L’exposition Picasso devant la télé, présentée au Cabinet d’arts graphiques jusqu’au 15 décembre 2013, repose sur une hypothèse: l’artiste a-t-il pu être influencé par les images – exactement contemporaines – de la télévision comme il l’avait été par celles des journaux, des affiches, des bandes dessinées, du cinéma… auparavant?
C’est en regardant certaines gravures de Picasso lors de la préparation de l’exposition Picasso érotique à Montréal où j’effectuais un stage que l’idée m’est venue. L’érotisme de l’artiste s’effaçait devant le souvenir d’émissions télé que j’avais vues quand j’étais toute petite fille. Je percevais alors, au-delà des écuyères et des clowns, l’émission La piste aux étoiles de mon enfance.

Une enquête au cœur des témoignages laissés par les amis de Picasso – Brassaï, John Richardson, Pierre Daix, Roland Penrose, Roberto Otero – ainsi que parmi les photographies prises à Notre-Dame de Vie, dernière maison de Picasso, confirmait qu’il possédait un petit écran et qu’il regardait, effectivement, La piste aux étoiles, le catch ainsi que quelques vieux films.
Flux et fixité
Cela établi, j’ai composé un corpus de gravures, de celles pour lesquelles je supputais un lien avec la télévision, et j’ai repris les programmes télévisés. J’ai dépouillé les programmes publiés par les magazines comme Télérama qui livrent, en plus des diffusions, des informations sur l’air du temps de la toute fin des années 1960 – ces années durant lesquelles Picasso avait gravé avec une remarquable productivité. Et j’ai visionné des programmes à l’Inathèque de la Bibliothèque nationale.
J’ai fait des captures d’écran, repris le catalogue des gravures de Picasso de Brigitte Baer qui avait eu la même intuition, re-visionné des programmes en prélevant de nouvelles images pour opposer en permanence le principe de flux de la télévision à celui de la fixité de la gravure.
Parfois, la gravure et le programme coïncidaient précisément. D’autres fois, il convenait au contraire d’envisager d’une part, un ensemble d’images différentes, proposées aléatoirement sur le petit écran et, d’autre part, une gravure où s’opère un carambolage de figures, de personnages, d’accessoires manifestement empruntés à ces images télévisées.
Parfois encore, c’est dans la construction plastique que se nouait le lien entre Picasso et la télé.
Une publication et une exposition ont, de façon contradictoire, alimenté la réflexion. Le livre de Memory Holloway, Making Time, Picasso’s Suite 347 (New York, 2006) sur La Suite 347, nom attribué aux 347 gravures réalisées par Picasso entre le 13 mars et le 5 octobre 1968, démontrait l’interaction entre l’actualité et les gravures de Picasso. À l’opposé, l’exposition Picasso et les maîtres, plaçant l’artiste dans un Olympe, coupé du monde contemporain, où il ne dialoguait plus qu’avec les dieux de l’art – Velasquez, Rembrandt ou Poussin… – invitait à se souvenir de son intérêt permanent pour les expressions populaires.
Du texte à l’exposition
Stimulée par ces positions, j’ai rédigé un texte trop long pour constituer l’essai initial prévu pour une revue, mais que Les Presses du Réel ont accepté de publier.
L’idée de faire de ce texte une exposition revient à Xavier Douroux, directeur du Consortium, à Dijon. Le soutien de Landa et de Carine Crommelynck ainsi que la présence de quelques-unes des 347 gravures au Cabinet d’arts graphiques du Musée d’art et d’histoire ont rendu possible sa réalisation.
À Dijon, installées dans un espace résolument moderne, un «White Cube», les gravures de Picasso, confrontées à des images extraites de programmes télévisés, montraient que le peintre n’avait pas forcément 88 ans en 1968. 30 ans peut-être? Qu’il était en tous cas exactement de son temps, même s’il portait beau ses 80 ans de création et plus de 800 ans de références artistiques.
À Genève, elles prouveront sans doute que chaque artiste doit vivre avec les images de son temps.