œuvres avec un contenu narratif identifiables, dont les portraits et les paysages sont, par exemple, dépourvus. Il est très important pour ce format d’avoir de la matière, des histoires à raconter comme La pêche miraculeuse de Konrad Witz ou la tapisserie illustrant L’Enlèvement d’Europe. J’ai fait attention à privilégier la nouveauté, de façon à ne pas faire de doublons avec des vidéos en ligne, même si je fais référence à des sujets déjà abordés.
Y-a-t-il une œuvre qui a particulièrement retenu votre attention?
J’ai un faible pour un vase antique illustrant la naissance d’Athéna, car c’est mon sujet de prédilection, mais je dois dire que Persée tuant le dragon de Félix Vallotton m’a vraiment marquée. Je trouve cette œuvre amusante, justement parce qu’elle ne respecte pas les codes traditionnels de la représentation du mythe. D’ailleurs, le tableau avait fait scandale à l’époque. Vallotton tourne en dérision Persée en le représentant complètement nu et désarmé, dans une position athlétique très exagérée, et le terrible dragon que le héros grec terrasse se réduit à un crocodile. On ne sait pas si la moue de dégoût d’Andromède est adressée au monstre ou à son sauveur. D’ailleurs, celle-ci n’est pas enchaînée comme le veut le mythe et pourrait très bien s’enfuir au lieu de rester prostrée! Le contraste avec les œuvres plus classiques donne donc à ce tableau une grande richesse en matière de commentaire.
Est-ce la première fois que vous tournez Tu vois le tableau? dans un musée?
C’est la seconde fois, après le Musée des Augustins à Toulouse. Et j’ai trouvé intéressant pour cette fois de varier les formats (un retable, une huile sur toile, un vase antique et une tapisserie), ce qui permet de tourner autour des œuvres et de constater leur taille réelle. Habituellement, on imprime un poster de format standard que l’on affiche dans la rue à Toulouse; c’est pourquoi je ne choisis jamais de sculptures par exemple.