L'éthique en conservation-restauration: exemple à travers le patrimoine archéologique

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Est-ce la crise qui révèle l’absence d’éthique dans les rouages du monde ou est-ce l’éthique elle-même qui est en crise? Avons-nous à faire à une valeur en voie de disparition? Pourtant, si on respecte un tant soit peu les choses et les gens, les règles de l’éthique se mettent automatiquement en place et s’imposent d’elles-mêmes.

L’illustration d’une éthique qui s’est affirmée durant les cinquante dernières années se trouve avec bonheur dans la manière d’aborder la conservation-restauration des œuvres d’art. Enseignée avec fermeté dans les écoles, encadrée par des lois strictes incluant des sanctions en cas de fraude, l’éthique est devenue une priorité pour toute personne en contact avec le patrimoine.

En quoi consiste-t-elle et comment s’applique-t-elle dans les activités des conservateurs-restaurateurs? Quelles en sont les règles et, au final, quel objectif vise-t-elle? On peut regrouper les normes régissant l’éthique selon trois cibles que sont le public, l’Histoire et la réalité matérielle de l’objet.

Ne pas tricher avec la réalité

Le public, d’abord. C’est lui qui lit, comprend et interprète l’œuvre. Nous devons donc lui restituer une image aussi fidèle que possible de la réalité de l’objet d’origine et de son message. En termes de conservation-restauration, cela veut dire que l’on ne peut pas tricher avec l’apparence de l’œuvre. On n’embellit pas, on ne refait pas, on ne maquille ni ne camoufle ce qui est inhérent à la réalité de l’objet, que ce soit son état de conservation ou d’autres indices relatifs à son histoire. Au plus, on atténue un défaut ou on révèle un détail que les ravages du temps ont rendu invisible.

Concrètement, on peut illustrer ce propos par l’exemple d’une stèle ou d’un bas-relief égyptien provenant de site archéologique. Elle se présente cassée et lacunaire, avec une peinture polychrome en grande partie effacée par l’érosion. Elle comporte des traces de coups résultant d’une agression (un geste iconoclaste contre une représentation désavouée dans l’Antiquité, comme le portrait d’un prédécesseur encombrant, un message politique ou religieux).

La conservation-restauration d’un tel objet exige au minimum un soutien physique: un assemblage des fragments, un colmatage des lacunes et une consolidation des restes de la polychromie fragilisée. Pour la présentation de l’objet au public, on peut faciliter la lisibilité de l’ensemble en donnant une teinte neutre aux colmatages, laissant ces ajouts de matière facilement identifiables.

Bas relief « Reine Kaouit et princesse Kemsit », XIe dyn. (Neb-hepet-Rê Mentouhotep), Egypte, Inv. 4767, © MAH, photo: B. Rey-Bellet

La polychromie de surface ne sera pas refaite. Il faudra se contenter des quelques restes existants pour imaginer l’apparence d’origine et accepter l’aspect actuel qui témoigne du temps écoulé.

Stèle d’Amenemhat, de -1551 à -1306, Egypte, Inv. D 52, © MAH, photo: B. Rey-Bellet

Finalement, les traces du saccage ne seront pas maquillées pour retrouver l’image première, mais précieusement conservées en tant que trace d’un événement historique.

Stèle de Ioui, 14e s. av. JC, Egypte, Inv. D 46, © MAH, photo: B. Rey-Bellet

L’objet comme témoin

L’Histoire, ensuite. Elle doit être respectée sous tous ses aspects et être considérée avec une rigueur scientifique, hors de toute influence (mode, politique, etc.). Un exemple vient d’être donné avec des marques de vandalisme, mais la situation peut se compliquer lorsque l’on a à faire à plusieurs éléments de différentes époques sur un même objet. Il s’agit alors de choisir lequel doit être mis en lumière au détriment des autres… Heureusement, dans ces cas-là, on peut constituer une commission d’experts ad hoc qui, après moult discussions, réflexions, réunions et autres séances, décide du moindre mal. Dans l’idéal, évidemment, on cherche à rendre visible tous les éléments historiques. Mais si la mise en valeur de l’un en fait disparaître un autre, ce dernier doit faire l’objet d’une documentation exhaustive et accessible. Car toute trace du vécu de l’objet mérite d’être conservée. Les traces de saccage sont un cas un peu extrême, au même titre que les dégâts infligés aux objets lors de rituels, mais il y a aussi des signes plus modestes, comme les traces d’utilisation ou des indices révélant la technique de fabrication employée, elle-même révélatrice d’un développement, d’une évolution ou d’une culture.

Enfin, respecter l’Histoire, c’est aussi éviter d’intervenir ou de retoucher de manière abusive. Sur un vase antique, la restitution d’une scène mythologique effacée par l’érosion ne peut échapper à une forme d’interprétation moderne qui dénature l’œuvre d’origine. Ce n’est pas acceptable.

La valeur de la matière

Finalement, la matière. Au-delà d’être le support d’une expression, elle mérite notre attention en tant que telle. Certaines interventions peuvent faire disparaître à jamais des informations contenues dans le matériau, comme, par exemple, des indicateurs de datation: la radiographie d’une céramique antique efface les caractéristiques de la pâte utilisée pour la datation par thermoluminescence, ou le recuit d’un objet en métal modifie de manière irréversible sa structure métallographique.

Il peut aussi y avoir des dépôts de surface riches en informations, quand bien même ils n’ont aucune valeur intrinsèque: des restes de charbon ou des traces de calcination peuvent témoigner d’un incendie. Il faut éviter de les faire disparaître par un nettoyage trop poussé.

Et puis, il y a la transformation naturelle des matériaux. Si ces transformations sont stables, elles sont conservées telles quelles, attestant du temps que l’objet a traversé. Notons que bien des caractéristiques de l’œuvre d’origine restent inscrites dans la matière, même si cette dernière a subi des modifications naturelles (prenons l’exemple d’un objet métallique corrodé dont le décor gravé se trouvera inséré entre plusieurs couches de produits de corrosion, tout en conservant la structure des motifs). Une transformation effectuée par un restaurateur visant à retrouver la matière d’origine (le bronze métallique dans notre exemple) fera disparaître les couches de corrosion, ce qui entraînera également la disparition des informations contenues dans celles-ci (ici, le décor gravé).

Les signes d’instabilité, en revanche, doivent être contrés pour permettre la conservation de l’objet le plus longtemps possible. Là encore, toute intervention, qu’elle soit chimique ou physique, doit respecter les caractéristiques de l’objet et de sa vie passée. Elle doit être minimale et maîtrisée. Dans la mesure du possible, on applique donc des traitements réversibles par soucis de non-ingérence et pour laisser la possibilité à d’éventuelles interventions futures.

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